Certains experts prédisent que la technologie va saper la raison d’être des fonds d’investissement. D’autres y voient un moyen de renforcer le raffinement et de réduire l’écart entre le gestionnaire d’actifs et le gestionnaire de patrimoine. Pourtant, le message est clair : le secteur doit être suffisamment flexible pour s’adapter.
« Plus la technologie s’améliorera et réduira les coûts, plus les fonds d’investissement deviendront obsolètes », prédit un rapport de la société de conseil Oliver Wyman. Ils considèrent que la technologie « permet aux gestionnaires d’actifs de servir le secteur retail sans intermédiaire », car les fonds deviennent plus personnalisables, plus thématiques et plus efficaces sur le plan fiscal. Selon cette analyse, les marchés publics d’actions et d’obligations seront les premiers touchés, suivis par les marchés privés et les alternatives.
« Au contraire, cela pourrait bien marquer l’ouverture d’un âge d’or pour les fonds d’investissement, avait déclaré Guillaume Prache, directeur général du groupe d’intérêt des utilisateurs de services financiers BetterFinance, lorsqu’il avait été interrogé concernant ce rapport le mois dernier, lors de l’Alfi European Asset Management Conference.
C’est vrai, la technologie permettra de personnaliser les portefeuilles, mais il reste l’obstacle que « dans l’UE, le petit investisseur moyen a relativement peu de connaissances financières ».
Il notait que seuls 8 % de l’épargne des ménages européens sont placés dans des fonds, un chiffre qui, selon lui, va augmenter car la persistance de taux d’intérêt bas et le retour de l’inflation érodent l’attrait des comptes bancaires et des polices d’assurance-vie à rendement garanti. De plus, le secteur des pensions « fait peser plus de risque d’investissement sur les épaules des gens, ce qui entraînera une augmentation des flux d’investissement dans les fonds. »
Changement pour les gestionnaires d’actifs
« Je pense que nous allons assister à un élargissement des types de véhicules utilisés », déclarait Stephen Cohen (photo), responsable EMEA iShares & Wealth business and Index Investments chez BlackRock, dans un commentaire sur la façon dont il voit l’impact de la technologie.
Il s’attend à un déplacement des conseillers effectuant une sélection parmi une gamme de fonds d’investissement vers une situation dans laquelle les gestionnaires de patrimoine s’impliquent davantage dans la construction des portefeuilles.
Il table également sur une concurrence accrue entre les produits, « de la même manière que nous avons vu les ETF venir concurrencer les fonds d’investissement. »
Ce n’est donc pas tant la mort du fonds en tant que tel, mais la technologie qui va « élargir la gamme d’instruments nécessaires à la gestion d’un portefeuille », aussi bien en ce qui concerne les classes d’actifs que la structure du fonds.
Les fonds ont une belle occasion de tirer parti d’une nouvelle dynamique alimentée par « la plus grande relance fiscale depuis la Seconde Guerre mondiale et la révolution verte qui doit être financée », affirme Cohen. Pour lui, la question est de savoir comment tous les types d’investisseurs peuvent avoir accès à ces tendances, qui s’exprimeront souvent par le biais de marchés privés et d’actifs alternatifs.
Produits retail alternatifs
Il voit trois options. Le Fonds européen d’investissement à long terme (FEILT) - actuellement en cours de révision par l’UE - est un « véhicule permettant aux investisseurs d’investir de manière sûre et appropriée dans des alternatives ».
Deuxièmement, il estime qu’il est nécessaire de veiller à ce que les clients comprennent ce qu’ils ont en portefeuille en ayant accès à suffisamment de données. Enfin, il estime que le secteur doit travailler avec les gouvernements et les régulateurs pour faciliter l’accès des investisseurs à ces projets.
« Il faut une intervention du gouvernement ainsi que des incitations/mesures de dissuasion fiscales ou une réglementation, par exemple », déclare Prache tout en développant ce dernier point. Cependant, le premier point le préoccupe.
« Nous sommes favorables au FEILT, mais il risque de devenir un fonds de fonds de fonds », déclare-t-il à propos de ce fonds qui a suscité peu d’intérêt de la part des investisseurs depuis son lancement il y a plus de cinq ans. Et ce n’est pas seulement une question de stratégie d’investissement. « Il y a aussi la question des processus de distribution, qui sont beaucoup plus coûteux en Europe qu’aux États-Unis », a-t-il ajouté.
Parcours ESG difficile
En ce qui concerne l’ESG, Cohen apprécie la croissance et le potentiel, mais craint que les investisseurs n’aient tendance à adopter une approche individualiste, ce qui « risque d’aboutir à un secteur très fragmenté, dans lequel il est pratiquement impossible pour les investisseurs de s’y retrouver. » Les données et les analyses constituent la meilleure façon de progresser, a-t-il déclaré.
Prache comprend le défi que doivent relever le secteur de la gestion de patrimoine et les parties chargées de la distribution dans le secteur retail. « On ne vous demande plus seulement d’être des experts en finance, mais aussi en efficacité énergétique, en émissions de gaz à effet de serre et tout le reste. J’espère que la taxonomie fournira des conseils clairs et sûrs. » Néanmoins, il serait risqué de faire porter la responsabilité de ces choix à l’investisseur final, conclut-il.