Observer les choses à distance est souvent utile, et j’estime que la politique monétaire ne fait pas exception. Plus je prends de recul, plus il devient évident qu’au moins quelques banques centrales ont pour objectif principal la gestion de la dette et non l’inflation, malgré ce qu’elles déclarent officiellement. Le Japon en est un bon exemple.
Il y a trente ans
Le graphique ci-dessous montre l’inflation globale au Japon depuis 1980. Depuis 1994, cette inflation est généralement proche de zéro, à l’exception de quelques pics vers le haut ou vers le bas. Il est bien connu que le Japon a un problème d’inflation. Ce problème n’a pas échappé aux gouverneurs : il est légitime de s’interroger sur l’utilité réelle de l’érosion délibérée du pouvoir d’achat nippon. Croyez-moi, même avec une inflation de 0 %, les entreprises veulent réaliser des bénéfices et les consommateurs veulent acheter, mais c’est une autre histoire.
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Il faut remonter à plus de 30 ans, à la fin des années 80 et au début des années 90, pour trouver une période où l’inflation a été supérieure à 2 % pendant une période prolongée, comme c’est le cas actuellement. Bien sûr, l’économie japonaise était encore jeune et dynamique à l’époque (c’est du moins ce que nous supposons) et le gouverneur de la Banque du Japon de l’époque, Yasushi Mieno, avait dû se dire qu’un resserrement « à l’ancienne » serait bénéfique.
Un peu de contexte s’impose ici : le taux directeur de la Banque du Japon avait atteint au début des années 90 un pic impressionnant de 6 %, et le taux à 10 ans se situait également à ce niveau. À titre de comparaison, le taux directeur s’établit aujourd’hui à -0,1 % et le taux à 10 ans n’atteint qu’un misérable 0,67 %. Ce dernier chiffre résulte bien sûr du contrôle de la courbe des taux, en place depuis septembre 2016, soit depuis 7 ans et demi environ. Pour les puristes parmi nous, les États-Unis avaient également mis en place une forme de contrôle de la courbe des taux précédemment, mais la période de mise en œuvre, 1942-1951, en dit suffisamment sur la raison de cette mesure.
Entre-temps, la Banque du Japon est également la fière détentrice de près de 50 % de l’ensemble de la dette japonaise en circulation. Mon accès à Bloomberg ne remonte pas au-delà de 1999, mais j’ose affirmer avec une certitude raisonnable qu’une telle situation n’existait pas au début des années 90.
Elephant in the room
Il y a une seule raison qui me semble, au bas mot, justifier au moins des taux d’intérêt légèrement inférieurs à ceux d’il y a 30 ans : le Japon n’est pas en croissance. La croissance potentielle est estimée entre 0 et 0,5 %, mais je soupçonne qu’elle soit plus proche du premier chiffre que du second. Au début des années 90, les économistes pensaient encore qu’elle était supérieure à 2 %, ce qui était faux. Mais en tant que banquier central, on doit faire avec les moyens du bord.
Quoi qu’il en soit, le véritable elephant in the room, c’est bien sûr la dette. Au début des années 90, la dette publique (brute) du Japon représentait pas moins de 62 % du PIB. À l’époque, le Japon aurait aisément pu répondre aux critères de convergence économique de la zone euro. Pour mémoire, l’Italie dépassait déjà les 100 % à l’époque. Aujourd’hui, la dette japonaise atteint 253 % du PIB. Dans le cas du Japon, on souligne souvent la possibilité d’annuler les dettes des gouvernements locaux envers le gouvernement central, mais un regard sur la Chine et ses véhicules de financement des gouvernements locaux montre que cela pourrait sérieusement affecter l’activité économique.
Viabilité de la dette
En résumé, il me semble évident que les banques centrales, qu’elles le veuillent ou non, deviennent de plus en plus le prêteur en dernier ressort des gouvernements qui, que l’économie se porte bien ou mal, continuent de s’endetter excessivement. La Banque du Japon donne une image très claire de la « solution » : des taux d’intérêt structurellement bas, voire négatifs. Bonne chance !
Jeroen Blokland est le fondateur de True Insights, une plateforme qui fournit des recherches indépendantes permettant de composer des portefeuilles multi-actifs diversifiés. Il était précédemment Head of multi-assets chez Robeco. Son graphique de la semaine est publié chaque lundi sur Investment Officer.