En 2017, de nombreuses entreprises technologiques cotées en bourse ont pris plusieurs dizaines de pourcents. Ces premiers mois de 2018 aussi, les parts de ce secteur ont le vent en poupe. Cependant, on entend des mises en garde sur le marché : cette tendance va bientôt s’achever. « Pas du tout », répond Richard Clode lors d’un entretien avec Investment Officer, « il reste encore suffisamment d’opportunités. »
Avec trois collègues, Richard Clode gère le fonds Janus Henderson Horizon Global Technology. La variante de ce fonds, a enregistré un rendement de près de 27 % en 2017, soit 4 points au-dessus de l’indice de référence. Le montant des actifs gérés s’élève à près de 6 milliards de dollars.
Ces derniers temps, l’équipe technologique de Janus Henderson a mené de nombreuses discussions avec des experts et directions d’entreprises autour des conséquences de l’introduction, en mai, de la loi européenne sur la protection des données personnelles. Pourrait-elle influencer les modèles commerciaux des entreprises de leur fonds, par exemple de celles qui utilisent les données relatives aux consommateurs pour personnaliser des publicités ?
Le Règlement général sur la Protection des Données comporte de nouvelles directives destinées à mieux protéger la vie privée des citoyens. Les entreprises devront désormais demander plus souvent l’autorisation de leurs clients lorsqu’elles recueilleront et enregistreront leurs données personnelles. Elles devront également être en mesure de produire l’intégralité des informations qu’elles auront rassemblées sur un seul individu, mais aussi de les supprimer, à la demande de celui-ci.
Tout cela exige des adaptations de la part des entreprises du secteur technologique. Leurs systèmes doivent être en mesure d’effectuer automatiquement ce genre de requêtes. Les titans technologiques, comme Amazon et Google, mais aussi les jeunes entreprises, celles qui vendent aux consommateurs et les sociétés du Net disposent pour la plupart, selon Richard Clode, des logiciels adéquats, ou ont beaucoup investi dernièrement dans la réadaptation de leurs systèmes. Les modèles commerciaux d’Amazon et autre Google, toujours selon Richard Clode, ne devraient pas non plus poser beaucoup de problèmes, comme il l’a déjà souligné auparavant. Les choses ne semblent donc pas si compliquées.
Cependant, comme il l’explique, il se peut que ce soit une autre paire de manches pour les entreprises non technologiques et de taille plus réduite. « Il sera plus difficile pour elles d’implémenter ces changements », précise Richard Clode, qui recommande aux investisseurs de vérifier l’ampleur des coûts qui pèseront sur les entreprises technologiques dans lesquelles ils investissent.
Une surévaluation ?
Il reste encore une question à laquelle les investisseurs doivent trouver une réponse, outre ce problème qui règne depuis longtemps déjà sur le marché : les actions technologiques ne sont-elles pas devenues trop chères ? Clode rappelle que de nombreux investisseurs oublient parfois de remettre les choses en perspective. « Oui, les actions technologiques sont plus chères qu’il y a cinq ans, et plus chères aussi que lorsque la crise en était à son niveau plancher. Mais tout est plus cher qu’il y a cinq ans. On peut trouver des actions technologiques chères, mais il en reste suffisamment d’abordables sur le marché. »
Pour renforcer ce point de vue, le gestionnaire de fonds compare le ratio cours/bénéfice de trois entreprises qui vendent aux consommateurs - Coca Cola, P&G et Mondelez – à celui des trois positions les plus élevées du fonds technologique. « La première série de trois est commercialisée pour 19 fois le bénéfice. Pour Apple, Google et Facebook, c’est 20 fois. Un peu plus élevé, donc, mais, alors qu’on attend cette année une croissance du profit de 8 pour cent pour les premières, on parle de 15 pour cent pour les entreprises technologiques. »
Le manager souligne en outre la position financière des entreprises technologiques. « Les trois entreprises qui vendent aux consommateurs ont, ensemble, une dette nette de plus de 50 milliards de dollars, tandis que les trois actions technologiques disposent de liquidités pour 295 milliards de dollars. De plus, avec les réformes fiscales américaines, elles ont annoncé des paiements de dividendes ainsi que des rachats de parts. Une autre raison qui les rend moins chères qu’auparavant. »
En ce qui concerne les entreprises technologiques notées en bourse, Clode s’enthousiasme sur des entreprises comme Cisco, Microsoft, mais aussi Amazon. Il affirme pourtant ne pas chercher que des entreprises connaissant une croissance rapide. « Nous chassons aussi parmi les entreprises moins bien évaluées, mais essayons toutefois de ne pas tomber dans le ‘piège de la valeur’. »
Le point commun entre les investissements de Clode et ses collègues, c’est le « hype cycle » de Gartner, qui identifie la manière dont les nouvelles technologies parcourent le cycle allant de la promesse à l’acceptation. « Chaque fois qu’une nouvelle technologie arrive sur le marché, les actions qui s’y rapportent sont ‘overhyped’. Une action augmente vite, pour connaître ensuite une importante baisse et parvenir à un plateau. »
Blow up
Les choses sont finalement très prévisibles, conclut le gestionnaire de fonds. « Le sentiment des investisseurs est donc d’une grande volatilité. Ils achètent parce qu’un jeune de 22 ans annonce qu’il sera le prochain Steve Jobs et prétend avoir conçu la meilleure technologie de tous les temps. Beaucoup d’investisseurs vont le croire et acheter des actions alors que l’entreprise ne gagne pas le moindre centime. Les investisseurs sont ensuite déçus, alors les cours baissent et une action peut parfois perdre 60, 70 ou 90 pour cent. »
Clode préfère donc acheter après ce « blow up », une fois que la déception s’est emparée du marché. En effet, ce genre d’entreprises technologiques a encore beaucoup à faire en termes de croissance.
En outre, ce fonds est surpondéré en produits internet, mais sous-pondéré en hardware. Ce sont surtout les entreprises dont l’infrastructure repose sur le cloud qui peuvent espérer l’approbation de l’équipe. « Et l’année dernière, nous avons même ajouté un peu d’intelligence artificielle à notre portefeuille. »
Reste-t-il encore suffisamment d’opportunités cette année ? Clode fait observer que les actions de son fonds devraient atteindre, ensemble, une croissance de 26 pour cent. À cet égard, l’augmentation générale des cours du secteur technologique le rend optimiste. « Nous sommes heureux que notre fonds se soit bien porté l’année dernière. Notre style de placement tient un peu plus compte des risques ; c’est un style qui s’en sort souvent moins bien sur un marché haussier fort, comme en 2017. »
« Ce qui nous a aidés, c’est le fait que, l’année dernière, de très nombreux secteurs et actions se sont bien portés. Il est beaucoup plus sain de tirer ses rendements d’une performance boursière largement soutenue. Les bénéfices sont alors plus durables. »