En 2023, les Pays-Bas occupent la dixième place mondiale en termes de productivité du travail. Comme pour un nombre croissant de palmarès, le pays a déjà été mieux classé. Même aux Pays-Bas, l’intelligence artificielle (IA) peut contribuer à une nette amélioration de la productivité.
Il y a quelques semaines, la fintech suédoise Klarna a annoncé qu’elle économiserait 40 millions de dollars en remplaçant 700 employés par un assistant IA. En un mois, cet assistant a passé 2,3 millions d’appels en un mois, soit les deux tiers de tous les chats du service clientèle. Et il se montre plus précis dans la résolution des problèmes, ce qui a entraîné une baisse de 25 % de la répétition des questions. Les clients règlent leurs problèmes en moins de deux minutes, contre 11 auparavant.
Il m’arrive aussi de devoir appeler une banque aux Pays-Bas. Or, les établissements bancaires sont devenus quasiment injoignables : après une attente extrêmement longue, le client ne reçoit pas de réponse à sa question. Les personnes qui bénéficient d’un service de gestion spécifique ont de la chance, car elles peuvent en permanence contacter quelqu’un. Le potentiel d’amélioration est donc énorme.
Tavail abrutissant
L’intelligence artificielle est particulièrement douée pour les tâches ennuyeuses et abrutissantes, qui pullulent souvent dans les grandes organisations. Les gens font les choses parce qu’ils les ont toujours faites de cette manière. Ils font partie d’un processus, d’une chaîne de montage, et essaient tant bien que mal de maintenir leur pré carré en ordre. Les responsables de cette chaîne de montage sont payés en fonction du nombre d’employés qu’ils ont sous leurs ordres. Cela encourage la création de leurs propres empires : embauchez autant de personnes que possible pour que le chef obtienne un poste plus élevé. Bien sûr, il est préférable de laisser quelques postes vacants afin de pouvoir renoncer à quelques ETP lors de la prochaine vague de licenciements.
Les individus sont souvent payés pour leur présence et non leurs performances, et le télétravail n’a guère changé la donne. De fait, les collègues échangent tous leurs tuyaux pour faire naître l’illusion qu’ils travaillent dur à la maison : ils se connectent à Teams dès leur réveil, envoient au moins un message par jour à leur patron, demandent conseil à leurs collègues, trouvent des moyens astucieux de déplacer la souris, etc. Le potentiel d’économies grâce à l’intelligence artificielle est énorme, même pour ceux qui télétravaillent. Certaines grandes organisations, aux Pays-Bas, peuvent continuer à fonctionner parfaitement même en réduisant de 90 % leur personnel. Les Néerlandais sont doués pour se maintenir mutuellement au travail.
L’énigme de la productivité
Le ralentissement de la croissance de la productivité aux Pays-Bas et dans d’autres économies développées contraste fortement avec le rythme toujours plus rapide du développement technologique. C’est ce que l’on appelle l’énigme de la productivité. Aujourd’hui, une partie du développement technologique incite les gens à ne pas travailler. Passer la journée à regarder des vidéos sur TikTok ou le clip de Gangnam Style n’est pas très productif.
Mais la productivité n’est pas si facile à mesurer. Si l’envoi d’une lettre coûte un euro, mais que l’envoi de 100 courriels est gratuit, l’amélioration de la productivité est incommensurable. De plus, grâce à la politique monétaire généreuse de ces dernières années, les entreprises peu productives sont maintenues en vie pendant longtemps, faute d’incitation à s’améliorer sur ce plan. Nous devons toutefois veiller à ce que le libre marché subsiste. Cette situation est heureusement en train de changer, du fait des pénuries sur le marché du travail. Si l’on ne trouve pas de personnel, une machine peut peut-être se charger des tâches, et les possibilités de l’intelligence artificielle sont immenses, en particulier dans un pays comme les Pays-Bas. Si l’IA peut prendre en charge de nombreuses tâches dans l’industrie manufacturière, l’IA générative peut en assumer encore davantage dans les services. Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour que les assistants IA conversent entre eux.
Hausse des salaires… ou des marges bénéficiaires ?
Les gains de productivité ont pour avantage de permettre des salaires plus élevés, mais la question qui se pose est celle des bénéficiaires. Car ce ne sont pas les collaborateurs encore en poste chez Klarna qui vont se partager les 40 millions de dollars d’avantages liés à l’IA ; cet argent permettra une augmentation des marges bénéficiaires.
Selon Morgan Stanley, l’IA permettra une hausse de quelque 30 points de base des marges bénéficiaires de l’indice S&P 500 en l’espace d’un an. Goldman Sachs anticipe pour sa part 2% de croissance économique supplémentaire grâce à l’intelligence artificielle, en 2024 aux États-Unis. Contrairement à ce qui s’est passé ces dernières années, il s’agit donc de résultats mesurables. Le recours à l’IA permet donc de se recentrer sur la production ; le critère de présence disparaît, dans la mesure où un assistant IA est présent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’humain se retrouve donc en concurrence avec la machine.
La production au centre des décisions
Heureusement, il existe aussi de nombreuses fonctions dans lesquelles l’homme continue à jouer un rôle important. L’avantage de l’intelligence artificielle est précisément que l’homme peut devenir plus humain. Prenons par exemple – de façon pas tout à fait arbitraire – le domaine de la banque privée, qui est essentiellement une banque de relation : environ 70 % de ses activités concernent la relation entre le banquier privé et le client. Quant aux 30 % restants, ils doivent fonctionner comme sur des roulettes : les performances et les coûts doivent être au moins conformes à ceux de la concurrence et, surtout, les rapports ne doivent pas être placés dans la mauvaise enveloppe.
Bien entendu, le banquier privé du futur sera entièrement assisté par l’intelligence artificielle. L’onboarding des clients, qui prend beaucoup de temps et inclut notamment un volet de surveillance du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, est aujourd’hui typiquement une tâche si ennuyeuse et abrutissante qu’un assistant IA la réalisera de manière plus efficace. La productivité du banquier privé augmente ainsi à pas de géant, simplement parce qu’il ou elle est autorisé(e) à se limiter au contact humain. Un vrai bonheur. L’avènement de l’intelligence artificielle et, par conséquent, l’accent mis sur le rendement et la performance, signifient que de nombreuses conventions collectives devront être révisées. Après tout, les négociations collectives visent à égaliser les normes, à raisonner sur la base de la présence et non de la performance. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, l’évaluation des performances est inévitable. L’on peut visionner des vidéos TikTok sur le temps de travail, mais il ne faut pas s’attendre à être payé en retour.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank en Schretlen & Co.