Une forte baisse des taux d’intérêt a récemment offert aux investisseurs le meilleur mois depuis 2008. Une telle baisse des taux d’intérêt soulève automatiquement la question de savoir jusqu’où ils peuvent encore baisser.
Au cours du mois d’octobre, il est rapidement apparu que les taux d’intérêt américains avaient trop augmenté, raison pour laquelle j’avais recommandé une duration plus élevée que celle de l’indice de référence. Le 19 octobre, cette recommandation a été mise en œuvre en achetant les ETF TLT, spécifiquement axés sur les obligations d’État américaines assorties d’une échéance supérieure à 20 ans. C’était une semaine trop tôt, car ce n’est que la semaine suivante que le taux d’intérêt américain à dix ans a brièvement dépassé les 5 %. Comme ce taux est maintenant redescendu à 4,23 %, novembre a été le meilleur mois pour les investisseurs depuis 2008. Pour les investisseurs en obligations d’État américaines, il s’agissait même du meilleur mois depuis 1985. Une chute aussi importante des taux d’intérêt soulève automatiquement la question de savoir jusqu’où ils peuvent encore baisser.
L’année 2023 est celle de la désinflation. Les chiffres de l’inflation continuent de surprendre positivement. La seule chose qui parvienne encore à maintenir l’inflation de base américaine est la composante logement. Corrigée de cette composante, l’inflation de base a atteint l’objectif de 2 %. Compte tenu de la situation du marché de l’immobilier, on peut s’attendre à ce que l’inflation y diminue l’année prochaine également. Par contre, si cette baisse est intégrée dans l’inflation de base, il est même possible que cette dernière atteigne 0 %.
D’autres facteurs exerceront également une pression sur l’inflation l’année prochaine. L’effet des relèvements de taux d’intérêt se fait sentir avec un certain décalage, cette fois-ci plus important qu’auparavant en raison de la longue période de taux d’intérêt extrêmement bas, voire négatifs. De plus, grâce aux mesures de relance fiscale, les États-Unis connaissent un atterrissage en douceur, mais durant l’année électorale 2024, la probabilité que cela se reproduise est faible avec une majorité républicaine au Congrès. De plus, le marché du travail s’affaiblit à présent lui aussi. Depuis le creux de la vague, le chômage a augmenté de 0,5 %, mais il est vrai qu’il partait d’un bas niveau.
Taux d’intérêt nominal et inflation
Cependant, une récession américaine ne constitue pas le scénario de base pour l’année prochaine. D’un côté, c’est regrettable, car une récession ou une crise du système financier entraînerait inévitablement une forte baisse des taux d’intérêt. Les marchés financiers pourraient en tirer de grands avantages. Il suffit de penser à la seconde moitié des années 90, lorsque la crise asiatique, la crise LTCM et la crise russe avaient menacé de perturber les marchés. Les énergiques baisses des taux d’intérêt de la Réserve fédérale ont permis d’alimenter le rallye sur le marché boursier américain. Heureusement, un gouverneur de la Fed propose une solution. Il affirme que maintenant que l’inflation diminue rapidement, le taux d’intérêt nominal devrait également diminuer au moins aussi rapidement. Dans le cas contraire, le taux d’intérêt réel augmentera, ce qui pourrait freiner trop fortement l’économie. Si la banque centrale suit cette idée, le taux directeur pourrait baisser fortement l’année prochaine, même sans récession.
Au moment où l’évolution favorable de l’inflation entraînera une baisse du taux directeur sans qu’il y ait de récession, le marché se montrera extrêmement optimiste quant à la capacité des banquiers centraux à maîtriser l’inflation. Ils seront perçus comme des guérisseurs miraculeux. Une telle situation pourrait déclencher un scénario de type ‘Boucles d’or’, signifiant que la prime de risque actuellement associée aux fluctuations de l’inflation et aux récessions provoquées par la banque centrale est clairement trop élevée. Une bulle pourrait ainsi se former, à l’instar de ce qui s’est produit dans la seconde moitié des années 90. Ce n’est pas un hasard que le seul atterrissage en douceur réussi de l’histoire ait eu lieu en 1995, après quoi la Réserve fédérale avait maintenu le taux d’intérêt à un niveau élevé pendant une période prolongée.
À condition qu’il n’y ait ni récession ni krach financier l’année prochaine, un niveau de 3,5 % pour le taux d’intérêt à 10 ans semble être le maximum réalisable. Si une récession se produit, le taux d’intérêt pourrait descendre en dessous de 3 %, mais il semble peu probable qu’il passe sous les 2 %. Cela s’explique également par le fait qu’une récession induite par l’inflation est beaucoup moins grave qu’une récession provoquée par la déflation. Tout investisseur pense alors immédiatement aux deux corrections de 50 % survenues au cours de ce siècle sur le marché actions. Dans le cas d’une correction liée à l’inflation, 30 % semble être le maximum réalisable, et il reste à voir si l’effet exponentiel de la baisse des taux d’intérêt sera plus puissant que l’effet linéaire de la baisse des bénéfices.
Nouvelle normalité
Dès que la Fed parviendra à maîtriser l’inflation sans récession, il est probable que les anticipations d’inflation diminueront. En effet, ces anticipations d’inflation intègrent également une prime de risque liée aux futurs revers en matière d’inflation. Les guérisseurs miraculeux de la Fed pourront alors facilement contrôler cette inflation. La question reste cependant de savoir à quel niveau le taux d’intérêt réel doit se situer. Certains affirment qu’il devrait revenir au niveau prépandémie (moins de 1 %), mais il est possible que cet environnement, parfois qualifié de ‘nouvelle normalité’, soit remplacé dans le futur par une normalité encore plus récente.
Le taux d’intérêt réel pourrait être structurellement plus élevé. En temps normal, le taux d’intérêt réel est aligné sur la croissance réelle de l’économie. Plusieurs éléments indiquent que cette croissance réelle sera plus élevée au cours des prochaines années que lors des décennies précédentes. Cela s’explique principalement par l’augmentation de la productivité résultant notamment de l’intelligence artificielle. Cependant, d’autres investissements contribueront également à stimuler la productivité. De plus, nous savons que les guerres (froides) favorisent l’innovation et donc, la productivité.
La Chine et l’Inde
En outre, il ne s’agit pas seulement de la croissance réelle aux États-Unis, mais de la croissance réelle de l’économie mondiale, d’autant plus que la Fed, avec le dollar en tant que monnaie de réserve, est également la banque centrale du reste du monde. À présent, des pays tels que la Chine et l’Inde contribuent davantage à cette croissance que les États-Unis. De plus, de nombreux investissements y sont nécessaires dans des projets à forte intensité de capital (dans les infrastructures et la transition énergétique), tandis que les baby-boomers prennent massivement leur retraite et commencent à puiser dans leurs économies. Et il y a toujours le fardeau de la dette publique accumulée qui doit être financé. Il est probable que l’année prochaine, la composante cyclique prévaudra en ce qui concerne l’évolution des taux d’intérêt, mais à un peu plus long terme, le potentiel de baisse des taux d’intérêt semble limité.