L’on a pu observer au cours des derniers mois un net revirement dans les prévisions relatives aux taux d’intérêt. Les marchés s’attendent désormais à ce que la Fed réduise ses taux d’intérêt d’ici la fin de 2019, alors qu’ils prévoyaient initialement un statuquo. Ce revirement dans les prévisions trouve son origine dans les préoccupations concernant la croissance mondiale et les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, explique Keith Wade, chef économiste de Schroders à Investment Officer.
‹La révision à la baisse des prévisions d’inflation a provoqué une baisse des rendements obligataires sur les marchés développés. Parmi les principaux éléments qui y ont contribué, citons les déclarations de Mario Draghi qui a laissé entendre que la BCE envisageait des nouvelles mesures d’assouplissement. Conséquence : des obligations représentant une valeur totale de 12,5 billions de dollars d’obligations affichent actuellement des rendements négatifs.
Répétition du coup de maître de Greenspan ?
Keith Wade se demande si la Fed s’en tirera avec seulement une ou deux baisses de taux, comme en 1995 et en 1998. À moins que l’on soit en train d’assister au début d’un nouveau cycle d’assouplissement ? Keith Wade est enclin à penser que la Fed va opter pour un léger assouplissement dans l’espoir de remettre l’économie sur les rails. En 1995, Allan Greenspan avait appliqué cette recette avec succès, ce qui avait permis à l’économie américaine de faire un atterrissage en douceur.
Quant à savoir si cette recette fonctionnera à nouveau, cela dépendra en grande partie de l’ampleur du ralentissement de l’économie américaine et de la façon dont la Fed réagira à la croissance et à l’inflation. Keith Wade table pour l’année prochaine sur une croissance décevante aux États-Unis à cause de l’estompement de l’effet des incitants gouvernementaux et à cause des effets disruptifs du conflit commercial sino-américain.
Le rôle crucial des Capex
Le commerce ne suffit pas à lui seul pour faire dérailler l’économie américaine, étant donné que cette dernière est dominée à 85 % par l’activité intérieure. Le conflit commercial affecte la confiance des entreprises, ce qui se traduit dans l’économie réelle par des reports des dépenses des entreprises. Pour Keith Wade, les dépenses d’investissement (Capex) et l’emploi sont les points les plus vulnérables.
Les suppressions d’emplois ont augmenté de manière significative ces derniers temps et les dépenses d’investissement présentent elles aussi des signes de faiblesse. Keith Wade pense que si un choc économique survient, il ne viendra cette fois-ci pas des dépenses de consommation, mais plutôt des mesures d’économies décidées par les entreprises. En fin de compte, les consommateurs risquent d’en pâtir eux aussi au travers d’un tassement de la croissance et des salaires.
L’accent mis sur les dépenses d’investissement est important, car c’est un des facteurs décisifs pour savoir si l’économie va traverser une récession et, dans l’affirmative, pour en déterminer l’ampleur. La baisse des dépenses de consommation peut provoquer une récession, mais dans le climat actuel où les ménages ont réduit leur endettement et où les charges d’intérêt restent faibles, il est plus plausible que le choc vienne d’une contraction des dépenses des entreprises. Les consommateurs finiront par être touchés en raison de la croissance plus faible de l’emploi et des revenus, mais la cause est ailleurs.
L’accent mis sur les investissements des entreprises souligne l’importance du climat politique. Le monde des entreprises a besoin de perspectives claires, condition préalable à toute décision d’accroissement des dépenses. Au Royaume-Uni, l’incertitude entourant le Brexit fait payer un lourd tribut à l’économie. Le conflit commercial avec la Chine a un effet similaire aux États-Unis. Les risques géopolitiques restent élevés. Mais pour Keith Wade, l’économie ne se contractera pas tant que les bénéfices et les flux de trésorerie des entreprises ne seront pas davantage mis sous pression. C’est un phénomène progressif qui ne se fera sentir qu’en 2020.
Une inflation étonnamment basse
Entre-temps, l’inflation demeure étonnamment stable et basse. Étant donné la phase tardive du cycle, il y a de quoi s’en étonner. Cela indique que des facteurs structurels font baisser les prix et empêchent l’inflation de rebondir. Keith Wade pointe à ce sujet la concurrence féroce que le secteur de la vente au détail redoute de la part des boutiques en ligne. L’inflation basse est une caractéristique partagée par toutes les économies développées. Peut-être les États-Unis connaîtront-ils une pression à la hausse liée aux droits d’importation, à la hausse des prix pétroliers et au resserrement du marché du travail. Mais la Fed peut tolérer un niveau d’inflation légèrement supérieur à l’objectif. Cela ne devrait pas faire obstacle à un assouplissement en 2020.
Première modification des taux d’intérêts en juillet
Keith Wade s’attend à ce que la Fed ‹procède à une première baisse des taux d’intérêt lors de sa prochaine réunion à la fin juillet, puis à une deuxième baisse en septembre. Cette double baisse sera présentée comme un gage de croissance économique. Or, les circonstances sont très différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient en 1995. Au lendemain de la crise financière, il est permis de s’interroger sur l’efficacité du mécanisme de transition monétaire . C’est pourquoi Keith Wade pense que d’autres baisses des taux d’intérêt suivront en 2020. Il faudra par ailleurs être attentif à toute allusion de la Fed concernant le redémarrage de l’assouplissement quantitatif et une politique budgétaire plus active.›