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Avec l’acquisition d’AXA Investment Managers par le groupe bancaire français BNP Paribas, le secteur européen de la gestion d’actifs renforce sa position face aux « Américains ». Cependant, des efforts supplémentaires seront nécessaires pour enrayer l’exode des actifs sous gestion européenne vers les États-Unis.

La tendance à l’expansion dans la gestion d’actifs est-elle une bonne nouvelle ? Tout dépend du point de vue adopté : si les négociants et les actionnaires des sociétés de fonds peuvent gagner beaucoup d’argent grâce aux fusions et acquisitions, les clients ne partagent en revanche pas toujours cet enthousiasme. À long terme, ces opérations leur promettent des frais réduits, mais sur un horizon plus court, l’acquisition d’un gestionnaire d’actifs s’accompagne souvent de turbulences pour les investisseurs.

L’acquisition de la branche gestion d’actifs de l’assureur AXA par BNP Paribas, finalisée peu avant le début de l’année, illustre cette dynamique. Le groupe bancaire français fusionne AXA IM (860 milliards d’euros d’actifs sous gestion) avec son propre gestionnaire d’actifs, BNP Asset Management, qui gère 591 milliards d’euros. Avec près de 1500 milliards d’euros d’actifs combinés, ils se positionnent désormais dans le top 5 européen, mené par Amundi, Allianz et UBS.

Les analystes soulignent que cela peut constituer une « bonne nouvelle » pour le secteur européen de la gestion de fonds. Comme on le sait, les frais ont considérablement augmenté ces dernières années en raison des rémunérations, des exigences de conformité, des développements informatiques et de la recherche en matière d’investissement durable, mais les économies d’échelle pourraient permettre de réduire leur part proportionnelle. Par ailleurs, une collaboration « interne » apparaît indispensable pour préserver l’identité européenne du secteur de la gestion d’actifs. En particulier dans les grands pays comme la France et l’Allemagne, les investisseurs institutionnels privilégient largement les produits des « champions nationaux », tandis que les sociétés de fonds américaines n’ont pas toujours la cote.

Suivi renforcé

Une acquisition de cette envergure suscite également des inquiétudes chez les investisseurs, déclare Freddy van Mulligen, responsable de la sélection et du suivi des gestionnaires externes (marchés liquides) chez Achmea Investment Management. « Dès qu’une telle acquisition est annoncée, nous organisons un call avec la partie acquéreuse. Nous voulons notamment savoir ce qu’il adviendra des produits, des lignes de produits et des équipes, puis nous en informons ensuite nos clients. Les gestionnaires concernés font alors l’objet d’un suivi renforcé pendant plusieurs années. »

Une fusion ou une acquisition ne conduit donc généralement pas à une remise en question de la thèse d’investissement. « L’organisation constitue l’un des six piliers de notre processus de sélection et de suivi. La structure de propriété ainsi que la stabilité de l’organisation sont donc importantes, mais ne déclenchent pas, en règle générale, un signal d’alerte immédiat », explique Freddy Van Mulligen (photo). « Cependant, nous attendons une clarification dans un délai raisonnable, souvent dans l’année. Néanmoins, il arrive aussi qu’après deux ou trois ans, par exemple à l’issue d’une période de lock-up, des changements significatifs au sein des équipes se produisent, ce qui peut finalement conduire à une réévaluation. »Freddy van Mulligen

Le plus important est que les caractéristiques de la stratégie d’investissement demeurent intactes. « L’expansion n’est pas toujours bénéfique, estime Freddy Van Mulligen. Dans une catégorie comme les actions mondiales, je peux comprendre le raisonnement, mais dans des segments tels que les petites capitalisations ou le haut rendement, il est essentiel d’avoir spécifiquement accès à des émissions de moindre envergure. Dans ce cas, on préfère éviter que le gestionnaire n’augmente constamment sa taille, car on recherche au contraire une gestion à petite échelle. »

Géants de l’investissement passif

Cependant, l’échelle constitue le facteur déterminant dans les stratégies quantitatives ainsi que, bien entendu, dans l’investissement passif, qui ne cesse de gagner des parts de marché. Ces segments, en particulier, sont marqués par une domination croissante des acteurs américains. D’après les chiffres de Lestrade, un cabinet de conseil en due diligence pour le marché institutionnel, la part de marché des sociétés de fonds européennes a chuté de près de 30 % à 25 % au cours des cinq dernières années, tandis que celle des acteurs américains a bondi de 58 % à plus de 65 %. Cette évolution s’explique notamment par les acquisitions (comme celle de NN IP par Goldman Sachs), mais aussi par la prédilection d’un nombre croissant de grands investisseurs européens pour les géants de l’investissement passif, comme BlackRock et Vanguard. 

Pour Matthias Pezij, Managing partner chez Lestrade, « ces organisations, qui sont des sociétés exclusivement dédiées à la gestion de fonds, deviennent de plus en plus efficaces et sont en mesure de facturer des frais moins élevés grâce à leur échelle considérable. En Europe, seule Amundi est capable de rivaliser avec elles en termes de marge opérationnelle. »

Évolution de l’encours des gestionnaires d’actifs, de 2019 à 2024, en milliards de dollars
 

 

Lestrade a agrégé les données financières d’un indice composé de six gestionnaires d’actifs américains (BlackRock, JP Morgan, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Invesco et T Rowe Price), trois britanniques (LGIM, Schroders et abrdn) et six européens (UBS, DWS, Amundi, Allianz, AXA et Robeco). Il en ressort que les sociétés de fonds européennes affichent des marges opérationnelles tout à fait honorables. Cependant, Matthias Pezij (photo) précise que cette moyenne est faussée par l’excellente performance d’Amundi : « Bien qu’Amundi soit majoritairement détenue par Crédit Agricole, elle peut opérer de manière autonome en tant que gestionnaire d’actifs spécialisé. »
 Matthias Pezij

Marge opérationnelle des gestionnaires d’actifs, de 2019 à 2024

 

Les gestionnaires d’actifs intégrés à un groupe d’assurance réussissent moins bien, constate Matthias Pezij. AXA IM, avec une marge d’environ 30 %, ne se classe pas non plus au rang des leaders. « Plusieurs assureurs ont indiqué qu’ils ne considéraient plus la gestion d’actifs comme une activité principale. Ce sont donc ces acteurs qui attirent désormais l’attention du marché. »

Marge opérationnelle moyenne des gestionnaires d’actifs, de 2019 à 2024

 

Le « marché » se compose principalement de banques et de groupes bancaires. Plusieurs grandes banques européennes disposent actuellement de solides réserves de capital. Ces dernières années, elles ont surtout utilisé ces fonds pour racheter leurs propres actions, mais la prise de conscience de la nécessité de revoir leur modèle économique commence également à s’imposer. C’est pourquoi elles cherchent désormais à diversifier leurs sources de revenus. Dans ce contexte, un flux plus ou moins constant de commissions issues de la gestion d’actifs est plus que bienvenu. 

« Les investisseurs tirent rarement profit des consolidations »
« Les gestionnaires d’actifs affirment souvent que grâce aux économies d’échelle, les fusions et acquisitions permettent de mieux servir les clients. Nous nous attendons alors à ce que ces avantages soient répercutés sur les investisseurs, sous la forme d’une baisse des frais de gestion. Malheureusement, c’est rarement le cas dans la pratique ». Jeffrey Schumacher, Director Research Manager EMEA chez Morningstar, estime que cette augmentation d’échelle à l’œuvre dans l’industrie des fonds n’est pas nécessairement une bonne idée du point de vue des investisseurs. « Je comprends qu’une plus grande échelle assure une rentabilité accrue aux gestionnaires, ce qui favorise la stabilité de l’entreprise. Mais l’investisseur n’en retire presque jamais directement les fruits ».
Parfois, c’est même le contraire, par exemple du fait de l’impact d’une acquisition ou d’une fusion sur la gamme de fonds. Les deux parties sont en effet susceptibles d’avoir des stratégies qui se chevauchent, ce qui a des implications majeures pour les équipes. « L’on ne peut faire l’impasse sur les incertitudes qu’une telle situation suscite. Les gestionnaires d’actifs affirment toujours qu’une transition n’a aucun impact sur l’activité, mais je doute que ce soit le cas. Quoi qu’il en soit, les équipes n’ont pas besoin de telles distractions ».
La fusion de fonds n’est pas toujours bénéfique non plus, affirme Jeffrey Schumacher. « Certaines stratégies sont plus difficiles à mettre en œuvre lorsqu’un fonds devient plus important. C’est notamment le cas de celles qui ciblent les petites capitalisations ou la dette des marchés émergents. Dans ces domaines, on ne peut pas passer de 2 milliards d’euros à 6 milliards d’euros : des problèmes de liquidité se posent rapidement. »
Par ailleurs, Morningstar n’ajuste pas immédiatement les notations à l’annonce d’une fusion ou d’une acquisition. « Nous ne prenons pas nos décisions en fonction de ce qui pourrait se produire, mais uniquement en fonction ddes fais réels. Ainsi, même dans le cas d’Axa IM et de BNP Paribas, l’opération ne donne pas lieu à des ajustements immédiats. Nous avons attribué à ces deux gestionnaires une note Average, et cela restera le cas pour le moment. »

Une telle évolution vers de plus grands conglomérats financiers en Europe pourrait-elle freiner la croissance de la part de marché américaine dans la gestion d’actifs ? Matthias Pezij reste dubitatif : « L’efficacité opérationnelle est la clé, affirme-t-il. Prenez BlackRock, qui constitue aujourd’hui la référence. Ils se consacrent exclusivement à la gestion d’actifs et disposent d’une taille colossale qui leur permet d’investir en continu dans les technologies de l’information, ce qui les rend toujours plus efficaces. En revanche, les gestionnaires d’actifs qui sont intégrés à un groupe et n’ont pas le statut d’activité principale disposent de bien moins d’opportunités d’investissement. Il y a donc fort à parier que l’écart avec les sociétés de fonds exclusivement dédiées à la gestion de fonds ne fera que se creuser. » 

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