Hans Dieperink
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L’industrie est en train de quitter l’Europe. La guerre opposant la Russie à l’Ukraine a accéléré un processus entamé il y a bien longtemps.

Avant la guerre, déjà, le cycle économique poussait toujours plus d’industries à migrer vers ce que nous appellerons des « pays à faible revenu ». Ainsi, si une entreprise internationale possédant des usines aux États-Unis, en Europe et en Asie doit fermer certaines d’entre elles en temps de récession et de contraction de l’économie, c’est presque toujours en Europe que ces fermetures auront lieu, le coût de production y étant plus élevé qu’aux États-Unis et en Asie. Si une reprise économique permet ensuite de rouvrir de nouvelles usines, celles-ci se trouveront, par définition, en Asie, et non en Europe ou aux États-Unis. Cela signifie donc qu’une reprise de la croissance économique ne va pas de pair avec une relance du marché du travail. Chaque récession est suivie d’une croissance sans emploi, ou plutôt, avec des emplois exclusivement en Asie. Les mesures environnementales ont encore renforcé ce processus. Les prix plus élevés de l’énergie du fait du boycott de la Russie entraînent une fuite définitive de l’industrie européenne.

Ces deux dernières années, beaucoup de producteurs à forte intensité énergétique dans les domaines de la chimie, de l’acier, de la céramique, du verre et des engrais ont déserté l’Europe. L’énergie constituait une si grande part des coûts que leurs produits ne pouvaient plus rester compétitifs sur le marché mondial. Certains d’entre eux conservent peut-être encore un peu de capacité en Europe, dans l’espoir de jours meilleurs.

Payer l’énergie en dollars

Le boycott russe a néanmoins transformé pour de bon le marché énergétique européen. Alors que nous pouvions auparavant acheter de l’énergie aux Russes en euros et recouvrer ensuite ces euros sous forme d’investissements et de dépôts, ou bien directement en Russie (où les prix d’une bouteille de vin peuvent atteindre 1 000 euros), ou bien de la vente de villas de luxe à Londres, Paris et sur la Côte d’Azur, de luxueux yachts ou, s’il le faut, d’un club de football britannique, cette époque est à présent révolue. Nous devons désormais acheter de l’énergie sur le marché mondial et la payer en dollars ; des dollars que l’Europe doit d’abord gagner, en dépit des prix de l’énergie et coûts salariaux élevés.

L’énergie arrive à présent sous forme de GNL. Il s’agit de gaz naturel liquéfié, mais le fait qu’il faille transporter ce gaz naturel sur de bien plus longues distances signifie également que ses prix dépendent des évolutions du marché mondial. Il peut ainsi arriver que les prix du gaz grimpent en flèche en raison d’une grève ferroviaire en Australie où d’un manque d’énergie hydraulique en Chine dû à la sècheresse – le gaz naturel est souvent extrait par fracturation hydraulique. L’ironie de cette situation est que l’Europe regorge littéralement de schiste, dont elle pourrait elle aussi tirer du gaz naturel. Mais elle refuse de le faire pour des raisons environnementales ; des arguments qui ne comptent manifestement pas hors de ses frontières. En outre, l’importation de GNL entre elle-même en contradiction avec l’objectif de réduire les émissions de CO2. Du gaz naturel est perdu lors de l’extraction et du transport (le gaz naturel contient du méthane), et on en utilise tellement comme combustible qu’il serait finalement préférable d’utiliser les centrales à charbon dont nous disposons déjà pour produire de l’électricité. Enfin, s’il l’on ajoute à tout cela la durée de vie économique d’une installation GNL, on comprend vite à quel point il est absurde de qualifier le gaz naturel de « carburant de transition ». 

Longues chaînes de production

Bon nombre de ces industries disparues sont à la base de longues chaînes de production. Pour une grande part de la population européenne, la présence de nombreux produits et services va de soi. Quasiment personne ne réfléchit aux produits chimiques nécessaires rien que pour assurer le quotidien. Sans produits chimiques, la population mondiale ne pourrait être nourrie. Les Pays-Bas ont même le luxe de décider de réduire leur production alimentaire, alors que la famine fait rage dans d’autres parties du monde. Mais ceci ne constitue manifestement pas un argument dans les débats autour de l’azote. Pourtant, la disparition des industries à très forte intensité énergétique aura inévitablement un impact sur de nombreuses chaînes. Cela signifie par exemple que le secteur agricole, le secteur automobile, l’aéronautique, l’électronique, etc. vont eux aussi disparaître d’Europe, au même titre que des milliers de petites entreprises qui constituent actuellement la colonne vertébrale de l’économie européenne. En soi, ce n’est pas un problème, l’Asie étant sans aucun doute disposée à reprendre ce rôle. La question est simplement de savoir comment nous allons payer tout cela.

Consommer moins

Aujourd’hui, certains disent que nous devrions nous contenter de moins consommer. Ce rythme de consommation ne peut être tenu par toute la planète. Cela signifie avant tout une diminution de la consommation occidentale mais, eu égard notamment à la croissance économique et la croissance de la consommation en dehors de l’Occident, ce scénario est inenvisageable. On voit dès à présent, en Europe, les conséquences politiques d’un ralentissement, si minime soit-il. Si un recul écologique est possible, il doit avant tout provenir d’une réduction de la population mondiale, qui peut tout à fait se faire d’une façon humaine, comme l’Europe l’a d’ailleurs montré. Ainsi, les populations allemande et italienne diminuent car elles font moins d’enfants. C’est également l’exemple que montrent le Japon et, actuellement, la Chine. Même au Mexique, alors qu’il y a quelques décennies encore, une femme avait en moyenne 8 enfants, ce chiffre est aujourd’hui descendu à 2,3, soit juste de quoi assurer le renouvellement de la population du pays. 

Le secteur financier est du reste parfaitement en mesure d’aider à réduire la population mondiale. Beaucoup d’individus en Afrique ont des enfants en vue de préparer leur retraite. Dès l’instant où l’Occident riche sera en mesure d’offrir aux Africains un régime de pension correct (et réservé, par exemple, aux familles ayant moins de trois enfants), la croissance de la population pourra également s’y stabiliser. En outre, ce sont justement les pays riches qui font moins d’enfants. La meilleure mesure écologique à envisager est donc plus de croissance économique, mais avec moins d’enfants. 

Exporter les problèmes

Il est malheureux que l’industrie quitte l’Europe, car elle est souvent à l’origine d’innovation et de progrès. L’écologisation de l’industrie dépend à présent des Chinois, qui démontrent du reste qu’ils sont capables de grandes avancées dans les domaines des voitures électriques, des cellules photovoltaïques et des éoliennes. Ce phénomène va également rendre l’Europe moins attrayante aux yeux des investisseurs, simplement à cause d’une politique économique et environnementale irresponsable basée sur l’exportation des problèmes vers des pays soumis à moins de règles. Polluer l’environnement est acceptable, du moment que ce n’est pas en Europe. 

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank en Schretlen & Co..

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