Le Federal Open Market Committee (FOMC), l’organe de la Réserve fédérale en charge de la politique monétaire des États-Unis, se réunit cette semaine. L’explication formulée lors de la réunion du 20 septembre a entraîné une hausse des taux d’intérêt à 10 ans, qui ont fini par dépasser les 5 % à la fin du mois d’octobre.
Le président Jerome Powell avait présenté lors de cette réunion du FOMC la politique du ‘higher for longer’, rendue possible par le scénario de base d’un atterrissage en douceur. Cependant, il est désormais clair que les taux d’intérêt ne seront plus relevés. Les nouvelles favorables en matière d’inflation ainsi que le ralentissement du marché du travail en fournissent presque quotidiennement la preuve. Pourtant, il est possible que nous assistions cette semaine à une répétition de la rhétorique du 20 septembre. La Réserve fédérale ne veut pas que les marchés prennent trop d’avance sur la politique monétaire.
Les banquiers centraux, qui sont imprévisibles, ont l’avantage de pouvoir contrôler les marchés par leurs paroles. Alan Greenspan était un maître en la matière. Son explication de la politique était souvent émaillée d’énigmes avec lesquelles il créait délibérément du bruit. Sur le marché, on parlait de ‘Fedspeak’ ou de ‘Greenspeak’, en référence au monde d’Orwell dans 1984. L’objectif du Greenspan était d’atténuer les effets du cycle économique et lorsqu’il y est parvenu dans les années 90, il a créé l’économie ‘Boucles d’or’ : un environnement où tout était parfait, ni trop fort ni trop faible. En Europe également, la Bundesbank maîtrisait l’art de la rhétorique. Au milieu des années 90, cette banque centrale pouvait menacer pendant longtemps d’augmenter les taux d’intérêt sans jamais le faire. L’avantage pour les banquiers centraux est qu’ils ont eux-mêmes une influence directe sur les taux directeurs, mais peuvent utiliser la rhétorique pour orienter l’ensemble du marché des taux d’intérêt.
L’inverse est également possible. Peut-être en réaction au Greenspan, Ben Bernanke voulait au contraire être très prévisible quant à l’évolution des taux d’intérêt. Les séries de relèvements des taux d’intérêt au début de ce siècle étaient annoncées bien à l’avance par la Fed. L’objectif de Ben Bernanke était d’éviter les surprises et d’ainsi garantir la stabilité. Cependant, le marché a abusé de cette stabilité en augmentant l’effet de levier. Alors que la hausse des taux d’intérêt était censée contenir le marché de l’immobilier, la prévisibilité de ces taux d’intérêt a eu l’effet inverse : malgré la hausse des taux d’intérêt, une bulle immobilière s’est ainsi créée.
La génération actuelle de banquiers centraux est convaincue qu’ils ont mal interprété la situation. L’inflation a longtemps été considérée comme étant temporaire, comme une inflation transitoire. Rétrospectivement, il apparaît aujourd’hui que les banquiers centraux avaient raison à bien des égards. L’inflation causée par la pandémie et renforcée par l’invasion russe de l’Ukraine est en effet de nature temporaire. Il s’agit aussi principalement d’une inflation émanant du côté de l’offre de l’économie, qui s’est normalisée depuis lors. Cette inflation temporaire a été suivie d’une vague d’inflation des bénéfices, également connue sur le marché sous le nom de ‘greedflation’ ou ‘cupideflation’, mais celle-ci est également temporaire. Cependant, nous avons toujours à l’esprit l’image de Karl Otto Pöhl qui comparait l’inflation à du dentifrice : une fois qu’il est sorti du tube, il est impossible de l’y faire rentrer.
L’inflation de Karl Otto Pöhl était celle des années 70. Heureusement, cette fois-ci, les différences par rapport à cette période sont importantes. L’analogie est maintenant davantage de mise avec la seconde moitié des années 90, lorsque les banques centrales avaient également maintenu les taux d’intérêt à un niveau élevé pendant une période prolongée après l’atterrissage en douceur de 1995, mais la comparaison avec les années 1920 est peut-être encore plus pertinente. La pandémie avait été suivie d’une légère récession, qui avait ensuite débouché sur les années folles. À l’époque, nous avions cueilli les fruits de la révolution industrielle, tandis qu’aujourd’hui, nous récoltons ceux de la révolution informatique, ou quatrième révolution industrielle. À l’époque, cela avait été possible grâce à l’automatisation du travail humain. Aujourd’hui, un bond de productivité est rendu possible grâce à l’automatisation de la pensée humaine avec l’intelligence artificielle. Les marchés financiers sont particulièrement doués pour percevoir ce type d’opportunité à long terme, ce qui entraîne généralement une forte hausse des cours qui dégénère en bulle.
Les banquiers centraux d’aujourd’hui sont devenus dépendants des données en raison de leur propre incertitude. Curieusement, ils se tournent principalement vers des ‘lagging indicators’ ou indicateurs retardés typiques tels que l’inflation et le marché du travail. Après avoir commis l’erreur de considérer l’inflation comme transitoire pendant trop longtemps, ils ont ensuite commis celle, à la manière de Paul Volcker, de vouloir étouffer l’inflation. Afin d’éviter une nouvelle erreur, ils s’en tiennent maintenant à la politique consistant à maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé plutôt pendant trop longtemps, mais il s’agit là aussi d’une nouvelle erreur. Le 20 septembre, l’objectif de Jerome Powell était que sa rhétorique empêche le marché de commencer à intégrer des baisses de taux d’intérêt. Dans un premier temps, il y est parvenu avec brio, même si les indicateurs avancés annonçaient déjà une bonne nouvelle pour les indicateurs retardés. Entre-temps, une nouvelle série de baisses des taux d’intérêt pour l’année prochaine a été intégrée, ce qu’une douche froide rhétorique pourrait éviter cette semaine. En s’en tenant sciemment à une politique ‘higher for longer’, l’inflation ne fera que subir de nouvelles pressions l’année prochaine et il sera temps de réintroduire le terme déflation dans notre vocabulaire. Mais en même temps, cela pourrait bien conduire l’année prochaine à un super scénario ‘Boucles d’or’, voire à une répétition des années folles.