Depuis 2005 déjà, DWS étudie l’impact du changement climatique. « Au début, on nous prenait pour des fous… Mais aujourd’hui, tout le monde s’émeut des risques climatiques. »
Dans un entretien accordé à Investment Officer, Roelfien Kuijpers, directrice mondiale de l’investissement durable chez DWS, explique que le gestionnaire allemand considère le changement climatique comme un risque existentiel.
« Il est à espérer que la hausse des températures pourra se limiter à 1,5 degré Celsius, comme convenu dans l’accord de Paris sur le climat. Mais, au vu des derniers rapports scientifiques publiés, c’est un scénario peu probable. Après s’être stabilisées, les émissions mondiales de CO2augmentent de nouveau depuis trois ans. Si nous ne faisons rien, la hausse des températures sera de 3, voire 4 degrés d’ici la fin du siècle. C’est une véritable catastrophe. »
Le cri d’alarme d’Al Gore
Chez DWS, nous avons rapidement compris que le changement climatique représentait aussi un risque important pour les investisseurs. Mais tout le monde n’a pas été convaincu immédiatement. « En interne comme à l’extérieur, on nous prenait pour des fous : Nombre étaient d’avis qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de la question.
En 2006, nous avons donc invité Al Gore, qui venait de tourner le film Une vérité qui dérange et avait fondé Generation Investment Management. Spécialiste des questions climatiques, il était aussi capable d’en expliquer l’importance pour le secteur des investissements. Son intervention a fait réfléchir nos collaborateurs. »
DWS a donc mis en place un groupe d’étude dédié, qui a d’abord planché sur les risques liés à la transition énergétique, soit le passage d’une forte consommation de carbone à un monde peu gourmand en carbone, tant pour ce qui est des pays que des entreprises.
Les questions soulevées ont été nombreuses : « Quid des pays qui dépendent beaucoup des revenus de l’extraction pétrolière et gazière ? Et qu’adviendra-t-il si le secteur automobile se met à produire massivement des véhicules électriques ? »
Selon Roelfien Kuijpers, la transition énergétique aura lieu au cours des deux décennies à venir. Vingt ans, cela peut paraître long, mais les investisseurs doivent réaliser qu’elle a déjà un impact énorme sur les marchés d’actions. « Prenons l’exemple des services aux collectivités en Allemagne, qui connaissent une réelle baisse de valeur depuis dix ans ».
Il fut une époque où certains acteurs construisaient encore des centrales au charbon alors que la demande d’énergies renouvelables augmentait déjà fortement. Dans le secteur automobile, Tesla, aux États-Unis, affiche une capitalisation boursière trois fois supérieure à celle de Ford, alors que l’entreprise ne fait aucun bénéfice… La valeur de Tesla réside dans son business model, résolument axé sur l’avenir - à l’inverse de celui de Ford, encore tourné vers le passé. La question qui se pose est celle de la vitesse à laquelle ces entreprises vont pouvoir s’adapter. »
Et elle ajoute : « Les risques liés à cette transition pèsent déjà. Les marchés d’actions n’attendent pas vingt ans pour anticiper ce genre de tendances à long terme. Nos clients le savent, et tiennent désormais aussi compte des conséquences pour le secteur pétrolier ou aérien, notamment. »
Les risques physiques liés au climat
La transition énergétique n’est pas le seul risque climatique qui pèse. Depuis 2015, DWS étudie aussi les risques climatiques physiques, soit l’impact que peuvent avoir pour les entreprises les phénomènes climatiques extrêmes tels que les ouragans, les inondations et la sécheresse.
« Aux États-Unis, le fournisseur d’énergie PG&E s’est déclaré en faillite après avoir vu sa responsabilité engagée dans l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie. Autre exemple de risque physique, l’inondation qui a dévasté une partie de la Thaïlande en 2011, impactant de nombreux grands producteurs de semi-conducteurs. Les actions des acteurs sectoriels, mais aussi des entreprises technologiques dans leur ensemble, avaient subi de plein fouet les effets cette catastrophe. »
Enfin, il est essentiel aussi de prendre en compte les risques de la chaîne logistique, comme l’explique Roelfien Kuijpers : « Qu’un constructeur produise des voitures électriques, c’est une chose. Mais quel sera l’impact si sa chaîne de fournisseurs n’est pas durable ? À ce niveau-là, il convient d’envisager aussi bien les risques de transition que les risques physiques. »
Pour les risques physiques, DWS s’appuie sur les données de Four Twenty Seven, un cabinet spécialisé dans les risques financiers, qui a établi pour toutes les entreprises reprises dans les grands indices tels que le S&P 500 et le CAC 40 une cartographie des conditions climatiques de chacun des sites.
« Tous nos interlocuteurs nous parlent de ces trois types de risques climatiques et de leur inclusion dans les portefeuilles. Nous étudions les risques pour l’ensemble de nos investissements, dans toutes les catégories : actions, obligations, mais aussi placements alternatifs. »
Une véritable révolution
Notre positionnement sur les risques climatiques nous a ainsi permis d’obtenir des mandats de placement concrets. Ainsi, il y a deux ans, un assureur européen a demandé à DWS d’immuniser son portefeuille d’actions asiatiques contre le risque climatique. Avec Four Twenty Seven et un promoteur d’indices, nous avons conçu un indice qui devrait être proposé dès cette année. Des produits similaires devraient voir le jour pour d’autres segments de clientèle.
Il est grand temps, car selon Roelfien Kuijpers, une véritable révolution est en cours chez les détenteurs, mais aussi les gérants d’actifs. Le secteur privé, avec 130 000 milliards d’actifs sous gestion, veut et peut contribuer fortement à une résolution de ce problème climatique.
En ce qui concerne le secteur pétrolier et gazier, DWS ne préconise pas de désinvestissement massif, à l’image de ce que font d’autres investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension de la ville de New York. « Nous maintenons nos positions dans le secteur pour pouvoir imposer le dialogue et forcer les acteurs sectoriels à utiliser leur trésorerie nette pour investir dans des énergies renouvelables. S’ils ne nous écoutent pas, il sera alors toujours temps de désinvestir. »
En outre, nous ne pouvons du jour au lendemain renoncer au pétrole et au gaz, sous peine de paralyser l’économie mondiale. « Ce qui nous importe surtout, c’est de voir comment, sur une période prédéfinie, les entreprises effectueront leur transition vers un modèle d’affaires durable. »