« La réaction du marché consistant à vendre des euros est disproportionnée », « l’atterrissage sera difficile et la récession s’annonce » ou encore « la seule option est une fameuse augmentation des taux ». Les maisons de fonds se montrent bien pessimistes face à la situation en Turquie. Le risque de contaminer d’autres pays n’est toutefois pas alarmant, selon elles. Nous avons recueilli quelques réactions des maisons de fonds sur le phénomène « Turquie ».
Invesco : une euro-réaction « disproportionnée »
« Historiquement, les États-Unis ont toujours fait office de stabilisateur dans les conflits autour des devises. Or à présent, les Américains constituent précisément le facteur déstabilisant, explique Kristina Hooper, chief global market strategist chez Invesco, dans une vision du marché reprise dans la base de données de Investment Officer. Elle estime « peu probable » que Washington prenne le taureau par les cornes.
Elle s’attend également à ce que la contamination d’autres pays émergents reste limitée à ceux considérés comme déjà très vulnérables en raison de leur proportion élevée de financements externes, ou qui courent le risque de se voir infliger des sanctions américaines.
La stratège qualifie la réaction du marché consistant à vendre des euros de « disproportionnée ». « La BCE tient littéralement les plus grandes banques de la région à l’œil afin d’identifier une éventuelle exposition à la lire turque. Une exposition qui demeure plutôt limitée pour l’instant. »
Amundi : atterrissage difficile et récession en vue
Les spécialistes d’Amundi jugent les mesures prises par la banque centrale turque « loin d’être suffisantes ». Selon eux, une hausse des taux d’au moins 400 points de base, un refroidissement de l’économie afin de créer un nouvel équilibre ainsi que l’introduction de contrôles des capitaux s’imposent. Didier Borowski, responsable de la recherche macro-économique, doute toutefois d’assister à cette association de solutions à court terme.
Il craint plutôt un atterrissage difficile et une récession. « L’économie turque a mieux performé depuis la crise financière que celle de pays comparables. Mais c’est uniquement grâce à l’augmentation des dettes privées, principalement financées par des parties étrangères. »
Aberdeen Standard Investments : l’intérêt doit monter en flèche
« La seule option réaliste réside dans une nette hausse des taux », affirme-t-on chez Aberdeen Standard Investments. Viktor Szabo, senior investment manager, estime que plus longtemps la banque centrale turque s’en abstiendra, plus les paliers de taux seront difficiles à franchir.
Tout comme Kristina Hooper chez Invesco, Viktor Szabo souligne que le marché craint que les problèmes de la Turquie se propagent dans d’autres pays. « Certains marchés émergents, comme la Turquie et l’Argentine, ont en effet des comptes courants largement déficitaires mais dans d’autres, ce déficit est bien plus réduit. »
Selon l’investment manager, la Turquie a affaire à un « cocktail de problèmes » unique. « Le pays est devenu de plus en plus autocratique, l’économie connaît une surchauffe et n’a pas mis en place les réformes requises, et les institutions telles que la banque centrale sont compromises. Ces problèmes se sont accumulés comme de l’eau derrière un barrage. Le barrage s’est rompu, aucun autre pays ne rencontre tant problèmes de cette envergure. »
DWS : la crise ne sera pas résolue de sitôt
« La crise en Turquie n’est pas près d’être résolue », explique DWS. La montée de l’inflation, la dévaluation de la lire, la forte dépendance des financements à court terme et la politique monétaire peu orthodoxe du président font que la solution n’est pas encore en vue, selon la maison de fonds.
Et bien que DWS estime minime le risque de contamination d’autres pays par les problèmes de la Turquie, la situation actuelle du pays maintiendra tout de même la prudence et la volatilité des marchés financiers dans la période à venir. « Ce type d’évolutions peut faire grimper l’aversion au risque mondiale. Nous nous attendons à de nouvelles fluctuations des cours et restons prudents. Nous avons ramené notre position en obligations d’entreprises européennes au point neutre, mais sommes plus positifs que le marché envers les obligations spécifiques en devises fortes de marchés émergents. »
Julius Baer : « Une diabolisation pure et simple des taux d’intérêt »
Julius Baer qualifie les actions du président Erdogan de « diabolisation pure et simple des taux d’intérêt ». « La banque centrale n’a pas d’autre choix que d’augmenter les taux de manière agressive. Car selon la maison de fonds, l’attitude réservée de la banque centrale a pesé sur la lire. « Des signes croissants que le président Erdogan a étendu ses pouvoirs vers la banque centrale et a empêché les hausses de taux ont conduit à une vente de la monnaie sous l’effet de la panique. »
Nordea AM : Les turbulences turques engendrées par des raisons systématiques
« On peut démontrer que les turbulences qui règnent en Turquie sont dues à des raisons systématiques », explique Witold Bahrke, senior macro strategist chez Nordea AM. « L’intérêt américain à dix ans est passé sous les 2,9 %, a entraîné des pays émergents dans sa chute et pour la première fois en l’espace de six semaines, le S&P 500 a subi une semaine de pertes. À présent que le cours mondial des liquidités s’inverse et que les marchés se rapprochent de leur point culminant, les investisseurs cessent subitement de nier les problèmes turcs qui sévissent depuis un certain temps déjà. »
Selon Witold Bahrke, il est peu probable que le vent contraire des liquidités se calme d’ici peu, ce qui confirme sa vision prudente sur les actifs risqués pour le deuxième semestre. « Les investisseurs en actions doivent rester défensifs. Pour les investisseurs en titres à taux fixe, l’attractivité des obligations – en l’occurrence les obligations d’État américaines – ne cesse de s’améliorer. »