Kamala Harris envisage d’augmenter considérablement l’impôt sur les sociétés et de limiter les hausses de prix, mais ses projets suscitent peu d’enthousiasme chez les investisseurs et les économistes. Ils estiment que son programme, s’il est adopté, ne limite la croissance économique.
Le marché redoute qu’une augmentation de l’impôt de 21 à 28 % ne freine la croissance économique, tandis que la limitation des hausses de prix est perçue comme un pari risqué.
Le New York Post qualifie de « kamunisme » les nouvelles propositions économiques de Kamala Harris, dévoilées la semaine dernière lors de la Convention démocrate à Chicago. Donald Trump a remplacé Sleepy Joe par Comrade Kamala.
Au-delà des querelles politiques outre-Atlantique, les acteurs du marché et les économistes, hors de la sphère politique, ne se montrent pas davantage enthousiastes face aux projets du parti démocrate.
Rogier Quaedvlieg, économiste spécialiste des États-Unis chez ABN Amro, estime que ces propositions sont moins controversées que celles de Donald Trump, mais qu’elles pourraient tout de même affaiblir l’économie. Il juge surtout problématiques les limitations de prix ainsi que les propositions pour la prime d’accession au logement.
28 %
L’une des mesures phares du programme économique de Kamala Harris est l’augmentation du taux d’imposition des sociétés, qui passerait de 21 à 28 %. Pour les démocrates, cette mesure est essentielle pour financer les programmes sociaux et réduire les inégalités de revenus.
Bien qu’une hausse de l’impôt sur les sociétés puisse légèrement réduire la croissance, et donc atténuer l’inflation sous-jacente des biens de consommation, Rogier Quaedvlieg (ABN Amro) estime que cela n’aura pas de répercussions significatives sur la politique future de la Réserve fédérale : « La Fed devrait poursuivre l’assouplissement de sa politique monétaire en 2025, avant de stabiliser les taux à un niveau neutre. »
ABN Amro estime que la croissance économique globale pourrait ralentir d’environ un demi-point de pourcentage par an en raison de cette augmentation d’impôts. Les stratèges de Goldman Sachs ont calculé que chaque hausse d’un point de pourcentage du taux d’imposition pourrait réduire les bénéfices des entreprises du S&P 500 d’un peu moins de 1 %.
Contrastant fortement avec les propositions de Kamala Harris, Donald Trump a suggéré de ramener le taux d’imposition des sociétés à 15 %. Sa précédente réduction des taux d’imposition de 35 à 21 % en 2017 avait entraîné des hausses significatives sur les marchés boursiers américains.
Prix abusifs
Une autre proposition clé de Kamala Harris vise à lutter contre les hausses de prix exorbitantes dans les supermarchés.
L’idée d’instaurer une interdiction fédérale des hausses de prix pour les produits de première nécessité pourrait séduire les électeurs affectés par l’inflation, mais la réaction du marché demeure incertaine.
« La lutte contre les prix abusifs semble répondre aux accusations selon lesquelles l’inflation aurait été aggravée sous sa politique. Kamala Harris tente ainsi de faire d’une pierre deux coups », observe Rogier Quaedvlieg. « Elle désigne les entreprises comme responsables tout en proposant une stratégie pour prévenir de futures hausses de prix. »
« Cependant, le problème de l’inflation américaine est complexe et ne peut se résumer à la seule politique fiscale, même si celle-ci joue un rôle. Par le passé, les interventions sur les prix ont rarement produit les effets escomptés ; au contraire, elles ont même souvent entraîné une hausse des prix », ajoute-t-il.
Prime d’accession au logement
L’introduction d’une prime de 25 000 dollars destinée à aider les Américains à constituer un apport pour l’achat de leur premier logement suscite également peu d’enthousiasme.
Ce down payment assistance plan vise à répondre aux coûts élevés du logement, mais, compte tenu de l’offre limitée de logements, cette mesure pourrait paradoxalement entraîner une nouvelle hausse des prix de l’immobilier. Ce phénomène rappelle des situations similaires observées aux Pays-Bas. Bien que Kamala Harris ait exprimé son intention de construire davantage de logements, elle reste évasive sur les moyens concrets de réaliser ce projet.
« Ces propositions supplémentaires sont assez controversées d’un point de vue économique et ne suscitent guère mon enthousiasme, affirme Rogier Quaedvlieg. La question du financement reste également problématique. Comme elle semble reprendre en grande partie la structure budgétaire de Joe Biden, il faudra alors procéder à des coupes ailleurs afin d’éviter d’aggraver le déficit budgétaire. »
Des changements majeurs peu probables
Un Congrès divisé ou un Sénat dominé par les républicains pourrait contrecarrer les ambitions de Kamala Harris d’augmenter l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur la fortune.
Si les démocrates ne remportent qu’une victoire partielle, les changements les plus notables pourraient se limiter à une augmentation du taux d’imposition des personnes physiques pour la tranche supérieure, conséquence directe de l’expiration des réductions d’impôts de Donald Trump. Parallèlement, les allégements fiscaux accordés par Joe Biden aux ménages à faible revenu pourraient être prolongés.
Solita Marcelli, CIO Americas chez UBS Global Wealth Management, évalue la probabilité d’un tel scénario à 40 %. Elle anticipe un impact limité sur la croissance économique, l’inflation, la politique monétaire et le dollar américain. Cependant, les secteurs axés sur la durabilité et l’efficacité énergétique pourraient bénéficier d’un avenir plus favorable, tandis que l’industrie des combustibles fossiles et les services financiers devraient rester sous pression, comme elle l’indique dans une note adressée à ses clients.
Pour les investisseurs recherchant une stratégie peu influencée par les orientations politiques à Washington, Michael Zezas, Managing Director chez Morgan Stanley, suggère d’investir à long terme dans les actions européennes et japonaises, et de « privilégier fortement les crédits d’entreprises et les obligations hypothécaires. »
Dans une note adressée à ses clients, il précise que « le cycle économique a beaucoup plus d’influence sur les marchés boursiers que le président en exercice ».