
Selon l’expert en investissement Jan Longeval, les manœuvres de Donald Trump, qui semblent aller en tous sens, sont en fait le fruit d’un plan réfléchi. « En optant pour une thérapie de choc, il a involontairement hâté l’issue du dilemme de Triffin. »
« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a bien une méthode derrière la folie de Donald Trump », s’amuse Jan Longeval. « La logique qui sous-tend sa politique économique est disponible en ligne. Le document s’intitule A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System. Ce guide de restructuration du système commercial mondial a été rédigé par Stephen Miran, président du Council of Economic Advisers de Donald Trump. Il se lit comme un cours et un manuel. »
Le statut du dollar
Dans ce document, poursuit M. Longeval, Stephen Miran dénonce le recul de l’industrie américaine. « Le problème sous-jacent serait le statut de plus grande monnaie de réserve mondiale du dollar américain, qui entraînerait sa surévaluation permanente. Celle-ci rendrait les exportations américaines structurellement peu attrayantes, et l’industrie américaine se trouverait ainsi prise dans un cercle vicieux. »
« Stephen Miran se réfère à l’économiste belgo-américain Robert Triffin pour étayer son raisonnement. Selon ce dernier, un pays dont la devise sert de monnaie de réserve mondiale doit être prêt à faire face à des déficits des comptes courants au niveau de sa balance des paiements. Il faut donc plus importer qu’exporter et mettre une masse de dollars en circulation, pour que les autres pays puissent détenir suffisamment de liquidités dans cette monnaie en guise de réserves. »
Une existence autonome
« La monnaie de réserve mondiale a, pour ainsi dire, une existence autonome sur la scène internationale, parce qu’elle y joue le rôle de masse monétaire commune. Les pays exportateurs reçoivent des dollars mais, au lieu de les échanger contre leur propre monnaie, ils les conservent pour financer leurs échanges avec d’autres pays ou, par exemple, pour disposer d’une garantie suffisante. Si les dollars n’avaient que peu ou pas le statut de monnaie de réserve, ces pays préféreraient les échanger contre leur propre monnaie, ce qui affaiblirait le dollar et rendrait ainsi les exportations américaines à nouveau attrayantes. »
« Mais en raison du statut de monnaie de réserve du dollar, l’Amérique ne peut pas bénéficier de ce mécanisme d’autocorrection. Avec la croissance économique plus forte d’autres pays, comme la Chine, la demande structurelle de dollars devient encore plus forte, et l’Amérique voit les déficits de sa balance des paiements augmenter régulièrement. Selon Robert Triffin, cela érode la confiance dans la monnaie de réserve, à tel point que celle-ci finit par perdre son statut, entraînant un chaos mondial. C’est ce qu’on appelle le dilemme ou le paradoxe de Triffin. »
Il y a aussi des avantages
Le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar confère également à l’Amérique un certain nombre d’avantages, selon M. Longeval. « Les États-Unis peuvent ainsi emprunter davantage, au même taux d’intérêt, étant donné qu’il y a toujours une forte demande de dollars. À l’inverse, l’Amérique peut emprunter le même montant, mais à un taux d’intérêt inférieur. Selon certaines études, cela confère au pays un avantage de 0,5 à 1 % en termes de taux d’intérêt. C’est tout sauf négligeable, surtout si votre dette publique s’élève à 37 000 milliards de dollars. L’Amérique peut également utiliser le dollar comme une arme, en refusant à certains l’accès au système du dollar et en utilisant celui-ci pour geler ou confisquer des avoirs en dollars. »
« Donald Trump est conscient de cet avantage, mais il estime que l’équilibre est rompu. Les autres pays ne profitent pas seulement du système parce qu’ils peuvent exporter davantage vers l’Amérique. Ils bénéficient également du parapluie militaire américain et se livrent à des pratiques commerciales déloyales, surtout la Chine. Et Donald Trump veut que cela cesse. »
Quelle stratégie ?
Stephen Miran prêche pour la méthode du bâton et de la carotte. L’augmentation des droits de douane est le bâton qui sert à l’Amérique de moyen de pression dans les négociations, et la carotte est la prolongation de la protection qu’assure le parapluie militaire américain. Stephen Miran estime qu’il faut frapper, puis passer un peu de pommade. Les droits de douane ouvrent la voie à de nouveaux accords commerciaux. Ceux-ci débouchent ensuite sur un nouvel accord monétaire : l’accord « Mar-a-Lago », faisant suite à l’accord « Plaza », dans le cadre duquel des pays amis se montrent disposés à contribuer à l’affaiblissement du dollar. »
« L’accord de Mar-a-Lago oblige les autres pays à réduire leurs réserves en dollars ou à les convertir en obligations d’État américaines à très long terme qui ne produisent pas d’intérêts. Cet allongement du terme des « dettes de réserve » devrait permettre d’éviter la volatilité des marchés financiers et les dommages économiques qui en résulteraient. »
Peter Navarro
Stephen Miran est donc plutôt modéré, selon M. Longeval. Il prescrit en effet l’introduction progressive de prélèvements punitifs, avec diplomatie pour éviter de perturber les marchés financiers. « Donald Trump adhère pleinement à la pensée de Stephen Miran mais, sous l’influence du faucon Peter Navarro, il a choisi une thérapie de choc, qui correspond mieux à sa personnalité. Il a involontairement provoqué l’aboutissement du dilemme de Triffin : une crise de confiance dans le dollar. »
« Il est révélateur que les taux d’intérêt du gouvernement américain soient désormais plus élevés que les taux swap interbancaires. Donald Trump s’est littéralement tiré une balle dans le pied, et doit maintenant faire marche arrière en toute hâte. C’est la bonne nouvelle. Mais nous ne voyons pas encore le bout du tunnel. Stephen Miran est certes plus modéré, mais il est néanmoins partisan de droits de douane moyens de 20 %, soit nettement plus que les 3 % du passé. Il y voit un moyen d’accroître le bien-être des États-Unis, du moins si les autres pays n’augmentent pas leurs droits de douane. Cela me semble une hypothèse bien optimiste. »
« Peter Navarro et Donald Trump ont par contre raison de dire que l’OMC ne fait pas son travail correctement. Elle tolère de nombreuses pratiques déloyales, comme le subventionnement par la Chine de certaines activités économiques, ce qui permet ensuite à ce pays de s’emparer de parts de marché en recourant au dumping. Il est possible de remédier à ce problème. La seule question est de savoir si Donald Trump y parviendra avec une stratégie d’intimidation. Après le « Liberation Day » s’annonce donc pour Donald Trump un « Deliberation Day », au cours duquel il ferait bien de repenser en profondeur son approche actuelle. »
Chaque mois, Investment Officer sonde Jan Longeval, expert en investissement, sur sa vision de l’actualité économique et financière.