Noordpool
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Le changement climatique aura de lourdes conséquences sur les rapports de pouvoir dans le monde. De nouvelles régions stratégiques se créent et offrent d’importantes opportunités aux pays et investisseurs. La Chine commence d’ores et déjà à faire le tri.

Les grands voyageurs visitant l’Extrême Orient à la fin des années 80 ont pu s’en apercevoir pour la première fois : l’océan Atlantique, avec l’Europe et les États‑Unis, n’était plus au centre de la carte, au profit de l’Asie-Pacifique. Une expérience éprouvante pour les Occidentaux. 

Éprouvante, car nous vivions en effet dans un monde défini, après 1945, par une relation transatlantique forte entre les États-Unis et l’Europe qui avait posé les fondements d’une période de paix, sécurité et prospérité pour des décennies. Mais depuis que le président Deng Xiaoping a pris le pouvoir en 1978 et introduit une politique de la « porte ouverte », la Chine est sortie de son sommeil. Entre‑temps, l’image historique de « l’Empire du Milieu » s’est réapproprié la conscience collective des Chinois. 

L’émergence de l’Asie, et surtout de la Chine, implique une restructuration mentale et physique de la carte du monde. L’augmentation des relations transnationales et des flux commerciaux et financiers crée trois nouvelles régions stratégiques, comme le note l’Observer Research Foundation (ORF) indienne. Ces régions – en partie du fait de la politique « America First » appliquée par Trump – parviennent à sortir de l’ombre de l’ordre mondial transatlantique dans laquelle elles sont longtemps restées.

Trois régions stratégiques

Pour Samir Saran de l’ORF, ces trois nouvelles régions stratégiques du monde sont l’Indo-Pacifique, l’Eurasie et le pôle Nord. L’Indo-Pacifique regroupe les zones autour des océans Pacifique et Indien. Cette région bénéficie de l’impulsion de l’essor rapide de la Chine et de la politique d’expansion menée par le pays, par exemple avec la route de la soie qui mobilise des pays sur trois continents. 

La deuxième « construction », comme l’appelle l’ORF, est le regroupement géopolitique et économique de l’Europe et de l’Asie en le supercontinent Eurasie. La Chine joue un rôle important à cet égard, son pouvoir économique et politique croissant allant de pair avec la puissance financière déployée par Pékin pour des investissements et des prêts, par exemple pour le projet de la route de la soie. 

Mais une telle politique s’accompagne aussi de tensions. « Ce sont des plaques tectoniques géopolitiques qui se heurtent autant qu’elles coexistent. Il devient clair que les l’Est et l’Ouest vont devoir poser de nouvelles conditions à leur collaboration », écrit l’ORF.

Le pôle Nord

Enfin, il y a le pôle Nord qui, bien malgré lui, a acquis une grande valeur géopolitique, économique et stratégique en raison du changement climatique qui a créé de nouvelles voies de navigation dépourvues de glace. Pour l’ORF, cela va mener à ce que l’importance politique des océans Atlantique et Pacifique coïncident pour la première fois.  

Au mois d’août a été lancé un premier indice clair de ce que cela pouvait signifier : Mærsk, la plus grande compagnie de transport maritime du monde, a envoyé un bateau sur la route maritime du Nord. Couronné de succès, ce projet pilote a beaucoup attiré l’attention et alimenté l’espoir russe et chinois de la création, à terme, d’une nouvelle voie maritime réduisant radicalement la durée du transport entre l’Asie et l’Europe et diminuant son coût d’environ 40 pour cent.  

Depuis Mourmansk, sur la mer de Barents, la route part en direction de l’est, vers le détroit de Béring, qui sépare l’Alaska de l’Asie. La création de cette route nécessite cependant l’autorisation de la Russie, qui peut tirer un énorme profit financier et économique de la fonte des glaces dans l’océan Arctique. 

Cela fait longtemps déjà que le président russe Vladimir Poutine voit la signification stratégique et économique sans précédent de ce phénomène. Il a d’ores et déjà pensé à 250 projets (possibles). Ainsi, sur l’initiative de Poutine, un projet de gaz naturel liquéfié de 27 milliards de dollars a été lancé : le fameux projet Yamal LNG (pour liquid natural gas), sur la péninsule sibérienne de Yamal. Un projet cofinancé par la Chine.

Le changement climatique modifie en outre les implications des ambitions nourries par la Chine en tant qu’« Empire du Milieu », comme on a pu le voir clairement en 2014, lorsqu’une nouvelle carte du monde a été présentée, une carte déjà utilisée depuis longtemps par l’armée et les stratèges géopolitiques en Chine.

Ne laissant plus aucun doute sur les ambitions chinoises, cette carte représente la Terre verticalement : en son centre, souveraine, la Chine, entourée de cercles concentriques formés par la Russie, l’Afrique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Europe et, pour finir, l’Amérique du Nord (mais aussi du Sud), au bord, presque invisible. 

Le temps est impitoyable

Cette carte figure sur la couverture du livre China as a Polar Great Power de la Néo-Zélandaise Anne-Marie Brady. Selon la politologue, la Chine nourrit de grandes ambitions vis-à-vis du pôle Nord. Elle souhaite ainsi participer au financement du projet d’infrastructure russo-alaskain pour l’extraction du gaz naturel liquéfié sur le pôle Nord, « sous les yeux » du territoire américain de l’Alaska.  

La Chine travaille également à ce que les scientifiques nomment des « coalitions of convenience », des ambitions opportunistes dans le cadre desquelles des avantages et intérêts mutuels vont être recherchés. Le pays collabore ainsi avec le Groenland.   

Certaines parties impliquées craignent qu’en appliquant cette « diplomatie du chéquier » en Arctique, la Chine s’impose dans les négociations relatives à la région. Scott Minerd, chief investment officer de Gugenheim Partners, est d’accord avec cette inquiétude, mais il comprend aussi bien les motivations de la Chine. 

La région abrite des sources d’énergies insoupçonnées, énergie éolienne et solaire, mais aussi de l’hydrogène, de l’or, du cuivre, du titane, du nickel, du diamant, de l’uranium et des métaux rares. Minerd parle des « meilleures opportunités d’investissement de ces 12 000 dernières années ». C’est pourquoi Guggenheim Partners œuvre au lancement d’un premier fonds en vue de récolter 250 millions de dollars. 

Scepticisme

Les investisseurs restent néanmoins sceptiques pour l’instant. Ainsi, Marcel van Poecke, managing director de Carlyle International Energy Partners, a déclaré que « l’Arctique est une terre de pionniers, encore trop difficile à exploiter » car, même pendant les meilleurs mois, les vents violents limitent les forages. Les grands investisseurs institutionnels, qui gèrent au total 2 500 milliards de dollars, ont déjà appelé 100 groupes pétroliers et 30 banques à mettre un terme aux forages dans cette zone fragile d’un point de vue écologique.  

Pourtant, sur le plan politique, la course au pouvoir et au profit a commencé depuis longtemps. Ainsi, en 1996, huit pays voisins ont fondé le Conseil de l’Arctique, qui était essentiellement une collaboration à des fins de protection de la nature. Cette coopération était basée sur une confiance mutuelle mais, entre‑temps, la politique mondiale s’est imposée. 

L’Angleterre a pris le statut d’observateur, au prétexte qu’elle était « le voisin le plus proche de l’Arctique ». En 2013, la Chine est devenue observateur permanent en dépit de son extrême éloignement par rapport à la région. Lorsque l’Union européenne en a fait la demande, en 2015, celle-ci lui a été refusée. La course entre les grandes puissances a donc commencé – mais sans l’UE

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