Dans moins de trois mois, nous pourrons de nouveau voir à l’œuvre les meilleurs athlètes du monde lors des Jeux Olympiques, mais aussi du football de haut niveau lors du Championnat d’Europe. En attendant, des millions de personnes dans le monde écoutent le nouvel album de Taylor Swift. Mais tout ceci a bel et bien des répercussions sur la Bourse.
Eugene Fama est devenu célèbre dans les années 70, lorsqu’il formula son « hypothèse des marchés efficients », une théorie selon laquelle le cours d’une action doit exprimer toutes les informations disponibles, qui fut suivie par toute une série d’articles académiques portant sur l’« investisseur rationnel ». Si les investisseurs individuels pouvaient avoir un comportement irrationnel, ils étaient, « en moyenne (the wisdom of the crowd), rationnels », dixit les investisseurs rationnels.
La finance comportementale – une science mêlant psychologie, marchés financiers et prise de décisions financières – s’oppose à ces présomptions ; l’un de ses constats est qu’investissement et sentiment sont liés entre eux. Cela n’a rien de surprenant.
Un phénomène récent, cependant, est le lien entre le sentiment sportif et la Bourse. Avec les classiques du printemps, en cyclisme, à peine terminés et la Coupe d’Europe de football en Allemagne ainsi que les Jeux Olympiques à Paris en perspective, c’est une chose qu’il vaut mieux garder à l’esprit.
Pour étudier le sentiment sportif, les académiciens se sont penchés sur la Coupe du monde de football. Qu’ont-ils découvert ? Au lendemain de la victoire d’un pays, la Bourse grimpait en moyenne de 1,6 %, contre une baisse de 49 points de base en cas de défaite. Ceci équivaut à une perte mensuelle de plus de 7 %. Et plus le match est important, plus l’effet est prononcé, tant en positif qu’en négatif.
Les mouvements boursiers succédant à un résultat sportif ne s’observent pas qu’avec le football ; il en va de même pour le hockey sur glace, le basket-ball, le rugby et le cricket. Tous ces sports ont un effet similaire sur la Bourse. La recherche de distraction peut donc faire mal ! Le schéma ci-dessous montre les effets du Super Bowl au niveau d’une ville.
Effet du cours des actions des entreprises à proximité de l’équipe gagnante/perdante pendant le Super Bowl
Comment une telle chose est-elle possible ? Le fait que le volume d’actions négociées baisse considérablement pendant et juste après un match est une cause. Les informations mettent ainsi beaucoup plus longtemps à être exprimées dans le prix, avec à la clé une volatilité élevée. En effet, le spread bid-ask des actions se creuse énormément pendant les matchs, et ce, partout dans le monde.
Est-ce une mauvaise chose en soi ? Non. La recherche indique en effet que ce sont surtout les fameux noise traders – ces investisseurs qui agissent sans s’intéresser aux fondamentaux – qui se laissent facilement distraire. Les informations finissent donc bien, et même mieux, par être exprimées dans le prix ; cela prend simplement plus de temps.
Sentiment
Cela signifie-t-il qu’il nous faille abandonner toute distraction ? Peut-être bien. Le mois dernier marquait la sortie du nouvel album de la pop-star et nouvellement milliardaire Taylor Swift. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Que la négativité et/ou la positivité de la musique influencent notre humeur, ce qui a, à son tour, un impact sur la Bourse. Alex Edmans et ses co-auteurs démontrent, dans leur étude Music sentiment and stock returns around the world, l’existence d’un lien direct entre le sentiment musical et la Bourse. Si les investisseurs sont plutôt d’humeur négative (ce que l’on peut mesurer par leur comportement d’écoute), cela aura un effet négatif sur la Bourse.
Reste donc à espérer que les Belges seront performants aux JO et lors de la Coupe d’Europe, et que les chansons de Taylor Swift les mettront de bonne humeur.
Gertjan Verdickt est professeur assistant de finance à la KU Leuven et chroniqueur pour Investment Officer.