Seule la première affirmation est certaine. Le premier semestre 2021 a passé si vite que nous n’avons pas eu l’occasion d’accorder l’attention nécessaire à tous les développements économiques et financiers très intéressants. Les indicateurs économiques ont enregistré une reprise sans précédent aux États-Unis et en Europe au cours des six premiers mois de 2021, ce qui s’est traduit par des prévisions de croissance exponentielle des résultats des entreprises des deux côtés de l’Atlantique. Les perspectives industrielles européennes, en particulier, décollent.
Graphique 1 : Évolution des indicateurs de conjoncture industrielle aux États-Unis, dans la zone euro et en Chine.
La situation économique chinoise semble toutefois remarquablement faible depuis plusieurs mois, avec un déclin des activités liées à l’industrie et aux services. Les derniers chiffres indiquent que la croissance annuelle du PIB chinois devrait atteindre 6 %. Un chiffre très modeste au regard des normes chinoises, surtout si l’on considère les mesures importantes prises depuis le début de la pandémie. Peut-être s’agit-il d’une conséquence indésirable du taux de change élevé du yuan, tant par rapport au dollar américain que par rapport à l’euro ? Ou bien le déclin démographique commence-t-il déjà à produire ses effets ? Quoi qu’il en soit, ce scénario (inattendu) a déclenché une chute importante des cours des actions chinoises en 2021.
Quelles que soient les raisons du ralentissement économique, le gouvernement chinois ne reste pas les bras croisés et, après une pause de plus d’un an, est contraint de réduire à nouveau les réserves obligatoires des banques. Cela permettra aux institutions financières chinoises d’accorder (bien) plus de crédits. Associée à la baisse des coûts de financement, cette évolution devrait faciliter l’octroi de crédits aux entreprises et aux consommateurs dans le cadre d’une nouvelle tentative de revitalisation des secteurs de l’industrie et des services en Chine.
Graphique 2 : Diminution des taux de réserves bancaires en Chine
Par ailleurs, les dernières observations montrent également que les indicateurs ISM américains ont quelque peu faibli, tant pour l’industrie que pour les services. Toutefois, c’est précisément pour cette raison qu’ils offrent maintenant des prévisions plus réalistes et reflètent une croissance crédible et robuste qui sera réalisée dans les secteurs de l‘industrie et des services au cours des prochains mois.
Cela indique également une diminution du risque de surchauffe de l’économie. Après tout, le revers d’une reprise économique trop brusque est le risque d’une hausse significative de l’inflation, qui entraîne à son tour le risque d’une perte de la dynamique économique, sous le poids de l’augmentation des coûts de financement pour les investissements et la consommation.
Plusieurs indicateurs d’inflation américains indiquent désormais une augmentation substantielle du niveau des prix en 2021. Les indices PPI, CPI et PCE ont tous enregistré un bond remarquable depuis le début de l’année. Ce constat a été renforcé par la dernière publication de l’inflation IPC, qui a (largement) dépassé toutes les attentes et fait apparaître une augmentation de 5,33 % (!) du niveau général des prix en glissement annuel. Si l’on tient compte de la volatilité des prix des aliments et de l’énergie, cela indique une augmentation de 4,45 % par rapport à la même période de l’an dernier.
À première vue, c’est carrément effrayant, mais il convient de nuancer quelque peu ce terrible bond. Heureusement. Il peut en grande partie être attribué à l’évolution spécifique de certains produits dont le prix a récemment connu une forte hausse en raison de pénuries temporaires de l’offre, après la relance abrupte de l’activité économique.
L’exemple le plus notoire est probablement l’augmentation du prix des voitures et camions d’occasion. La pénurie critique de micropuces implique que les voitures neuves sortent des chaînes de montage avec de longs retards, augmentant temporairement la demande en quatre roues immédiatement disponibles . Mais ce bond gigantesque diminuera aussi naturellement avec la disparition progressive des goulets d’étranglement au niveau de l’offre.
Graphique 3 : Évolution des prix des voitures et camions d’occasion aux États-Unis
Un autre segment qui se distingue par des hausses de prix substantielles : les activités qui doivent soudain fonctionner à une cadence élevée après un arrêt économique presque complet. Les augmentations frappantes des prix dans les restaurants et les secteurs aéronautique et hôtelier en sont des exemples typiques. Ce dernier pratique même aujourd’hui des prix nettement supérieurs à ceux de la période prépandémie et pourrait donc revenir à sa tendance habituelle lorsque la conjoncture reviendra à une situation normale.
La banque centrale américaine, quant à elle, maintient que les hausses de prix actuelles ne sont que temporaires, d’une part en raison d’un déséquilibre provisoire dans les chaînes d’approvisionnement qui se résorbera lorsque l’activité économique reviendra à la normale. D’autre part, la forte hausse des niveaux de prix n’est qu’une réaction naturelle à la pression sur les prix en 2020, comme une balle que l’on maintient sous l’eau puis qu’on lâche brusquement.
Compte tenu de la reprise musclée de l’activité économique, une augmentation de l’inflation est inévitable, non seulement parce qu’il s’agit d’une contre-réaction naturelle à l’évolution négative des niveaux de prix durant les jours les plus sombres de la crise de 2020, mais aussi en raison de l’apparition de goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, qui se reflètent dans les parties les plus diverses de l’industrie. L’interruption de l’approvisionnement en composants se traduit par des pénuries allant des selles de vélos aux micropuces et entraîne des augmentations inévitables des prix de gros (mesurés par l’indice PPI), qui se répercutent lentement mais sûrement sur le commerce du détail (reflété par les indicateurs CPI et PCE).
Au passage, en additionnant les écarts mensuels entre les chiffres de l’inflation et son objectif à long terme (2 %) depuis le début de la pandémie, nous arrivons à la conclusion surprenante que nous venons d’atteindre zéro depuis l’épidémie de janvier 2020. En d’autres termes, la progression tardive de l’inflation l’an dernier a été compensée par la progression de 2021. Il se peut donc que les cabrioles du niveau des prix s’apprêtent à prendre fin.
Graphique 4 : Somme des écarts du niveau des prix par rapport à l’objectif d’inflation à long terme (2 %)
Toutefois, cette conclusion n’est valable que si le chiffre CPI est utilisé comme mesure de l’évolution générale des prix. La banque centrale américaine axe davantage sa politique sur le chiffre PCE qui d’une part, utilise une méthode de calcul différente mais d’autre part, utilise (principalement) une composition différente des biens et services représentatifs. Coïncidence ou pas, les variations de prix des voitures d’occasion ou des séjours à l’hôtel ont un poids nettement inférieur dans cet indice par rapport à au PCI. L’indicateur PCE accorde plus d’attention aux tendances à long terme de l’économie, ce qui signifie, entre autres, que les prix des loyers gagnent en importance. Et ce sont précisément eux qui se comportent de manière plus modérée.
Vous trouvez tout cela confus ? Vous n’êtes pas le/la seul(e). La complexité de la méthodologie, l’utilisation de différents types d’indices (IPC, PPI, PCE…), les différences dans la composition et la méthode de calcul et le jargon technique inaccessible font qu’il est difficile pour les non-initiés de se faire une idée claire des tendances inflationnistes réelles.
En outre, l’inflation attendue en retour des prix des obligations diffère considérablement des indices cités. L’inflation attendue se situe à un niveau nettement inférieur, ce qui est interprété comme l’expression de la confiance des marchés financiers dans l’attitude de la Fed. Cela montre qu’un niveau d’inflation plus élevé est effectivement attendu à l’avenir, sans toutefois menacer de se transformer en une spirale de hausse des prix, qui devrait à son tour être contrée par des augmentations substantielles des taux directeurs. Les doutes s’accumulent néanmoins, surtout après le taux d’inflation ahurissant publié lundi…
Graphique 5 : Évolution de l’inflation de base PPI, CPI et PCE aux États-Unis par rapport à l’inflation attendue.
Toutefois, cela ne signifie en aucun cas que les taux d’intérêt directeurs n’augmenteront pas aux États-Unis dans un avenir proche. Au contraire. Si la croissance économique devait se normaliser dans les années à venir, il serait naturel que les taux d’intérêt à court terme augmentent et s‘éloignent du taux zéro actuel. Actuellement, une augmentation des taux d’intérêt de 25 points de base est prévue en 2022 et deux autres augmentations en 2023.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’une catastrophe ; plus précisément, si les taux directeurs devaient rester gelés autour du taux actuel de 0 % pendant longtemps encore, cela signalerait une poursuite (inattendue) du malaise économique et des mesures supplémentaires d’étouffement pour contenir la pandémie. Pour les marchés financiers, les facteurs les plus importants sont la réaction des bénéfices des entreprises, la mesure dans laquelle la politique monétaire est affectée et la mesure dans laquelle la hausse de l’inflation se traduit par une augmentation des taux d’intérêt à long terme.
Une augmentation de 0,75 % des taux directeurs ne constituerait pas du tout un problème pour les marchés d’actions : l’augmentation de l’activité économique et la hausse des bénéfices des entreprises qui en découle permettent d’absorber progressivement ces mouvements à la hausse des taux d’intérêt à court terme.
Immédiatement après l’annonce des nouvelles déconcertantes concernant la reprise manifeste de l’inflation aux États-Unis, les taux d’intérêt à long terme n’ont que légèrement augmenté. Les observations les plus récentes font même état d’une baisse marquée des rendements américains à 10 ans (et dans la foulée, des rendements obligataires de la zone euro).
Graphique 6 : Évolution du taux d’intérêt à 10 ans aux États-Unis et dans la zone euro
La raison de ce recul est double : d’une part, les craintes de mesures supplémentaires visant à ralentir la montée en flèche du variant delta du virus, retardant encore la relance économique, sont réapparues. D’autre part, les chiffres les plus récents de l’emploi ont non seulement montré une forte progression du nombre d’emplois disponibles et de nouveaux postes vacants, mais l’attention des marchés financiers s’est surtout portée sur l’évolution des salaires.
On constate que, contrairement à la forte tendance à la hausse des mois précédents, les salaires ne progressent plus qu’à un rythme modéré. C’est important car l’accélération des hausses de salaires est une composante obstinée et difficile à juguler de toute évolution inflationniste.
Toutefois, avec une croissance mensuelle modérée de 0,33 %, l’augmentation moyenne des salaires reste actuellement dans une fourchette acceptable. Par conséquent, la forte tendance à la hausse de ces derniers mois est rompue plus tôt que prévu et les craintes d’une escalade des coûts de main-d’œuvre s’estompent (temporairement).
Les dernières indications ne montrent donc pas de risque de surchauffe pour l’instant, ce qui signifie que les taux d’intérêt à long terme subissent beaucoup moins de pressions à la hausse et que les marchés boursiers n’ont pas à craindre de fortes augmentations des coûts de financement.
L’optimisme des indicateurs économiques européens et américains est bien sûr largement dû aux efforts attendus des gouvernements. Les gouvernements du monde entier continuent à faire preuve d’une grande détermination pour prendre les mesures fiscales et monétaires nécessaires. Associée à des prévisions de taux d’intérêt modérés et à des résultats d’entreprises en forte hausse, cette perspective d’un boom économique imminent s’est traduite par des gains boursiers remarquables depuis le début de l’année. Même de l’ordre de 15 % (et plus) sur le Nasdaq, le NYSE Fang et l’indice composite S&P. Mais des gains similaires ont également été enregistrés sur les bourses européennes.
Graphique 7 : Évolution de différents indices boursiers (rendement net en euros)
Cependant, l’Europe est restée loin derrière ses rivaux américains au cours de la dernière décennie. Nous supposons que durant les prochains mois, les marchés boursiers européens rattraperont au moins une partie de l’avance américaine. Après tout, le boom attendu est déjà plus ancré dans les cours des actions américaines que sur le Vieux Continent, où la principale remontée des résultats des entreprises européennes ne se produira pas avant le second semestre 2021.
Toutefois, malgré la pondération accrue que nous accordons aux marchés d’actions européens, la position américaine reste surpondérée en raison de la performance fondamentale des entreprises technologiques américaines. Les attentes dans ce secteur restent élevées. La croissance moyenne prévue pour le trimestre en cours est estimée à 10 % de plus que les bénéfices records enregistrés jusqu’à présent. L’Europe, quant à elle, s’apprête à surprendre la communauté des investisseurs par un bond spectaculaire de sa croissance à partir du troisième trimestre.
Une bonne partie de ces attentes se reflète bien sûr déjà dans les cours des actions, d’où la course aux records qui se poursuit à Wall Street et sur les places boursières européennes. Pour mieux illustrer la force de la hausse boursière actuel des deux côtés de l’Atlantique, nous avons calculé pour vous la statistique suivante : au cours de la (demi-)année actuelle, l’indice composite S&P et l’EuroStoxx ont établi pas moins de 36 (!) nouveaux records quotidiens. Par rapport à d’autres excellentes années boursières (complètes) comme 2013, 2017 et 2019, c’est plus du double ! Si cela ne vous dit rien, sachez que cela signifie qu’en 2021, un nouveau sommet a été atteint en moyenne toutes les quatre séances de bourse. Impressionnant !
Bien sûr, après un tel mouvement ascendant, il faut compter avec de fortes averses occasionnelles. Dans le contexte actuel, cependant, nous interprétons de manière opportuniste un tel événement comme une occasion de reconstituer nos positions en actions à des prix plus bas.
Notre position en actions reste fermement surpondérée avec l’accent sur des choix tactiques ciblés dans des secteurs de croissance comme la technologie, la cybersécurité, la robotique, les Fintech et le secteur de la logistique. Les groupes géographiques se trouvent aux États-Unis, en Suisse, en Scandinavie et en Allemagne.
Nous résistons aussi manifestement aux modes du jour : malgré leur récente flambée, nous restons ostensiblement absents des grandes banques européennes classiques et des secteurs traditionnels des voyages et de l’hébergement. Ces segments sont des gisements d’inefficacité notoires et pèseraient inutilement sur notre rentabilité future. Comme indiqué précédemment, nous privilégions les valeurs issues des Fintech et de la cybersécurité, les banques d’investissement spécialisées ou des entreprises qui surfent sur la vague des nouvelles tendances du tourisme et des loisirs.
Nous préférons laisser aux autres les sentiers battus, comme les actions à faible valeur ou les métaux précieux. Conformément à nos perspectives économiques, nous privilégions les sociétés industrielles de qualité, choisies sur la base de notre modèle de sélection Quality-minus-Junk.
En outre, nous nous tenons délibérément à l’écart des impasses comme les marchés émergents, à une exception notable près, que nous faisons (définitivement) pour l’Inde. La Chine reste présente dans le portefeuille, mais sans aucun accent.
La composante obligataire de notre portefeuille consiste en une sélection équilibrée basée sur le rendement et la sécurité : un mélange d’obligations d’entreprises américaines et européennes, d’obligations d’État italiennes, polonaises et (dans une moindre mesure) tchèques et néo-zélandaises, ainsi qu’un accent notable et substantiel sur les obligations d’entreprises scandinaves et les effets publics chinois.
Notre modèle d’allocation d’actifs, qui s’est avéré si utile comme boussole lord des tempêtes financières de ces dernières années, veille à l’équilibre entre les rendements attendus et les risques nécessaires avec une fermeté tranquille, en tenant compte explicitement du profil de l’investisseur.