
Selon Joe Davis, économiste en chef chez Vanguard, la probabilité que le rendement des obligations américaines à dix ans dépasse 7 % avant la fin de la décennie est de 82 %. Et il y a même une chance sur cinq que le rendement que ce rendement soit supérieur à 9 %.
Ces prévisions étonnamment précises sont au cœur de Coming Into View, le nouveau livre de Joe Davis sur la manière dont les méga-tendances telles que l’IA et les déficits structurels affecteront les marchés. Il a présenté ces résultats mercredi au siège du Nasdaq à New York, à l’occasion du cinquantième anniversaire de Vanguard.
La précision des projections de M. Davis a de quoi laisser perplexe, mais il insiste sur le fait qu’elles ne sont pas faites à la légère. « Ce ne sont pas de simples chiffres. Je n’invente rien. C’est ce qui ressort de notre modèle scientifique », a-t-il déclaré.
Cette mise en garde intervient à un moment où les rendements augmentent. Les rendements à dix ans ont augmenté de 4,6 % cette semaine, tandis que ceux à 30 ans ont dépassé les 5 % après que Moody’s a revu à la baisse ses perspectives concernant la dette du gouvernement américain. Les investisseurs suivent de près l’avancement d’un projet de réduction des dépenses et de réforme fiscale et s’inquiètent de plus en plus de la dépendance continue de Washington à l’égard des marchés obligataires pour financer des déficits croissants.
M. Davis a souligné qu’il ne s’agit pas de prévisions à court terme, mais de scénarios fondés sur des probabilités élaborés à partir d’un nouveau modèle économique qui tient compte de l’intelligence artificielle, de la démographie et des tendances budgétaires. « Nous ne disons pas que cela va se produire à court terme », a-t-il expliqué à un groupe de journalistes à New York. « Mais nous attribuons des probabilités à des scénarios qui sont largement sous-estimés par les marchés. »
Pénuries et IA
Le modèle de M. Davis s’articule autour de deux forces opposées : l’effet inhibiteur de l’augmentation des déficits structurels et la stimulation potentielle apportée par l’intelligence artificielle.
« Nous sommes dans une épreuve de force, a-t-il affirmé. D’une part, les pénuries structurelles et le vieillissement de la population. D’autre part, le potentiel de l’IA à générer une augmentation de la productivité que l’on ne voit qu’une fois par génération. »
Vanguard attribue une probabilité de 50 % au scénario fondé sur l’IA, dans lequel l’automatisation permet à la croissance du PIB américain d’atteindre 3 % ou plus. La probabilité d’un scénario dominé par le déficit — où les emprunts publics constamment renouvelés évincent l’investissement privé et font grimper les taux d’intérêt — est de 35 %. La probabilité que la situation actuelle de faible croissance et de faible inflation se poursuive n’est que de 17 %.
La hausse prévue des taux d’intérêt découle directement du scénario de déficit. « Ce n’est pas une question de niveau d’endettement ou de ratio d’endettement en soi », a déclaré M. Davis à Nasdaq. « Il n’y a même pas de corrélation entre les niveaux d’endettement et la croissance économique future. Il s’agit du déficit structurel, du fait que ces déficits ne cessent de se creuser d’année en année. »
Cet élément, a-t-il ajouté, a atteint « un point culminant depuis les années 1970. » Selon M. Davis, il est « corrélé à plus de 70 % avec l’inflation attendue depuis les 100 dernières années ainsi qu’avec les taux d’intérêt à long terme », et constitue un facteur clé du taux d’intérêt neutre.
Selon lui, les marchés commencent à peine à réagir. « Pour l’instant, le phénomène est encore limité », dit M. Davis. « Mais les gros titres récents suggèrent que le problème pourrait bien s’accentuer à l’avenir. »
Implications pour les portefeuilles
Selon l’économiste en chef, si les déficits continuent à se creuser et si les rendements de l’IA sont inférieurs aux attentes, les chances que le rendement à 10 ans dépasse 9 % dans cinq ans sont de 22 %. « La probabilité qu’il dépasse 7 % est de 82 %. »
Dans un monde où les déficits dominent, des taux d’intérêt réels plus élevés font grimper les rendements obligataires, tandis que les actions sont confrontées à des valorisations plus faibles, à des bénéfices moindres et à un durcissement des politiques financières. « Dans un tel scénario, les performances des actions sont moins bonnes que celles des obligations, explique M. Davis. Les marchés ne tiennent pas compte de cet aspect-là pour l’instant ».
Dans son portefeuille modèle, Vanguard réduit l’exposition aux actions de croissance américaines, en particulier aux grandes entreprises technologiques, et privilégie les actions de valeur mondiales, les titres à revenu fixe et les actifs non libellés en dollars. « Il faut sous-pondérer la partie croissance du marché et investir davantage dans les valeurs de rendement et les marchés non américains », estime M. Davis.
La gestion active joue également un rôle, en particulier sur le marché obligataire, où des inefficacités subsistent. « Il y a de la place pour la gestion active », a dit M. Davis, « à condition que les coûts soient faibles et que les gestionnaires offrent une qualité démontrable. »
La valeur gagne « dans tous les cas »
Même si l’IA transforme complètement l’économie, ce ne sont pas nécessairement les valeurs de croissance qui en profiteront, selon l’économiste en chef. « Si l’IA se développe comme l’électricité ou l’internet, la véritable croissance de la productivité interviendra lors de la deuxième vague d’applications – dans les banques, les usines, les hôpitaux », écrit M. Davis. « Ce type de dynamique favorise généralement les actions axées sur la valeur et non les leaders technologiques précoces. »
Malgré l’enthousiasme récent des marchés boursiers pour les méga-capitalisations de l’IA, M. Davis pense que leur rôle de leader pourrait bien diminuer à mesure que des tendances macroéconomiques plus générales deviennent plus déterminantes. « Même si vous pensez que l’IA sera le remède, ce n’est pas une raison pour investir 80 % de votre capital en actions », conclut M. Davis. « Ces scénarios comportent des risques très différents et les investisseurs doivent se préparer, plutôt que de prédire l’avenir. »