La décision de l’Allemagne de convoquer des élections anticipées le 23 février pourrait entraîner une restructuration de sa politique économique et budgétaire, avec des répercussions sur le rôle des Bunds allemands en tant que pilier budgétaire de l’Europe.
En période d’incertitude, les investisseurs privilégient traditionnellement les obligations d’État allemandes (Bunds) à 10 ans en tant que valeur refuge. La grande liquidité de cet emprunt de référence pour les obligations d’État européennes, et sa tendance à prendre de la valeur en temps de crise ont renforcé son statut d’actif stabilisateur dans les portefeuilles de la zone euro. Cependant, les récentes turbulences politiques à Berlin, combinées à des défis économiques, commencent à éroder cette confiance.
« Certains redoutent que l’Allemagne ne soit contrainte de mobiliser des fonds pour se prémunir contre des crises commerciales ou géopolitiques imminentes, dans le sillage des élections américaines », a déclaré Benjamin Schroeder, stratège senior taux chez ING.
Depuis le début du mois d’octobre, le sentiment des investisseurs à l’égard des Bunds a sensiblement changé. Les prix ont reculé ces dernières semaines, faisant grimper le rendement des obligations d’État allemandes à 2,4 % plus tôt ce mois-ci, un niveau inédit depuis juillet.
Le dilemme des taux de swap
L’écart de rendement entre les Bunds et les taux de swap est devenu une préoccupation majeure pour les stratèges en revenu fixe, notamment en ce qui concerne les Overnight Index Swaps (OIS). Ces swaps permettent aux investisseurs institutionnels d’échanger des paiements à taux fixe contre des paiements à taux variable, afin de gérer le risque de taux d’intérêt et d’adapter leur stratégie aux conditions du marché.
Actuellement, le taux de swap à 10 ans s’établit à 2,32 %, juste en dessous du rendement des Bunds (à 2,33 % mardi après-midi). Ce spread de swap négatif, un phénomène rare, a suscité des inquiétudes quant au rôle des Bunds en tant qu’actif refuge ultime de la zone euro. Les analystes de Commerzbank y voient un « signal d’alarme clair ».
« Lorsque les investisseurs ne sont plus disposés à accepter que les rendements des Bunds soient inférieurs aux taux de swap, c’est le signe que les Bunds perdent leur statut d’actif refuge en temps de crise », a déclaré Hauke Siemssen, spécialiste des titres à revenus fixes chez Commerzbank, au Handelsblatt.
Robert Burrows, de l’équipe Bond Vigilantes de M&G, a quant à lui expliqué à Investment Officer que cette contraction des spreads de swap reflétait également des dynamiques de marché plus larges. « Nous avons observé une contraction des spreads de swap sur l’ensemble des échéances », a-t-il déclaré. « Cela s’explique en partie par la hausse des rendements des Bunds, mais aussi par la baisse des taux de swap, alimentée par une demande persistante de couverture des engagements des fonds de pension. »
Robert Burrows associe également cette tendance aux inquiétudes concernant la viabilité des finances publiques. « Alors que les gouvernements doivent émettre des volumes de dettes considérablement plus élevés, les investisseurs s’interrogent sur la viabilité à long terme de niveaux d’endettement toujours croissants. »
Tournant politique
La chute du gouvernement allemand a placé la politique budgétaire sous le feu des projecteurs ; les élections anticipées prévues en février en définiront l’orientation future. Un camp défend le maintien du frein à l’endettement (Schuldbremse), un dispositif constitutionnel limitant les déficits fédéraux, tandis que l’autre appelle à un assouplissement de la politique budgétaire afin de soutenir une économie en difficulté.
Chez M&G, Robert Burrows estime que le marché pourrait tolérer un niveau d’endettement plus élevé à condition qu’il soit géré de manière rigoureuse. « Le faible niveau d’endettement actuel de l’Allemagne lui offre le luxe d’emprunter davantage », explique-t-il. « Avec des garanties adéquates et des directives strictes incluant un recours à l’endettement raisonnable au service de la croissance, cela devrait être accepté. »
Selon lui, l’Allemagne pourrait augmenter son ratio dette/PIB actuel de 60 % d’environ 5 points de pourcentage, soit plus de 200 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, sans perturber de manière significative le marché obligataire. « Les taux d’intérêt demeurent historiquement bas, ce qui rend un tel niveau d’endettement parfaitement soutenable », observe-t-il.
Cependant, les défis auxquels l’Allemagne est confrontée ne se limitent pas à la politique budgétaire. Stefan Hofrichter, responsable de la macroéconomie chez Allianz Global Investors, met en avant des problèmes structurels tels que les coûts élevés de l’énergie, les obstacles bureaucratiques et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. La dépendance de l’Allemagne aux faibles coûts énergétiques et aux exportations vers la Chine l’a rendue vulnérable dans un paysage géopolitique en mutation.
Besoin d’une « réorientation claire »
« La Russie ne fournira pas d’énergie pendant longtemps encore, la Chine est devenue un concurrent dans de nombreux secteurs industriels et les dépenses de défense doivent être significativement accrues. Tout cela pèse sur les perspectives de croissance », déclare Stefan Hofrichter.
Malgré ces vents contraires, ce dernier demeure prudemment optimiste. « Une réorientation claire de l’économie est nécessaire, mais elle reste tout à fait réalisable », affirme-t-il, en établissant un parallèle avec les réformes transformatrices de l’ Agenda 2010 mises en œuvre en Allemagne il y a vingt ans, sous l’égide de l’ancien chancelier Gerhard Schröder.
Robert Burrows, pour sa part, se montre sceptique quant à l’intérêt d’investir dans les obligations d’État allemandes à l’heure actuelle. « L’Europe a été à la traîne en matière de croissance parmi les grandes économies, et a réagi en abaissant les taux d’intérêt de 75 points de base jusqu’à présent », explique-t-il. « Avec l’un des taux d’intérêt à 10 ans les plus faibles parmi les pays développés, l’Allemagne offre actuellement peu d’attrait à ce niveau. »