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Si une forte crise devait toucher les marchés, les grands fonds de pension néerlandais pourraient se retrouver en détresse financière, avertit la fédération européenne PensionsEurope. « Si tous les financements externes disparaissaient, nous aurions un problème. »

Les fonds de pension occupent, de par leur accent sur les investissements à long terme, un rôle fondamentalement stabilisateur pour le système financier au sens large, a récemment assuré Matti Leppälä, secrétaire général de PensionsEurope, lors d’une conférence à Bruxelles.

Ils ont néanmoins un talon d’Achille : leur utilisation massive de produits dérivés pour se prémunir des fluctuations du taux d’intérêt va de pair avec des risques de liquidité, potentiellement dangereux en cas de fortes turbulences sur les marchés. Si la valeur d’un produit dérivé baisse, un fonds de pension doit en effet verser une garantie en liquide, souvent sous un à deux jours. En outre, depuis un an et demi, les règles européennes en matière de garanties pour les fonds de pension sont devenues plus rigoureuses.

Pour Matti Leppälä , cela soulève une question clé : « comment les fonds de pension peuvent-ils acquérir suffisamment de trésorerie à utiliser comme collatéral en cas de difficultés réelles ? » Les fonds de pension sont des investisseurs à long terme et, à ce titre, ils ne détiennent pas beaucoup de liquidités, celles-ci ne rapportant rien. Si les banques ferment brusquement les robinets et que les fonds de pension ne peuvent pas non plus se tourner vers le marché des prises et mises en pension de titres ou les fonds monétaires (MMF), les ventes d’urgence d’investissements à long terme, comme les obligations d’État, resteront la seule option en cas de crise. Mais cela provoquerait encore plus d’ondes de choc sur les marchés financiers.

« L’usage des produits dérivés est très répandu, en particulier par les fonds de pension néerlandais (dont le portefeuille s’élève à 1500 milliards d’euros, ndlr), dominants en Europe. Si les fonds de pension ne parviennent pas à répondre à leurs appels de marge et se retrouvent sans couverture, cela pourra poser un réel problème », explique Matti Leppälä. Selon le dirigeant de PensionsEurope, les décideurs politiques européens doivent anticiper ce phénomène et endiguer ce risque. « Je n’ai pas envie de découvrir comment cela se passerait en situation réelle. Ce problème est bien réel et doit être résolu », affirme-t-il.

Liz Truss

Les fonds de pension britanniques ont déjà vécu ce scénario catastrophe en septembre-octobre 2022. Les plans budgétaires de la Première ministre d’alors, Liz Truss, ont été si mal accueillis par les marchés que le taux d’intérêt britannique a grimpé en flèche. Les fonds de pension avaient trop peu de liquidités pour répondre aux appels de marge de leurs contrats de swap de taux d’intérêt et n’ont eu d’autre choix que de vendre des obligations d’État britanniques, ce qui n’a fait que jeter de l’huile sur le feu des marchés financiers. La Banque d’Angleterre a finalement dû intervenir et calmer le jeu en rachetant massivement ces obligations d’État. 

Les experts estiment cependant, pour la plupart, que le risque que la zone euro en arrive à une telle extrémité est faible, le lien entre système de pension et obligations d’État y étant moins fort qu’au Royaume-Uni.

Les tests de résistance de de la Nederlandsche Bank et de l’Autorité des marchés financiers indiquent que « les fonds de pension sont, dans les différents scénarios testés, en mesure de répondre aux obligations de garantie des contrats dérivés, sans être contraints de vendre beaucoup de leurs investissements ».

Mais il sera alors essentiel que les marchés monétaires continuent de bien fonctionner, précisent DNB et l’AMF. « Cette dépendance au bon fonctionnement des marchés monétaires rend envisageables certains scénarios extrêmes dans lesquels les fonds de pension se verraient tout de même contraints de vendre des investissements ; par exemple, s’ils ne parviennent pas à trouver de liquidités sur le marché des prises et mises en pension, ou bien si les fonds monétaires n’arrivent plus à répondre aux demandes de retrait des investisseurs. » C’est précisément ce scénario qui inquiète également PensionsEurope.

« La question qui se pose est la suivante : dans quelle mesure les banques sont disposées à fournir aux marchés, notamment aux fonds de pension, des liquidités en période difficile ? » analyse Michiel Tukker, stratège en taux européens chez ING. Il rappelle que les banques sont soumises à une réglementation toujours plus stricte et réalisent en outre leurs propres analyses coûts-bénéfices. Par conséquent, même si la BCE fait preuve de générosité vis-à-vis des banques en matière de trésorerie, il n’est pas certain que cette dernière transite vers les établissements non bancaires en cas de crise.

BCE

Quelles sont les solutions ? Une première option consiste, pour les fonds de pension, à conserver davantage de liquidités comme réserve, mais cela générerait d’importants coûts d’opportunité. « Les montants impliqués et investis à long terme sont si importants que cela commencerait rapidement à chiffrer. Chaque millième de pourcentage de rendement compte. De plus, les fonds de pension peuvent difficilement prévoir avec exactitude leurs besoins en liquidités, qui dépendent de l’évolution des taux d’intérêt », précise Michiel Tukker.

Une autre issue consisterait à ce que non seulement les liquidités, mais aussi les obligations d’État soient acceptés comme garantie.

PensionsEurope estime que la Banque centrale européenne (BCE) devrait assister les fonds de pension en cas de crise de liquidité, comme elle le fait pour les banques. Ceci pourrait par exemple se faire par le biais des chambres de compensation, auxquelles les fonds de pension confieraient des obligations d’État comme garantie en échange de liquidités de la BCE.

On trouve déjà différents exemples de cette façon de procéder hors de la zone euro. En réaction au « Liz Truss moment », par exemple, le Royaume-Uni a permis aux fonds de pension, en cas de turbulences exceptionnelles sur les marchés obligataires, d’emprunter des liquidités à la Banque d’Angleterre en utilisant des titres d’État britanniques comme garantie. Ce dispositif est officiellement entré en vigueur la semaine dernière. 

« La BCE est cependant réticente à faire de même, peut-être parce qu’elle s’est toujours focalisée sur le secteur bancaire », note Matti Leppälä. Il établit à cet égard un lien avec l’Union pour l’épargne et l’investissement, anciennement Union des marchés des capitaux (capital markets union ou CMU) ; il s’agit du projet européen visant à émanciper des banques le financement d’entreprises européennes. « Si nous voulons vraiment que la zone euro soit moins dépendante des banques et offre un rôle plus fort aux établissements non bancaires comme les fonds de pension, il faut que la BCE accepte aussi d’octroyer une aide de trésorerie à d’autres parties. »

 

 

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