
La chute du Premier ministre François Bayrou a plongé la France dans une nouvelle crise politique. Pourtant, les marchés financiers n’ont guère réagi. Un rebond mondial des obligations d’État a maintenu la demande d’OAT à un niveau élevé ces derniers jours, masquant ainsi la fragilité de la situation budgétaire du pays.
Le contraste est saisissant : la France reporte les réformes et la dette publique atteint aujourd’hui 114 % du PIB, mais les investisseurs continuent allègrement de souscrire aux emprunts français. Cela en dit moins sur la confiance à Paris que sur les circonstances internationales qui ont soutenu les obligations assimilables du Trésor (OAT) : des spreads serrés, la recherche de rendement et la hausse des bons du Trésor américain à long terme.
Aymeric Guedy, gérant de portefeuille à taux fixe chez Carmignac, considère que la récente adjudication s’inscrit surtout dans ce contexte mondial. « Nous évoluons dans un environnement international où les spreads sont serrés et les primes de risque sous pression. Partout, les investisseurs achètent des obligations à long terme – des bons du Trésor américain, des Bunds et des OAT – alors que la faiblesse des statistiques américaines alimente les craintes d’une récession. La France en profite, ses propres fondamentaux ne suffisent donc pas a expliquer le phénomène », a-t-il déclaré à Investment Officer.
Liquidité
La valorisation et la liquidité du marché jouent également un rôle. « À plus de 80 points de base au-dessus des Bunds, beaucoup de pessimisme semble déjà être intégré dans le prix de l’OAT à 10 ans », indique Romain Grandis, gestionnaire de portefeuille chez DNCA. « Les grands investisseurs institutionnels continuent d’acheter de la dette française dès que les taux d’intérêt augmentent. »
La France est par ailleurs « une économie importante et très diversifiée », avec une note AA et un marché profond, selon M. Grandis. Même après une série de dégradations, la France reste « bien au-dessus du haut rendement et toujours trois crans au-dessus de l’Italie ».
Chez Allianz GI, Matthieu de Clermont souligne les choix tactiques. L’adjudication française de septembre a eu lieu vendredi dernier, alors que la chute du gouvernement était déjà prise en compte. « Certains ont vu dans l’adjudication un point d’entrée tactique », analyse-t-il rétrospectivement. Avec des taux à 10 ans à 3,5 %, le plus haut niveau depuis 2011, ce sont surtout des investisseurs nationaux qui ont participé. L’État français a levé 11 milliards d’euros.
Paralysie politique
Pour M. De Clermont, la plus grande préoccupation est la stagnation politique. « Un premier ministre intérimaire soulèverait à nouveau des doutes sur la viabilité du gouvernement, tandis qu’une dissolution parlementaire pourrait conduire à une nouvelle division de l’Assemblée nationale, prolongeant l’incertitude et nuisant au sentiment des investisseurs. »
Holger Schmieding, économiste en chef chez Berenberg, va dans le même sens. « La paralysie politique à Paris est une mauvaise nouvelle pour la France et l’Europe. Cela rend plus difficile la confrontation avec Donald Trump et Vladimir Poutine. « Plus que jamais, la responsabilité de défendre les intérêts européens incombe désormais à l’Allemagne », a-t-il déclaré.
Un abaissement de la note de crédit est imminent – Fitch pourrait prendre une décision dès cette semaine – mais M. Schmieding considère qu’une crise financière avec une contagion à l’échelle européenne est peu probable pour le moment.
Déficit persistant
Selon Gilles Moëc, économiste en chef chez AXA, les acteurs traditionnels s’accordent à dire que les solutions des partis populistes sont irréalisables, mais restent divisés sur la cause de la persistance du déficit : les réductions d’impôts ou l’augmentation des dépenses sociales. « Il y aura probablement un compromis a minima qui permettra d’avoir un budget pour 2026 et de maintenir les pressions du marché à un niveau supportable, mais sans réelle amélioration de la trajectoire », a-t-il indiqué.
Néanmoins, Aymeric Guedy prévient que la France pourrait devenir le maillon faible en cas de retournement du sentiment. La stabilisation de la dette nécessitera un effort budgétaire de 3,5 % du PIB – « un effort sans précédent dans l’histoire de la France » – alors que plus de la moitié des emprunts d’État sont détenus par des étrangers. « Si nous entrons dans un environnement d’aversion pour le risque et que les acheteurs étrangers réduisent leurs positions, la France sera touchée de manière disproportionnée. Contrairement à l’Allemagne ou même à l’Italie, la marge de manœuvre budgétaire est extrêmement limitée. »
Pour l’instant, les marchés semblent prêts à tolérer l’impasse. Le spread entre les OAT et les Bunds est proche de son plus haut niveau depuis plus de dix ans, mais reste loin des niveaux de crise. Les investisseurs apprécient la profondeur du marché et le soutien implicite de la BCE, même si Christine Lagarde devra « bien peser ses mots » jeudi pour éviter d’envoyer un mauvais signal.
Chez PGIM, GuillermoFelices estime que « pour les investisseurs à long terme qui peuvent supporter les fluctuations, les valorisations sont attractives. Les courbes des taux sont deux fois plus raides en France et en Italie qu’aux États-Unis et les rendements couverts sont attractifs, en particulier pour les investisseurs américains. »
Fardeau allemand
Le paradoxe est que le marché accepte le statu quo tant que la liquidité et les rendements l’emportent sur les risques. Ainsi, Paris risque de sombrer dans l’immobilisme, tandis que la deuxième économie européenne vacille et que Berlin se retrouve involontairement propulsée dans le rôle de pilier budgétaire.
« Emmanuel Macron peut encore déterminer la politique étrangère de la France », selon M. Schmieding. « Cependant, il n’a aucune prise sur le budget et aurait du mal à faire passer un accord international au Parlement. »
Alex Everett, d’Aberdeen, pense que l’impasse se poursuivra jusqu’à l’élection présidentielle de 2027. « Cela devrait maintenir les spreads sur les OAT à un niveau élevé pendant des mois, au moins autour des niveaux actuels. Nous continuons à sous-pondérer les prêts français par rapport aux autres pays. » Laura Cooper, de Nuveen, est d’avis qu’une hausse de 90 à 100 points de base peut attirer les chasseurs de bonnes affaires, mais considère que ce n’est pas suffisant pour que la société revoie sa sous-pondération de la dette française.
M. Guedy conclut par un avertissement : même si le marché peut offrir « un peu de répit » à court terme, les chiffres sous-jacents restent inquiétants. Les indicateurs budgétaires sont « au rouge ». « Aucun homme politique ne sera en mesure de fournir les efforts sans précédent qui s’imposent aujourd’hui. »