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Mohamed Ouaamari

Anversois d’origine marocaine, Mohamed Ouaamari (33 ans) investit en respectant les restrictions islamiques. Selon lui, d’autres gestionnaires de patrimoine pourraient également y trouver des opportunités. « Les investisseurs professionnels doivent réaliser qu’un immense marché les attend. »

« La relation avec Dieu est essentielle pour les musulmans. Nous tenons donc à suivre strictement toutes les règles imposées par l’islam », explique Mohamed Ouaamari (33 ans), dont les grands-parents ont émigré du Maroc vers la Belgique dans les années 1960. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est sur le point de devenir papa pour la première fois, au moment même où son bébé littéraire, Papa, hoe word ik rijk? (« Papa, comment devient-on riche ? »), conquiert lui aussi le monde.

coverAvec son livre, Mohamed Ouaamari souhaite offrir à sa fille l’éducation financière qu’il n’a lui-même pas reçue. Il y explore également le concept de la finance islamique. « En tant que musulman, les options d’investissement sont limitées, car l’islam interdit l’usage des intérêts. Un musulman ne peut ni percevoir un taux d’intérêt fixe, ni payer des intérêts, par exemple pour un prêt immobilier. »

D’où vient précisément cette interdiction ?

« En fait, les intérêts sont considérés comme un grave péché dans toutes les religions. C’est écrit dans le Coran, mais aussi dans la Torah et la Bible. Cela remonte à l’Antiquité, une époque où les taux usuraires étaient courants. Ceux qui avaient des dettes pouvaient être réduits en esclavage. Aujourd’hui, en tant que musulmans, nous restons profondément attachés à cette interdiction. »

Alors, comment peut-on investir de manière conforme à l’islam ?

« Il est permis d’investir dans des actions et des fonds indiciels, car ils génèrent un profit et non des intérêts. Dans l’islam, le partenariat mutuel est essentiel, avec une relation équilibrée entre les deux parties. Il ne doit pas y avoir de créancier et de débiteur. Ce qui est interdit ? Les obligations, en raison de leur taux d’intérêt fixe. Nous n’avons donc pas pu prendre part au récent engouement pour les bons d’État. »

« Une sorte de conseil de la charia, issu de la coopération entre pays islamiques, élabore des réglementations sur des questions modernes qui concernent les musulmans du monde entier, y compris en matière d’économie. Son principe fondamental est que les musulmans doivent eux aussi disposer d’alternatives pour se prémunir contre l’inflation. En effet, protéger son patrimoine est aussi une règle de l’islam. »

« En tant que musulmans, nous ne pouvons cependant pas acheter des actions de n’importe quelle entreprise. Aucune entreprise n’est totalement conforme aux principes de l’islam. Par exemple, les entreprises dans lesquelles les musulmans investissent financent certaines de leurs activités par le biais d’intérêts. Pour que cela reste acceptable, selon le principe que la nécessité justifie l’exception, des lignes directrices ont été établies. C’est dans ce cadre qu’est née l’Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions (AAOIFI), une organisation qui veille à l’application des règles islamiques au sein des institutions financières. »

Quelles sont les règles à respecter ?

Il existe trois directives. Premièrement, l’activité principale d’une entreprise doit être halal, c’est-à-dire conforme à la charia. Les fabricants de tabac et d’alcool sont donc exclus d’emblée, tout comme les compagnies d’assurance et les banques, qui génèrent des revenus grâce aux intérêts. En revanche, les éditeurs de logiciels, par exemple, sont généralement autorisés, mais en ce qui concerne les revenus d’intérêts, la règle veut que l’activité principale d’une entreprise soit pure – c’est-à-dire exempte d’intérêts – à 95 % au moins. Les 5 % restants doivent être purifiés par l’investisseur musulman lui-même : lorsqu’il réalise un bénéfice ou perçoit un dividende, il doit reverser cette part à une œuvre de charité. »

Deuxièmement, la part des dettes soumises à intérêt ne doit pas représenter plus de 30 % du bilan d’une entreprise. Au-delà de ce seuil, investir reviendrait à financer indirectement une entreprise basée sur des intérêts. Et troisièmement, une entreprise ne doit pas détenir trop de liquidités sur son compte, avec un maximum fixé à 30 % de sa valeur marchande. Sinon, ces fonds génèrent eux aussi des revenus d’intérêts. Grâce aux entreprises technologiques, dont le niveau d’endettement est nettement plus faible, il existe aujourd’hui beaucoup plus d’entreprises halal qu’auparavant, ce qui facilite légèrement les choix d’investissement. »

En tant qu’investisseur actif, vous pouvez faire screener individuellement les actions pour vérifier si elles sont halal, grâce à des applications comme Musaffa. Pour les ETF, il existe des versions islamiques excluant toutes les entreprises qui ne respectent pas les exigences de la finance islamique. Le nouveau promoteur d’ETF Wahed a fait la une, mais il existe aussi beaucoup d’ETF islamiques parmi les grands acteurs du marché. »

« D’ailleurs, les indices islamiques suivent assez fidèlement le marché global. Écarter certaines entreprises ne signifie pas obtenir de moins bons résultats. L’indice Dow Jones Islamic Market affiche des performances comparables à celles du Dow Jones classique. Mais en cas de crise financière, la version islamique affiche un peu moins de pertes. C’est logique, car lors des crises financières, les banques s’effondrent, or nous n’investissons pas dans celles-ci. En cas de krach boursier, les investisseurs musulmans s’en sortent donc mieux. »

Quels sont les autres investissements conformes aux principes de l’islam et donc, autorisés ?

« L’or est intéressant, car il constitue une sorte de fonds d’urgence. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est souvent offert comme dot aux femmes musulmanes. Dans le monde islamique, il existe également un vaste débat autour des cryptomonnaies. Certains érudits estiment que le bitcoin possède une valeur effective, notamment parce que de plus en plus de gouvernements commencent à le reconnaître. En réalité, le bitcoin s’intègre parfaitement dans la conception islamique de l’argent : il ne peut pas être créé à volonté, sa quantité est limitée et il n’est pas associé à des intérêts. »

« Il y a aussi les sukuk, une sorte d’obligation déguisée, mais conforme à la charia. Leur fonctionnement repose non pas sur des intérêts, mais sur les bénéfices et les pertes. Ces montages sont complexes, et parfois même cocasses. En Arabie saoudite, par exemple, lorsque le gouvernement a besoin de financement, il vend ses aéroports à des détenteurs de sukuk. Ceux-ci deviennent copropriétaires pour une période de dix ans et perçoivent en retour un rendement annuel de 2 à 3 %, en tant que sorte de revenus locatifs sous forme de coupon. À l’échéance, l’État les rachète et récupère ainsi la pleine propriété de l’aéroport. »

« Ces montages sont approuvés par la charia à condition que certaines exigences soient respectées. Les sukuk jouent un rôle important, car ils offrent aux investisseurs institutionnels une alternative islamique aux obligations ; c’est pourquoi ils sont autorisés. Selon la loi, ces investisseurs doivent maintenir une certaine réserve dans leurs portefeuilles, comme c’est le cas pour les fonds de pension, par exemple, qui ne peuvent être composés exclusivement d’actions. L’AAOIFI vient cependant d’introduire une nouvelle directive sur les sukuk. L’objectif est de surveiller plus strictement leur structure afin d’éviter qu’ils ne dissimulent en réalité des intérêts, tout en exigeant une plus grande transparence dans leur communication. »

Comment les musulmans actifs dans le secteur financier concilient-ils leur métier avec les règles de l’islam ?

« De nombreux musulmans optent pour des études en finance et intègrent ensuite le secteur de la gestion de patrimoine. Dans leurs décisions, ils ne se basent pas nécessairement sur les principes islamiques, mais suivent plutôt les règles conventionnelles et commercialisent aussi des produits financiers portant intérêt. Violent-ils alors leur foi ? C’est à chacun d’en décider pour lui-même, bien sûr. »

Enfin, que peuvent apprendre les gestionnaires de patrimoine de la finance islamique ?

« Les investisseurs professionnels doivent avant tout prendre conscience du fait qu’un immense marché les attend, un marché en pleine expansion mais encore largement inexploité. Il y a énormément de capitaux en circulation parmi les musulmans, qui représentent tout de même près de 10 % de la population belge. Il existe donc une réelle opportunité à saisir. Beaucoup de mes amis musulmans laissent dormir des milliers d’euros sur des comptes d’épargne sans intérêt, parce qu’ils n’ont pas le droit d’emprunter et manquent de connaissances en matière d’investissement, ce qui est absurde. Les musulmans sont prêts à payer pour des solutions financières adaptées, mais celles-ci doivent respecter les principes de leur foi. »
 

Papa, hoe word ik rijk? – Mohamed Ouaamari – ed. Borgerhoff & Lamberigts – 22,99 euros

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