Donald Trump, Kena Betancur / AFP
Donald Trump, Kena Betancur / AFP

La recrudescence du protectionnisme américain exerce une pression sur la Réserve fédérale. Les investisseurs tiennent à nouveau compte des perturbations commerciales, de la hausse de l’inflation et du ralentissement de la croissance américaine. Pour l’instant, l’Asie est la première touchée.

Donald Trump a publié lundi, via Truth Social, une série de lettres signées annonçant de nouveaux droits de douane sur les importations pour au moins une douzaine de pays. Les marchandises en provenance du Japon, de la Corée du Sud, de la Malaisie et du Kazakhstan seront frappées d’un droit de douane de 25 % à partir du 1er août. 

Selon des rapports de Politico et de Reuters, Washington a proposé à l’UE de maintenir un tarif de base de 10 % sur les importations européennes. Des exceptions s’appliqueraient aux secteurs sensibles tels que l’aviation et les spiritueux, ont déclaré un diplomate de l’UE et un fonctionnaire national impliqués dans les négociations.

L’Afrique du Sud doit s’attendre à des droits de douane à l’importation de 30 %. Les produits en provenance du Laos et du Myanmar seront taxés à 40 %. La Thaïlande est soumise à un taux de 36 %. Ces mesures représentent la plus forte escalade de la politique commerciale américaine depuis le retour de M. Trump sur la scène politique.

« Le principal effet sera probablement un ralentissement de l’économie et donc une pression sur la Fed pour qu’elle réduise ses taux d’intérêt »

Brad Setser, ancien économiste au Trésor américain.

« Une forte hausse des droits de douane crée des pressions ponctuelles sur les prix, mais l’effet principal sera probablement un ralentissement de l’économie et donc une pression sur la Fed pour qu’elle réduise les taux d’intérêt », déclare Brad Setser, chercheur principal au Council on Foreign Relations et ancien économiste au Trésor américain.

« M. Trump veut clairement une économie moins interconnectée avec le monde. D’où ces tarifs », explique M. Setser à Investment Officer.

La réaction initiale des marchés financiers a été modérée. L’indice S&P 500 a clôturé en baisse de près de 1 % lundi, après avoir atteint des records au début du mois. Les rendements des obligations d’État à long terme ont légèrement baissé.

Bientôt au tour de l’UE

Luc Aben, économiste en chef chez Van Lanschot Kempen, a écrit lundi que l’Europe restait nerveuse. « M. Trump a traditionnellement adopté une ligne dure à l’égard de l’Europe. C’est pourquoi les Bourses européennes ont clôturé la semaine dernière en léger retrait. Une mesure forte contre le continent pourrait facilement déstabiliser les marchés. »

Pourtant, M. Aben souligne que Washington est rapidement revenu à la table des négociations après le choc initial du 2 avril. « Cela montre à quelle vitesse les tensions peuvent s’apaiser, même après un début difficile. »

Lazard table sur 120 points de base d’inflation supplémentaire

Dimanche, M. Trump a déjà laissé entendre qu’il enverrait des « TARIFF Letters, and/or Deals » à un maximum de 15 pays, avec une date d’effet au 1er août. L’annonce de lundi, avec des taux et des objectifs spécifiques, concrétise désormais cette volonté, mettant peut-être fin à une période d’inertie de la part des investisseurs.

« Les États-Unis ont porté la moyenne pondérée de leurs droits de douane à l’importation au niveau le plus élevé depuis près de 90 ans », explique Ronald Temple, stratège en chef chez Lazard. « Début 2025, le taux moyen était encore inférieur à 3 %. Nous sommes maintenant à un peu moins de 16 %. »

M. Temple avertit que les conséquences pourraient être importantes. « Une augmentation de cette ampleur devrait entraîner une hausse de l’inflation sous-jacente américaine d’environ 120 points de base d’ici la fin de l’année. De nouvelles augmentations amplifieront cet effet et déprimeront également la croissance mondiale. »

Son avertissement intervient alors que les investisseurs ont déjà révisé leurs attentes quant à une baisse rapide des taux de la Fed, en partie en raison des données solides du marché du travail.

Baisse des taux d’intérêt en septembre

La Réserve fédérale ne devrait pas encore réduire ses taux d’intérêt ce mois-ci, mais devrait commencer à le faire en septembre. Les rendements des titres du Trésor à dix ans ont augmenté de 15 points de base, pour atteindre 4,4 % depuis le creux de juin. Le taux à deux ans évolue autour de 3,9 %.

Selon M. Temple, les dommages économiques n’ont pas encore été suffisamment pris en compte. « Depuis le report de 90 jours des « droits réciproques », les investisseurs ont largement ignoré l’impact macroéconomique et les implications pour les bénéfices des entreprises. »

« Mais cette inertie sera mise à l’épreuve lorsque l’impact inflationniste des droits de douane deviendra plus évident et que les entreprises commenceront à payer beaucoup plus cher, non seulement pour les produits finis, mais aussi pour les pièces assemblées aux États-Unis. »

Pour l’instant, les tensions ne sont pas encore visibles dans les chiffres officiels des États-Unis. L’inflation globale est passée de 2,3 % en avril à 2,4 % en mai. L’inflation sous-jacente est restée stable à 2,8 %. Le taux de chômage est passé de 4,3 à 4,1 %, en partie grâce à la poursuite des recrutements et à la restriction de la main-d’œuvre due à une application plus stricte de la législation sur l’immigration.

« Les effets d’une modification de la politique commerciale des États-Unis sont considérables. Cette histoire est loin d’être terminée. »

Ronald Temple, stratège en chef chez Lazard

Pourtant, M. Temple prévient que le marché du travail est plus fragile qu’il n’y paraît. « Les chiffres de cette semaine sont plus compliqués qu’il n’y paraît. Les licenciements restent peu nombreux, mais le recrutement est tombé à son niveau le plus bas depuis plus de dix ans. Les employeurs semblent faire preuve d’attentisme, tant au niveau des embauches que des licenciements, dans l’attente d’une clarification de la politique commerciale et de l’offre de main-d’œuvre. »

La politique américaine constitue donc un défi inhabituel pour les banques centrales. Le durcissement des expulsions réduit l’offre de main-d’œuvre, l’augmentation des droits de douane fait grimper l’inflation. Ce mélange pourrait conduire à une baisse de l’emploi, à un chômage stable et, dans le même temps, à une hausse de l’inflation et à un ralentissement de la croissance.

« Ce n’est pas une recette pour réduire les taux, c’est une recette pour la stagflation », selon M. Temple. M. Setser souligne d’ailleurs un paradoxe plus profond : « M. Trump veut moins d’intégration économique avec le monde, mais l’énorme déficit budgétaire américain signifie que les États-Unis resteront dépendants des financements étrangers. La manière dont ce problème sera résolu n’est pas encore claire. »

« En bref, les effets d’une modification de la politique commerciale des États-Unis sont considérables. Et cette histoire est loin d’être terminée », conclut M. Temple.

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