Pour les marchés financiers, les risques géopolitiques sont souvent binaires : ils ne posent longtemps aucun problème, mais deviennent soudain problématiques. De ce fait, le lien entre risques géopolitiques et réaction sur les marchés financiers est ambigu. En outre, il est généralement question d’un événement unique, que les Bourses sont parfaitement capables d’ignorer. Et bien souvent, les choses finissent vite par se tasser.
Les tensions précédant un tel événement sont souvent si vives qu’elles peuvent même influencer les achats, peu importe la conclusion. Mais le simple fait qu’un événement soit passé lui fait perdre toute pertinence pour les marchés financiers : un pétard mouillé, en quelque sorte. Même le dictateur le plus fou se raisonne de lui-même sous une forte pression : personne ne souhaite une escalade extrême de la situation. Les risques géopolitiques sont toutefois susceptibles d’avoir un impact majeur lorsqu’ils touchent aux fondations mêmes de l’économie.
Les risques géopolitiques impactant l’économie mondiale
La première crise pétrolière est un bon exemple de risque géopolitique aux lourdes conséquences. En peu de temps, les prix du pétrole ont triplé ; or, au début des années 1970, l’économie était bien plus dépendante du pétrole qu’aujourd’hui, et une mauvaise réaction des banques centrales a alors contribué à provoquer un gros problème d’inflation. Un autre exemple est le cas du mur de Berlin, la fin de la guerre froide. Au cours de la période d’entre‑deux‑guerres qui suivit, jusqu’aux attaques du 11 septembre 2001, les dividendes de la paix furent encaissés, essentiellement, sur les marchés financiers, sous la forme de primes de risques réduites et, donc, de valorisations plus élevées.
Les risques géopolitiques se mesurent à l’aune de l’indice de risque géopolitique, qui passe en revue les gros titres de l’actualité portant sur les tensions géopolitiques, les guerres et le terrorisme. Ainsi, en périodes de stress, l’argent afflue vers les valeurs refuges. Autrefois, ces valeurs étaient les obligations d’État américaines à long terme mais, après leur forte correction (plus de 50 %), de nombreux investisseurs leur préfèrent désormais les actions de la Big Tech américaine.
Perspectives d’avenir au Moyen-Orient
Sur le plan géopolitique, le Moyen-Orient a toujours été une poudrière. Tant que les événements y restent circonscrits, les marchés financiers n’en seront guère affectés. S’il est vrai que l’attaque perpétrée par l’Iran contre Israël constitue une escalade, c’est surtout la suite qui intéresse les marchés financiers.
Au Moyen-Orient, le pétrole est toujours le principal facteur économique et, si l’Iran décide de fermer le détroit d’Hormuz, le prix du baril pourrait rapidement atteindre les 100 dollars. Parallèlement, la cause sous-jacente du problème est encourageante : il ne s’agit pas de la position des Palestiniens dans la bande de Gaza ou sur la rive ouest jordanienne, mais des nombreux accords de paix conclus entre Israël et les pays arabes aux mois d’août et septembre 2020. Ces mêmes pays ont aidé Israël ce week-end contre l’attaque iranienne. De ce point de vue, cette attaque pourrait être le début d’un prochain entre-deux-guerres potentiel.
Les accords d’Abraham, à l’origine de la crise actuelle
Les accords d’Abraham sont une série d’accords conclus entre Israël, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et les États-Unis. Avant les attaques du 7 octobre 2023, Israël avait en outre bien avancé sur la conclusion d’un accord de paix avec l’Arabie saoudite. Avant cela, le gouvernement israélien avait également conclu la paix avec la Jordanie et l’Égypte.
Ces nombreux accords devraient en fin de compte permettre d’obtenir une solution au problème palestinien : la solution à deux États. Mais une telle solution ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran, qui possède un fort pouvoir au Moyen-Orient avec les Brigades Al-Quds. Ces dernières mènent en effet la lutte terroriste internationale avec l’aide du Hezbollah, du Hamas, du Jihad islamiste, des Houthis et de milices chiites en Irak et en Syrie. Toutes ces organisations perdraient une grande partie de leur pouvoir en cas de paix.
Un nouveau contrat social iranien
L’ironie de la situation est que l’Iran, avant les ayatollahs, était l’un des pays les plus pro‑américains du Moyen-Orient, qu’il s’agisse du shah et de sa famille, mais aussi d’une large part de la population du pays. À présent, le gouvernement iranien doit sa légitimité, au Moyen-Orient, au conflit avec Israël et les États-Unis. À cet égard, l’attaque du week‑end dernier a surtout affecté la population iranienne. Le pays est allé loin à cet égard ; de fausses communications ont même été envoyées, affirmant que des cibles auraient été touchées.
Le contrat social liant le pouvoir à Téhéran et son peuple est aujourd’hui sévèrement altéré. La police iranienne est intraitable à l’encontre des femmes non voilées en public. Malgré cela, les manifestations ayant débuté en 2022 après le décès de Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée et tuée pour ne pas avoir porté correctement son voile, se poursuivent toujours. Au regard de l’ampleur de la protestation, le gouvernement iranien a perdu une grande part de sa légitimité.
Le régime de Téhéran ne peut exister qu’en réprimant la population. Mais des réformes radicales pourraient permettre de regagner cette légitimité. La solution actuellement envisagée par l’Iran est comparable à celle choisie par l’Argentine aux Malouines en 1982 ou par les Russes lors de l’invasion de l’Ukraine en 2022.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.