Les entreprises cotées qui présentent les scores ESG les plus élevés et dans lesquelles les fonds ESG investissent le plus sont les moins imposées - dans bien des cas, même, moins que ce que la loi prescrit. D’après le professeur Gideon Parchomovsky, les investisseurs institutionnels sont coresponsables de cette situation.
Plus les notes ESG décernées à une entreprise par des agences de notation telles que MSCI sont élevées, moins elle paiera d’impôts. Les entreprises notées CCC, soit la note ESG la plus basse, paient en moyenne 27 % d’impôts sur leurs revenus, soit près de deux fois ce que paie le groupe le mieux noté (AAA).
Selon Gideon Parchomovsky, professeur de droit à l’Université de Pennsylvanie, nous avons oublié d’ajouter au sigle ESG le T de tax. Dans son étude The Missing “T” in ESG, parue ce mois-ci, il soutient que l’impôt doit prendre une place significative dans l’évaluation des entreprises.
« Même si les entreprises ont le droit de réduire leurs obligations fiscales dans les limites légales, cette décision doit transparaître dans leur évaluation ESG, au même titre que d’autres choix qu’elles font. Les entreprises doivent savoir que leur décision de commettre une évasion fiscale se paiera sur leur note ESG », affirme Gideon Parchomovsky lors d’une interview. Il estime que des lacunes involontaires de la législation fiscale américaine sont souvent exploitées de manière délibérée.
Zone grise
Les activités fiscales de nombreuses entreprises se trouvent dans une zone grise juridique, l’évasion fiscale n’étant pas expressément interdite par la loi. Mais si l’évasion fiscale peut être légale, cela est souvent dû à l’exploitation de vides juridiques d’une façon contraire à l’esprit des lois fiscales, rendant le procédé « éthiquement douteux » pour Gideon Parchomovsky.
Il prend Microsoft pour exemple. Ce premier bénéficiaire d’investissements ESG a généré plus de 276 milliards de dollars de flux de trésorerie entre 2013 et 2020. Sur cette période, l’entreprise a pourtant payé moins de 50 milliards de dollars d’impôts. Plus de 80 % des revenus étrangers ont transité vers des paradis fiscaux, selon une étude menée en 2022 par le Centre for Corporate Tax Accountability and Research.
D’autres géants technologiques très rentables, tels que Meta, Netflix et AT&T n’ont payé aucun impôt - ou ont reçu de l’argent du fisc - pendant au moins un des exercices fiscaux des quinze dernières années.
Bien qu’une telle pratique soit courante chez les entreprises technologiques, beaucoup d’autres entreprises d’un large éventail de secteurs pratiquent également l’évasion fiscale, selon Gideon Parchomovsky.
« General Motors, Nike, FedEx et T-Mobile, pour ne citer qu’elles, n’ont payé aucun impôt fédéral sur le revenu pendant au moins une année fiscale au cours de la période 2018-2020 », affirme le professeur.
La coresponsabilité des gestionnaires d’actifs
Selon les estimations, les stratégies d’évasion fiscale des grandes multinationales coûtent chaque année des centaines de milliards de dollars aux autorités américaines. Les caisses de l’État perdent ainsi environ 30 % de l’impôt américain sur les sociétés. Pour Gideon Parchomovsky, les gestionnaires d’actifs, en particulier les Big Three (BlackRock, Vanguard et State Street) sont coresponsables de cette situation.
En gardant le silence sur la question de l’évasion fiscale — voire, dans certains cas, en rejetant explicitement toute responsabilité quant aux pratiques fiscales des entreprises -, les gestionnaires d’actifs jouent sur les deux tableaux, affirme-t-il.
Selon le professeur, les Big Three semblent non seulement fermer les yeux sur les stratégies agressives d’évasion fiscale mises en œuvre par les entreprises de leurs portefeuilles, mais aussi encourager ce genre de pratique.
« Ils affirment, d’une part, intégrer des considérations ESG à leurs décisions d’investissement pour attirer les investisseurs, mais bénéficient d’autre part des rendements élevés générés par les pratiques fiscales agressives des entreprises de leurs portefeuilles, pratiques pouvant être considérées comme contraires à leurs promesses d’investissements socialement responsables », soutient le professeur.
Le soutien implicite des investisseurs
Gideon Parchomovsky voit, dans la passivité des investisseurs institutionnels vis-à-vis des évadés fiscaux, un soutien implicite à ce comportement. « Pour encourager une approche plus proactive, nous proposons que les investisseurs institutionnels se retirent des entreprises dont le comportement fiscal n’est pas à la hauteur de celui d’autres entreprises du même secteur. »
Il considère comme « extrêmement contradictoire » le fait que BlackRock, en dépit d’un agenda prétendument orienté ESG, refuse explicitement d’exercer toute compétence en matière d’impôt sur les sociétés et de transparence fiscale.
« Considérer ces questions comme le domaine exclusif des autorités fiscales, c’est négliger les nombreux défis auxquels ces autorités sont confrontées lorsqu’elles s’attaquent à l’évasion fiscale des entreprises. »
L’attachement à l’évasion fiscale des actionnaires d’une entreprise exerce une forte influence sur son comportement fiscal. Selon le professeur, si l’on souhaite favoriser des pratiques fiscales plus honnêtes et durables, il est crucial que les grands actionnaires institutionnels assument activement leur responsabilité en la matière plutôt que de la rejeter.
Les actifs mondiaux sous gestion investis selon des considérations ESG devraient, selon les estimations, atteindre près de 3 400 milliards de dollars d’ici 2026.