Les gestionnaires d’actifs européens doivent accroître leur envergure pour rester compétitifs face aux géants américains, estime Vincent Juvyns, stratège de marché chez JP Morgan Asset Management. La fragmentation pénalise l’Europe dans d’autres secteurs des marchés de capitaux également.
Dans son très commenté rapport sur la compétitivité européenne, Mario Draghi, l’ancien premier ministre italien, estime que l’UE doit d’urgence relancer l’Union des marchés de capitaux (UMC). Ce projet, en discussion depuis une dizaine d’années, vise à unifier les marchés de capitaux fragmentés de l’Union européenne, afin de permettre aux entreprises d’accéder plus rapidement et à moindre coût à des financements via les marchés.
L’UMC impliquerait notamment que les États membres de l’UE harmonisent leurs régimes fiscaux sur les investissements et que l’autorité européenne des marchés financiers (AEMF) devienne un régulateur unique à l’échelle européenne pour la surveillance des marchés financier.
Les rêves de Mario Draghi
Cependant, tout comme pour une autre proposition financière de Mario Draghi (l’émission de dette commune via des emprunts européens), l’enthousiasme pour un renforcement de l’UMC semble limité. Dans plusieurs États membres de l’UE, la balance politique penche actuellement vers davantage de nationalisme, et donc moins d’Europe.
« Personnellement, je pense que la direction proposée par Mario Draghi, qui fait encore partie de la génération des rêveurs européens, est la voie à suivre. Cependant, la volonté politique semble faire défaut », analyse Vincent Juvyns, stratège de marché chez JP Morgan Asset Management, lors d’une rencontre avec la presse à Bruxelles. « Verrons-nous une Union des marchés de capitaux dans les cinq prochaines années ? Cela semble peu probable. »
Le contraste avec les marchés de capitaux américains, beaucoup plus développés, reste donc important. Là-bas, les entreprises peuvent obtenir de l’argent frais beaucoup plus facilement grâce à l’émission d’obligations d’entreprises, ce qui les rend moins dépendantes des prêts bancaires, souligne Vincent Juvyns. De plus, davantage de liquidités affluent vers les marchés boursiers, car la culture de l’investissement y est beaucoup plus ancrée.
Certaines grandes entreprises européennes cotées en Bourse estiment même qu’elles bénéficieraient d’une valorisation plus élevée si elles étaient cotées aux États-Unis. « Il existe une décote liée à l’absence d’une Union des marchés de capitaux. Le fait que le groupe énergétique français TotalEnergies ait indiqué au début de l’année envisager de se délocaliser à Wall Street constitue un signal clair », avertit le stratège boursier belge.
Selon le rapport de Mario Draghi, le scénario catastrophe serait que toutes les pépites de la croissance européenne se délocalisent aux États-Unis, empêchant ainsi l’émergence d’un géant technologique européen comparable à Apple ou Microsoft.
« Sans projets à forte croissance dans lesquels investir et sans marchés de capitaux pour les financer, les Européens perdent des opportunités de s’enrichir », écrit l’ancien président de la BCE.
« Nous avons besoin de plus de champions européens », commente Vincent Juvyns, en ajoutant – fait notable – que cela s’applique également à son propre secteur.
Trillion dollar club
Pour rester compétitifs face aux géants américains, les gestionnaires d’actifs européens doivent accroître leur envergure.
Pour mémoire, la société américaine BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs au monde, gère plus de 10 000 milliards de dollars d’actifs, Vanguard 9000 milliards, et JP Morgan 2900 milliards. Avec 2116 milliards de dollars sous gestion, le principal acteur européen, le français Amundi, se situe loin derrière.
C’est dans cette perspective qu’il faut considérer la transaction estivale marquante entre BNP Paribas et Axa, explique Vincent Juvyns. Axa souhaite céder sa filiale de gestion d’actifs, Axa Investment Managers, à BNP Paribas, qui pourrait alors la fusionner avec sa division BNP Paribas Asset Management. « Cette alliance donnerait naissance à un gestionnaire d’actifs européen de premier plan et à un acteur d’envergure mondiale », avait-on déclaré à l’époque.
Axa IM compte 844 milliards d’euros d’actifs sous gestion, contre 576 milliards pour BNP Paribas AM. Bien que ces montants paraissent considérables, aucun des deux acteurs, pris séparément, ne figure dans le top 10 mondial. Ensemble, ils dépasseraient largement la barre des 1000 milliards d’euros (et celle des 1000 milliards de dollars).
« L’Europe a besoin de davantage de transactions de cette envergure », déclare Vincent Juvyns. « Pour être compétitif, il est essentiel de rejoindre le trillion dollar club (plus de 1000 milliards de dollars sous gestion, NdlR). »