Selon des échos provenant des coulisses des marchés boursiers, l’Europe doit d’urgence doubler la vitesse de règlement des transactions sur titres. À défaut, la compétitivité mondiale des places financières européennes sera compromise.
Fin mai, les marchés boursiers américains ont réduit le délai de règlement des transactions sur titres de T+2 (date de transaction plus deux jours ouvrables) à T+1 (soit la date de transaction plus un jour ouvrable). Les investisseurs deviennent ainsi officiellement propriétaires des actions américaines un jour ouvrable suivant leur achat, contre deux jours auparavant.
L’Europe n’aura d’autre choix que de s’aligner sur ce cycle accéléré, ont conclu les 600 participants venus du monde entier assister à la Collateral Conference organisée la semaine dernière à Bruxelles par Euroclear, le principal dépositaire central de titres et acteur de règlement-livraison de titres.
« Le T+2 devient un obstacle concurrentiel, notamment pour les transactions obligataires européennes », ont affirmé certains acteurs. « Les différences dans les cycles de règlement-livraison entre l’Europe et d’autres grands marchés financiers pourraient nuire à la compétitivité de l’UE », a déclaré Euroclear.
Frictions
Le décalage transatlantique entre le T+1 et le T+2 engendre des inefficacités opérationnelles pour les grands investisseurs, comme le besoin à court terme de liquidités en tant que garantie et la nécessité de se couvrir contre les fluctuations de change (euro/dollar). « Des frictions dont on se passerait bien », affirment les traders.
Les petits investisseurs subissent également l’impact de ce décalage. Le courtier en ligne Bux signale sur son site que la différence entre le T+2 européen et le T+1 américain pose problème aux investisseurs particuliers qui souhaitent vendre des actions européennes et utiliser immédiatement le produit de la vente pour acheter des actions américaines. La non-synchronisation des délais empêche cette opération, car le produit de la transaction européenne ne sera pas disponible à temps pour financer l’achat américain.
En raison du délai supplémentaire d’un jour pour le règlement-livraison européen, Bux n’a d’autre choix que de rendre les fonds « indisponibles » pendant une journée avant de pouvoir les utiliser pour l’achat d’actions américaines. En revanche, il est possible de vendre une action américaine pour acheter immédiatement une autre action, qu’elle soit américaine ou européenne.
Passage à une autre échelle
Le cycle de règlement-livraison plus long en Europe s’explique par la fragmentation du marché. L’Europe compte des dizaines de chambres de compensation (CCP) et de plateformes de règlement-livraison (central securities depositories ou CSD), qui assurent le suivi juridique post-transaction.
Euroclear, par exemple, gère des CSD nationaux pour la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande, la France, l’Irlande, la Suède et le Royaume-Uni. Cela s’explique par le fait que les Bourses européennes étaient historiquement organisées exclusivement au niveau national, et que chacune d’entre elles disposait donc de ses propres plateformes de règlement-livraison.
« La demande de passage au T+1, qui finira par s’imposer de toute façon, pourrait servir de catalyseur pour une intégration plus poussée », a déclaré un participant, optimiste. « Avançons étape par étape. Nous ne sommes pas non plus obligés d’opter pour une plateforme unique comme aux États-Unis. L’Europe n’est pas l’Amérique, et un monopole n’est jamais une bonne chose. Mais si nous parvenons déjà à limiter le nombre de plateformes de règlement-livraison à 5 ou 6, nous serons déjà sur la bonne voie. »
« La transition vers le T+1 représente un défi pour l’UE, notamment en raison de la fragmentation géographique, et nécessitera un effort collectif et coordonné, soutenu par une harmonisation à l’échelle mondiale », déclare Euroclear.
Trump et le Brexit
« Dans un monde Trump 2.0 marqué par un protectionnisme accru, l’Europe doit gagner en envergure pour, au moins, garantir le bon fonctionnement de son propre marché des capitaux », sont convenus les traders et experts de marché européens réunis à Bruxelles, ajoutant : « Le T+1 pourrait devenir la pierre angulaire d’une Union des marchés des capitaux au sein de l’UE. Mais il ne faut pas exagérer non plus. Le T+1 ne suffira pas à lui seul à créer une CMU. »
« Il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais la mise en place du T+1 pourrait permettre un pas important vers davantage de standardisation et de convergence des processus post-négociation européens », confirme Euroclear.
« L’Europe doit aussi être envisagée au-delà de l’UE », ont affirmé certains lors de la conférence à Bruxelles. « Cela peut sembler paradoxal après le Brexit, mais la bonne échelle pour le système financier européen est peut-être l’UE plus le Royaume-Uni. L’Europe doit unir toutes ses forces pour défendre sa place dans le nouvel ordre mondial. »
Euroclear et Euronext
Un détail notable : l’opérateur boursier Euronext a récemment confirmé son intention de jouer lui aussi un rôle plus important dans la défragmentation du secteur post-trade, englobant la compensation, le règlement-livraison et la conservation des titres.
Cette stratégie amène Euronext à empiéter davantage sur le domaine d’Euroclear. Ironie de la situation : Euronext est l’un des actionnaires d’Euroclear. Et pour ajouter à cette interconnexion, la SFPIM, le bras financier de l’État belge, est un actionnaire majeur des deux entités, Euronext et d’Euroclear.