Investir dans le vin, l’art, les Lego, les sacs à main, le whisky ou les violons… À première vue, ces catégories semblent présenter un point commun : elles peuvent incarner une passion personnelle. Pourtant, la plupart d’entre elles se révèlent inadaptées à une approche d’investissement professionnelle, que l’on soit passionné ou non.
Quiconque a réussi, il y a dix ans, à obtenir l’une des 350 figurines Spiderman dans le cadre de la loterie quotidienne de la Comic-Con de San Diego peut aujourd’hui la revendre pour près de 16 000 euros, lit-on sur BrickEconomy, une plateforme qui suit et analyse les chiffres du marché secondaire des Lego. L’indice BrickEconomy 100, qui suit les performances des 100 sets Lego les plus prisés au fil du temps, affiche une progression de plus de 8 % depuis le début de l’année.
Les Lego représentent l’investissement passion à l’histoire la plus récente, selon Gertjan Verdickt. Pour son ouvrage Investeren in stijl, le scientifique a étudié, en collaboration avec l’économiste et analyste financier Jürgen Hanssens, comment un investisseur particulier peut débuter dans ce type d’investissement passion. Les auteurs se sont également interrogés sur la pertinence d’intégrer de tels investissements dans un portefeuille et, le cas échéant, sur le montant à y consacrer.
Toutes les catégories d’investissements passion sont-elles adaptées aux investisseurs professionnels ? Pour Jan Verdickt, les Lego sont hors périmètre, car ils ne permettent pas d’investir à grande échelle. Le même constat vaut pour la plupart des autres catégories étudiées : sacs à main, montres, voitures et violons sont aussi à exclure. En revanche, le vin, le whisky et l’art se révèlent être des investissements adaptés, conclut-il. « Ces secteurs représentent de vastes marchés, avant tout professionnels et liquides. Ils mobilisent des sommes considérables et des fonds d’investissement y sont même dédiés. »
Passion, ou investissement ?
Un exemple de ce type de fonds est celui de Cellar Investment Partners. Lors d’un entretien sur le thème du vin comme investissement passion, Eran Habets, Managing Partner, et Kristian Nooitgedagt, General Partner, soulignent d’entrée de jeu l’énorme différence en termes de liquidité et de taille de marché entre les catégories d’investissements passion évoquées plus haut. Selon eux, il serait d’ailleurs inapproprié d’inclure le vin dans la même catégorie que les autres.
« Les Lego, les montres, l’art : tout cela demeure des investissements ponctuels, et c’est en réalité le cas pour le whisky également. Vous achetez une bouteille, puis vous la conservez. Le vin, en revanche, devient plus rare avec le temps, en raison de sa consommation et de sa durée de conservation. Par ailleurs, nous ne considérons pas le vin comme une passion, mais comme un produit sérieux, guidé par des considérations financières et fondé sur des données. Certains clients sont effectivement passionnés par le vin, mais d’autres le considèrent uniquement comme un investissement. »
Jan Verdickt assimile le vin à une obligation d’entreprise : il possède une date d’échéance et un nombre défini d’unités est produit pour chaque millésime.
Cependant, le simple fait qu’un actif alternatif prenne de la valeur ne signifie pas qu’il constitue pour autant un bon produit d’investissement, précisent-ils. Eran Habets illustre cela en comparant une personne qui achète un appartement pour son enfant à titre d’investissement avec une autre qui développe un fonds immobilier regroupant cinq cents appartements. « Il s’agit d’immobilier dans les deux cas, mais les deux approches n’ont absolument rien à voir. »
Analogie avec les obligations d’entreprises
Jan Verdickt assimile le vin à une obligation d’entreprise : il possède une date d’échéance et un nombre défini d’unités est produit pour chaque millésime. « Une entreprise peut émettre plusieurs obligations, tout comme un domaine viticole peut produire plusieurs vins. Les vins les mieux cotés offrent un rendement plus élevé, ce qui les rend intéressants pour les investisseurs. En moyenne, une bouteille change de mains tous les six mois. »
En effet, plusieurs single family offices ont ajouté le vin à leur portefeuille d’investissement en prenant une position dans le fonds viticole de Cellar Investment Partners. Bien que la majorité des clients soient des particuliers fortunés à très fortunés, les premiers clients professionnels ont également rejoint le mouvement.
Tranquillité d’esprit
Les initiés ne sont pas les seuls à parler du vin en tant qu’investissement. Philippe Gijsels, stratégiste chez BNP Paribas Fortis, a récemment déclaré lors d’un événement de fin d’année organisé par la CFA Society Belgium qu’investir dans le vin ou l’art offrait une certaine tranquillité d’esprit face à une inflation élevée. « Supposons une inflation annuelle de 4 %. Dix années consécutives à ce taux représentent une dépréciation monétaire de près de 50 %. Cela signifie que conserver des liquidités constitue une mauvaise stratégie. Il est préférable d’investir dans des actifs réels, des biens tangibles dont la valeur augmente avec l’inflation », déclare-t-il. « Cela vaut également pour les professionnels : je suis convaincu que nous sommes à l’aube de la plus grande période haussière jamais vue sur le marché des matières premières. »
Au rang des possibilités, Philippe Gijsels mentionne l’art, au même titre que le vin. Eran Habets et Kristian Nooitgedagt (photo) observent également un intérêt pour l’art. Récemment, un single family office européen leur a demandé quelles étaient les principales différences entre investir dans le vin et investir dans l’art. Jan Verdickt considère également l’art comme un investissement de prestige pour les investisseurs professionnels. « C’est un critère important pour ce segment. Les montants en jeu sont considérables, ce qui n’est pas un problème, mais il faut avoir un horizon à long terme, car les œuvres s’échangent rarement. »
Le rendement historique varie selon les régions viticoles, tout comme la volatilité.
Kristian Nooitgedagt, Cellar Investment Partners
Bien que l’art soit effectivement utilisé par des investisseurs professionnels (plusieurs grandes banques disposent d’une division private banking active dans ce domaine), il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur l’évolution de sa valeur. « C’est l’un des principaux problèmes du marché de l’art », reconnaît Jan Verdickt. Selon le scientifique, une œuvre d’art change de mains en moyenne tous les neuf ans, ce qui complique le calcul du rendement. La liquidité est inexistante et il est difficile de déterminer la valeur de manière objective.
C’est à l’égard du vin et du whisky que Jan Verdickt se montre le plus positif pour les investisseurs professionnels, et recommande une allocation maximale de 10 %. Eran Habets reconnaît cette « règle d’or » des 10 %, mais souligne que ce pourcentage peut être plus élevé pour les grandes fortunes. « Il est plus logique de commencer par déterminer quelle part du patrimoine doit rester disponible pour répondre à divers besoins au cours des dix prochaines années. Le reste peut ensuite être investi dans des actifs illiquides – qu’il s’agisse de capital-investissement, d’immobilier ou, par exemple, de vin dépend des préférences de chacun. »
Performances en 2024
Alors que le champagne s’apprête à être débouché, les investisseurs en vin font la rétrospective d’une année légèrement moins savoureuse. L’indice Fine Wine 100, qui suit les 100 vins les plus échangés, avait amorcé sa dernière grande hausse au second semestre 2020, pour ensuite reculer de 21 % après avoir atteint son pic il y a deux ans. Depuis octobre, une certaine stabilisation semble cependant s’amorcer.
Les deux dernières années marquent une rupture de tendance par rapport à la période précédente. Entre 2000 et 2020, l’indice Fine Wine 100 avait enregistré des rendements supérieurs à ceux du S&P 500 et du Dow Jones, selon les données fournies par Cellar Investment Partners. L’indice des vins avait alors affiché un rendement annuel moyen de 9 %.
Le rendement historique varie selon les régions viticoles, tout comme la volatilité. « Pour la stabilité, on ajoute par exemple du Bordeaux, qui affiche un rendement annuel moyen de 8,5 % et une volatilité relativement faible sur la période de 2000 à 2020. Le Bourgogne affiche un rendement moyen de près de 19 %, mais c’est aussi un marché plus rare et plus difficile à appréhender. Quant au champagne, il présente historiquement un rendement de 18,6 % et il est en général consommé fréquemment, ce qui favorise la rareté et l’évolution des prix », affirme Kristian Nooitgedagt.
« Les prix des produits de luxe au sens large ont fortement augmenté pendant la pandémie. Ils sont ensuite restés stables pendant un certain temps, mais avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, on observe aujourd’hui une correction. Cela concerne le vin, mais aussi l’art, les montres et le whisky, dont les prix ont légèrement reculé ces deux dernières années », ajout Eran Habets.
Selon l’Art Basel and UBS Survey of Global Collecting 2024, l’économiste de la culture Clare McAndrew affirme que les dépenses en art ont montré des signes de stabilisation durant le premier semestre 2024. 91 % des personnes fortunées (HNWI) se sont déclarées optimistes quant à la performance du marché mondial de l’art au cours des six prochains mois, une proportion en hausse par rapport aux 77 % enregistrés fin 2023. La médiane des dépenses en art et antiquités par ces HNWI au cours du premier semestre de cette année s’élevait à 25 555 dollars. Si cette tendance s’est poursuivie au second semestre 2024, elle pourrait refléter une évolution annuelle stable