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La Turquie est confrontée à une inflation sans précédent et sa population s’appauvrit à un rythme soutenu. Alors que les tomates ne sont plus vendues au kilo mais à la pièce, le marché actions turc est florissant. Les investisseurs peuvent-ils faire face à ce régime inflationniste, ou les investissements s’évaporent-ils sous leurs yeux ?

Les derniers chiffres de l’inflation en Turquie indiquent une dépréciation monétaire hallucinante de 48,7 % par rapport à l’année dernière. Les éventuelles performances sur le marché actions turc sont habilement éliminées par la livre en chute libre. L’écart entre l’indice turc (BIST 100) et l’iShares Turkey ETF, qui suit le marché turc, illustre bien cette tendance.

 

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Malgré une inflation galopante, le président Erdogan reste fermement opposé à la hausse des taux d’intérêt. Il rejette le raisonnement économique selon lequel l’augmentation des taux d’intérêt permet de freiner l’inflation. La baisse des taux d’intérêt est également ‘un précepte de l’Islam’, estime le président.

En un peu plus de deux ans, Erdogan a brusquement limogé trois gouverneurs de la Banque centrale en raison de désaccords politiques, une démonstration vertigineuse d’ingérence politique qui a gravement érodé la crédibilité et la prévisibilité de la Banque centrale.

Le responsable de l’Institut statistique de Turquie a également été limogé le mois dernier. Son licenciement a été annoncé suite à un désaccord entre l’Institut et le président concernant les données d’inflation du pays.

La dévaluation de la livre

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Selon Ima Sammani, spécialiste des devises chez Monex, l’avenir de la livre turque est encore très flou et dépend en grande partie des effets à long terme des mesures prises actuellement pour juguler l’inflation, explique-t-elle.

L’une de ces mesures est une collaboration du gouvernement avec les raffineries d’or pour convertir les bijoux remis dans le cadre du programme en lingots qui contribueront aux réserves de la Banque centrale turque. La Turquie veut ainsi attirer à nouveau les épargnants vers la livre.

De même, la TVA sur les denrées alimentaires a été réduite de 8 % à 1 %. Le président Erdogan demande également aux entreprises de baisser leurs prix maintenant que la TVA diminue.

En décembre, le gouvernement a également annoncé qu’il indemniserait les détenteurs de dépôts en livres pour leurs pertes si la dépréciation de la livre par rapport aux devises fortes dépassait les taux d’intérêt promis par les banques.

Selon Sammani, l’exposition à la Turquie est extrêmement risquée compte tenu de la situation politique et du risque de change. Elle n’exclut pas non plus que les problèmes économiques finissent par provoquer des troubles sociaux à grande échelle.

« Des opportunités existent »

Pourtant, tout le monde n’est pas sceptique. Burak Oztunc, gestionnaire du fonds BNP Paribas Turkey Equity, reste relativement détendu, même si « les gens se plaignent dans la rue ». Il reconnaît cependant que la politique de la Banque centrale mise en œuvre en Turquie est très expérimentale pour BNP Paribas. « La prudence est de mise en ce qui concerne la prédiction de l’avenir, mais il y a certainement des opportunités », déclare Oztunc.

Selon Oztunc, les marchés ont déjà connu en décembre de très nombreux mouvements exceptionnels sur la monnaie, les taux d’intérêt et l’indice boursier. « Nous estimons que de nombreuses nouvelles, comme une inflation élevée ou la possibilité d’une volatilité extrême de la livre, sont déjà intégrées. »

Les multiples des sociétés turques cotées en bourse, ajustés en fonction de la pondération du secteur, s’échangent avec une décote de 60 % par rapport aux marchés émergents comparables, explique Oztunc.

Les sociétés turques cotées en bourse ne représentent pas l’économie turque, affirme Oztunc. Selon lui, la majorité des entreprises ont des bilans sains et la plupart d’entre elles jouissent d’une position semi-oligopolistique. « Le marché actions se porte donc peut-être mieux que l’économie nationale. »

« Je prendrais le risque »

Les investisseurs turcs n’ont guère le choix compte tenu des taux d’inflation actuels. Les taux d’intérêt réels négatifs attireront les investisseurs de détail locaux vers les actions. « Compte tenu du taux de dépôt réel négatif de la LT et de la stabilité potentielle de la monnaie, le marché actions peut constituer une alternative viable pour couvrir l’inflation et obtenir des rendements réels positifs », explique Oztunc.

Mais selon lui, les investisseurs étrangers feraient également bien de ne pas attendre le résultat des élections de 2023. « Des mesures prises par le parti au pouvoir pour favoriser la croissance ne seraient pas surprenantes, ce qui signifie que la lutte contre l’inflation pourrait passer au second plan durant les 18 prochains mois. Le parti au pouvoir sera en difficulté, et le marché turc a déjà été essuyé de solides revers. Je prendrais le risque », ajoute Oztunc. 

« Il y a dix ans, c’était un des marchés préférés des investisseurs institutionnels étrangers et je ne vois aucune raison pour que cela ne soit pas de nouveau le cas. En supposant que la traction de la croissance économique mondiale ne déraille pas, il existe, malgré la faiblesse de la livre, des opportunités pour les investisseurs avant même que les élections n’aient lieu. »

Pas de révolution

Bien que la dépréciation monétaire brutale soit généralement un catalyseur majeur d’agitation sociale et même de guerres (civiles), le malaise économique en Turquie ne semble provisoirement pas encore en passe d’être résolu par la force.

Erik-Jan Zurcher, professeur émérite d’études turques à l’université de Leyde, affirme qu’une révolution réussie nécessite deux choses : une scission au sein du régime en place et une alternative crédible. Deux éléments qui, selon lui, font défaut en Turquie.

Zurcher : « Au cours des neuf dernières années, l’AKP est devenu de plus en plus un parti dominé par un seul homme et son entourage immédiat. Toutes les voix dissidentes ont été éliminées du parti ou sont parties de leur propre chef. Pourtant, il n’existe aucune alternative crédible à l’AKP. »

« L’opposition kurde est muselée et l’opposition laïque-nationaliste est considérée par une grande partie de la population comme une élite distante animée par des valeurs différentes. La Turquie est depuis longtemps en proie à une lutte culturelle dévorante et, pour les partisans conservateurs-religieux d’Erdogan, le passage à ces partis est très difficile », estime Zurcher.

Peur de la répression

« Toute personne qui descend dans la rue est rapidement considérée comme un traître par le régime et traitée durement. En 2013, pendant le ‘mouvement de Gezi’, la jeunesse urbaine est encore descendue en masse dans la rue dans l’espoir d’initier un véritable changement, mais depuis l’écrasement de ce mouvement et, surtout, les vagues d’arrestations qui ont suivi la tentative de coup d’État de 2016, le découragement est plutôt dominant. Un très grand nombre de jeunes gens bien formés ont déjà quitté le pays », prévient Zurcher.

 

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