Hans Dieperink
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Le virage pris par la Réserve fédérale la semaine dernière est remarquable à plusieurs égards. Il y a quelques mois seulement, il fallait remuer ciel et terre pour convaincre le marché que les taux d’intérêt resteraient « élevés pendant longtemps ». La Fed augmenterait les taux si les chiffres de la croissance économique se révélaient satisfaisants, mais ne les diminuerait pas si l’inflation baissait encore. Cette politique asymétrique prend subitement fin, et la banque centrale américaine est à présent la première à abaisser les taux d’intérêt.

La douche froide de la semaine dernière s’est transformée en bain chaud, et ce, alors que le budget américain subit un large déficit, que le taux de chômage est historiquement bas, que la vente au détail affiche des chiffres forts et que le dernier PIB nominal a atteint une croissance de pas moins de 8,9 %. Cet environnement paraît peu propice à une baisse des taux d’intérêt, et devrait plutôt entraîner leur hausse. 

Des années durant, la Fed prenait ses décisions à l’aune des données. Seuls comptaient les indicateurs tardifs de l’inflation réelle et les chiffres rétrospectifs du chômage. Subitement, il est de nouveau question de ‘forward guidance’ (indications prospectives). La Fed se met ainsi dans une position difficile. Si elle ne procède pas à ces réductions des taux d’ici les élections, les marchés boursier et obligataire risquent de s’effondrer à la veille des élections présidentielles, une éventualité que la Fed veut à tout prix éviter. La Fed se portant bien, à l’inverse de la BCE, cela n’annonce rien de bon non plus pour le dollar vis-à-vis de l’euro, utilisé pour tous les investissements hors des États-Unis. Cet effet est encore plus prononcé vis-à-vis du yen, la Banque du Japon étant en plein durcissement alors que la Fed assouplit sa politique. Ces diminutions imminentes des taux sont naturellement une bonne nouvelle pour les actions, mais les investisseurs en obligations préfèrent, en fin de compte, une banque centrale plus stricte à l’égard de l’inflation. À l’instar de la BCE, la Réserve fédérale est, par nature, davantage pro-croissance, tandis que des banques comme la Bundesbank et la Banque populaire de Chine ont retenu les leçons de l’histoire quant aux effets de l’inflation sur la société. 

Après l commentaire de Jerome Powell sur cette décision d’abaisser les taux d’intérêt, personne ne s’est demandé si la Fed n’allait pas un peu vite en besogne. Au contraire, tous ont estimé qu’elle s’y prenait déjà trop tard. On s’est demandé pourquoi la Fed n’en avait pas fait bien plus pour soutenir l’économie, et ce, alors que les signes indiquant une récession imminente sont particulièrement rares. Le plus grand risque, à présent, est celui d’une surchauffe de l’économie américaine, et d’une nouvelle année forte pour cette dernière l’an prochain. C’est aussi ce que semble estimer la Fed : « it’s the Economy, stupid ». Un gouvernement large sur le plan budgétaire, des taux d’intérêt plus bas, une réduction des prix du pétrole, tout ceci est possible parce que l’inflation va atteindre l’objectif de 2 %, sans ralentir l’économie. 

La Réserve fédérale est la première banque centrale à maîtriser l’inflation sans que cela n’implique de récession. Cela signifie que l’inflation posera, à l’avenir, bien moins de problèmes que par le passé. La Réserve fédérale est, en réalité, devenue une faiseuse de miracles : un rôle auquel a si longtemps aspiré Alan Greenspan, qui a essayé d’aplanir le cycle économique de sorte à ne plus jamais avoir affaire à une récession et a créé, ce faisant, un environnement magique de Boucle d’Or. Le cycle économique n’est plus un élément pertinent pour la Fed actuelle, l’inflation pouvant être maîtrisée avec une relative simplicité. Une croissance économique perpétuellement élevée, combinée à une faible inflation, voilà la nouvelle réalité : une période de « Super Boucle d’Or ».

D’un côté, cela rappelle les Années folles du siècle dernier. Une pandémie, des troubles géopolitiques et une récession modérée avaient alors été suivis d’un fort mouvement haussier sur le marché boursier. Alors qu’on profitait, à l’époque, des avantages de la deuxième révolution industrielle (voitures, radio), on bénéficie aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, des nombreuses nouvelles applications de la quatrième. D’autre part, cette décision évoque les décisions monétaires de la seconde moitié des années 90. Des crises avaient alors été nécessaires, comme la crise asiatique, la crise LTMC et la crise russe, pour abaisser les taux d’intérêt. Si les fonds de pension britanniques, qui ont frôlé la banqueroute, la crise bancaire américaine et le Green Bailout n’en ont été qu’une pâle imitation, il apparaît clairement que tout doit être mis en œuvre pour permettre aux élections présidentielles américaines de se dérouler sans heurts. 

Les chances de voir apparaître une bulle, par exemple dans la Big Tech, augmentent rapidement à présent que les quatre conditions de Charles P. Kindleberger (Manias, Panics & Crashes) sont remplies. Il y a tout d’abord le changement de paradigme qu’entraîne l’intelligence artificielle, qui va changer la donne plus que l’ont fait internet ou l’iPhone. De plus, l’intelligence artificielle est la promesse lointaine idéale pour l’avenir. Elle implique l’automatisation de l’intelligence humaine, et qui sait ce que cela pourra donner dans dix ou quinze ans. La troisième condition pour cette bulle est l’élargissement du groupe cible d’investisseurs. Les investisseurs technologiques ne sont pas les seuls concernés car, avec un poids de 27 % dans le S&P 500 pour les Sept Magnifiques, il y a également de quoi intéresser les investisseurs indiciels. Il ne fait aucun doute qu’à cela viendront s’ajouter des investisseurs qui ne sont pas encore à 27 %, mais seront rapidement contraints de corriger leur erreur de suivi. 

Il existe également un tout nouveau groupe d’investisseurs pour les Sept Magnifiques, à savoir les personnes en quête de valeurs refuges. Traditionnellement, ces investisseurs achètent des titres du Trésor mais, après une correction de plus de 50 % dans ceux à long terme, cela n’est plus suffisant. Enfin, la dernière condition de Charles P. Kindleberger est la liquidité, une condition largement remplie par le bain chaud annoncé par la Fed la semaine dernière. Le cru boursier 2024 s’annonce fascinant ! 

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank en Schretlen & Co.

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