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Les fonds de pension représentent un réservoir stratégique pour financer l’innovation et la transition climatique en Europe. Malgré des actifs estimés entre 2700 et 3550 milliards d’euros, leur exposition au capital-risque reste marginale : à peine moins de 0,1 % des portefeuilles, selon l’étude publiée par European Women in VC, Pensions for Purpose et Venture Connections.

Cette situation contraste fortement avec celle prévalant aux États-Unis, où les fonds publics allouent plus de 10 %, et un écart immense avec les besoins estimés à 800 milliards d’euros par an dans le rapport Draghi.

Pour les auteurs de l’étude, les fonds de pension ont un horizon long, parfaitement aligné avec le cycle du capital-risque, et des objectifs ESG qui devraient les rapprocher de cette classe d’actifs. Kinga Stanisławska, fondatrice d’European Women in VC, souligne que sans engagement accru, l’Europe ne parviendra pas à financer ses scale-ups ni à retenir ses talents. Elle démonte aussi une idée reçue : « Beaucoup confondent liquidité et sécurité. L’immobilier est perçu comme sûr parce qu’il est tangible, mais il est illiquide et parfois risqué. » À l’inverse, le capital-risque est considéré comme uniformément dangereux, alors qu’il existe plusieurs niveaux d’exposition. Investir directement dans une start-up précoce est risqué, mais un fonds diversifié réduit déjà ce risque, et un fonds de fonds le diminue fortement, avec un taux de perte inférieur à 1 % selon Cambridge Associates.

Des rendements supérieurs, malgré les coûts

Kinga Stanisławska rappelle que les frais supplémentaires liés aux fonds de fonds ne sont pas un obstacle si la performance suit. Le modèle de Yale, dont la dotation a massivement investi dans le capital-risque, a démontré que sur 25 ans, ces allocations généraient des rendements supérieurs malgré plusieurs niveaux de frais. L’étude confirme que les fonds de pension européens privilégient des approches indirectes (fonds de fonds, co-investissements, gestionnaires de confiance) plutôt que des engagements directs. Mais trop souvent, ils se limitent à des fonds locaux ou américains. Mme Stanisławska regrette que les pensions investissent encore plus volontiers aux États-Unis que dans d’autres pays européens, affaiblissant ainsi l’écosystème continental.

Quelques marchés font figure d’exception. Les régimes nordiques investissent environ 400 millions de dollars, majoritairement dans leurs marchés domestiques. La Finlande et la Suède se distinguent par un soutien marqué aux acteurs locaux du capital-risque, et l’Islande va plus loin encore, certains fonds de pension représentant jusqu’à 80 % de la base d’investisseurs d’un fonds de capital-risque. Le Royaume-Uni a fixé un cap avec le Mansion House Compact, qui engage les régimes de retraite à porter à 5 % leur exposition aux actifs non cotés d’ici 2030. Ailleurs, les montants restent modestes : 200 millions pour l’ensemble France–Benelux, 130 millions pour la zone DACH, et seulement 30 millions en Europe du Sud et centrale.

Le paradoxe luxembourgeois

Le Luxembourg illustre bien ce décalage. Le pays est un centre mondial pour la domiciliation de fonds alternatifs, abritant notamment l’EIF et le Luxembourg Future Fund, mais ses régimes de retraite restent de petite taille et très conservateurs. Tous les ingrédients sont en place : expertise en structuration, reporting de haut niveau, proximité des grands investisseurs institutionnels, estime Kinga Stanisławska. Selon cette dernière, le Luxembourg pourrait devenir un hub pour créer des véhicules pension-friendly. Mais le frein principal reste la faible volonté des régimes domestiques à s’engager.

Elle souligne également que les équipes internes chargées des investissements alternatifs, qui regroupent le capital-risque, les infrastructures, l’immobilier ou encore les hedge funds, sont souvent réduites et doivent couvrir un spectre très large. Externaliser la sélection à des fonds de fonds spécialisés constituerait une réponse adaptée. « C’est une manière de confier la diversification et la gestion active à des experts, sans alourdir les équipes internes », souligne-t-elle.

Win-win

L’enjeu dépasse la performance financière. Avec le vieillissement de la population, les fonds de pension doivent trouver des sources de rendement supérieures aux 1-3 % annuels attendus sur les classes traditionnelles. Le venture est, selon Mme Stanisławska, la seule classe d’actifs capable d’offrir durablement des rendements nettement plus élevés. Elle le présente comme un win-win : résoudre à la fois le problème de rendement des pensions et le financement de l’innovation européenne.

La comparaison avec les États-Unis illustre l’ampleur du retard : là où les grands fonds publics comme CalPERS ou CalSTRS ont intégré le capital-risque comme pilier stratégique, l’Europe reste timide. Sans fonds de dotation universitaires puissants ni fondations engagées, les pensions représentent quasiment le seul réservoir de capitaux à long terme capable de soutenir cette classe d’actifs.

La question est désormais claire pour les détenteurs d’actifs et consultants du Luxembourg et du Benelux : l’ouverture au capital-risque est-elle compatible avec leurs mandats, leur appétit au risque et leurs contraintes réglementaires ? L’étude plaide pour une réponse positive, en rappelant que des solutions existent pour calibrer l’exposition et maîtriser le risque.

Reste à savoir si les acteurs locaux saisiront cette opportunité. Le rapport Draghi met en garde : sans mobilisation du capital privé, l’Europe restera dépendante du financement bancaire et vulnérable face aux États-Unis et à la Chine dans les secteurs technologiques clés. Pour le Luxembourg comme pour le Benelux, l’enjeu est stratégique : rester spectateurs ou devenir des plateformes d’intermédiation capables de canaliser les capitaux nécessaires à la compétitivité et à la transition de l’économie européenne.

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