La pression politique exercée sur la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine s’intensifie, alors qu’elle multiplie les efforts pour imposer des rapports climatiques et une règlementation ESG. Le récent report de la publication des règles définitives suggère que la SEC cèderait finalement à cette pression.
Garry Gensler, président de la SEC, est l’ardent partisan d’une règlementation ESG plus rigoureuse pour les Bourses américaines, mais il semble à présent marquer le pas. La semaine dernière, la SEC a reporté pour la troisième fois la publication de la version définitive de ses règles en matière de rapports climatiques. Au mois de novembre, le gendarme américain avait déjà éliminé toutes les références aux ESG de ses 2024 Examination Priorities à destination des conseillers en investissement et autres prestataires de services financiers.
La commission veut contraindre les entreprises cotées à communiquer des informations sur leur impact climatique, comme leurs émissions de CO2, dans leurs bilans annuels.
La SEC se heurte cependant à des critiques croissantes de la part des entreprises américaines et du monde politique, opposés à l’extension de ces règles ; plus tôt cette année, un membre de la Chambre avait d’ailleurs qualifié cette évolution d›« arme » de la SEC.
Scope 3
La plupart des problèmes liés à la divulgation de données climatiques portent sur le Scope 3, c’est-à-dire la communication des émissions produites dans la chaîne logistique. La question est de savoir si la SEC peut imposer des exigences relevant du Scope 3, son pouvoir de surveillance se limitant aux entreprises cotées.
« Contraindre les entreprises cotées à rapporter leurs émissions relevant du Scope 3 – ce qui requerrait probablement d’entreprises privées qu’elles-mêmes soumettent des rapports à ces entreprises cotées – constituerait un excès de pouvoir de la part de la SEC, déclare Jonathan McGowan, avocat et journaliste ESG pour Forbes, lors d’un entretien avec Investment Officer. Les membres démocrates du Congrès tiennent au Scope 3, il faut donc qu’une solution soit trouvée d’une manière ou d’une autre. »
Des organisations telles que la Chambre de commerce américaine et le procureur général de Virginie-Occidentale, Patrick Morrisey, se montrent toutefois préoccupés par ce projet. Les sénateurs démocrates Jon Tester, du Montana, et Joe Manchin, de Virginie-Occidentale, ont eux aussi exprimé leurs inquiétudes au sujet des émissions du Scope 3. Enfin, les procureurs généraux menacent de prendre des mesures juridiques si la SEC venait à mettre en œuvre des règles plus strictes.
Report
Malgré le report d’un cadre légal définitif à avril 2024, probablement, Garry Gensler refuse encore d’en dire plus sur une éventuelle modification des plans. Il a néanmoins déclaré avoir entendu « clairement » les objections de ses détracteurs.
À la question de savoir si avril 2024 avait une quelconque signification, Garry Gensler aurait répondu, selon Bloomberg Law : « Ma fille aînée fête son anniversaire en avril ».
« Pourquoi ce report ? Je spécule, mais la SEC se prépare sans doute à faire face à une foule de problèmes juridiques et politiques posés par le Congrès et les entreprises concernant cette proposition climatique controversée », avance Cydney Posner, avocate chez Cooley LLP et spécialiste en matière de rapports SEC et conformité. « Peut-être ses collaborateurs sont‑ils encore occupés à parcourir les 16 000 commentaires reçus au sujet de la proposition », poursuit-elle.
Burn-out
Difficile de dire si ce freinage soudain de l’agenda durable de la SEC signifie également que les ESG ne sont plus une priorité.
« Selon moi, la pression exercée par les entreprises n’a pas encore freiné l’ambition de la SEC de responsabiliser les entreprises quant à leur impact climatique et ESG, mais elle a tout de même suscité davantage de prudence, et la menace de procédures judiciaires en grand nombre a probablement entraîné un burn out », observe Donald Langevoort, professeur de droit à l’université de Georgetown et ancien avocat de la SEC, dans un entretien avec Investment Officer.
Jonathan McGowan ne croit pas non plus que ces enjeux juridiques mettront un frein à la volonté de la SEC de rendre les rapports climatiques obligatoires, mais il estime néanmoins que cela l’incitera à une « prudence particulière ».
Calendrier
Selon Jonathan McGowan, le calendrier d’implémentation qui suivra la publication des règles définitives est un facteur important pour la SEC.
Les normes en matière d’établissement de rapports n’entreront en vigueur qu’après avoir figuré une année complète dans le Registre fédéral, explique Jonathan McGowan. Si la SEC décide d’imposer ces normes en 2023, les règles ne s’appliqueront qu’en 2025. Un report à début 2024 signifierait par conséquent que les règles prendraient effet un an plus tard.
Avec, l’an prochain, la perspective d’un changement de pouvoir au sein de la politique américaine, et donc de la SEC, la commission semble se préparer à une série de nouvelles règles au cours des mois à venir, indique Bloomberg.
Selon Jonathan McGowan, « Gary Gensler a clairement fait savoir que l’objectif était de donner aux entreprises le plus de temps possible pour se préparer, ce qui me fait penser que les règles définitives pourraient bien être déjà achevées, mais que leur communication est délibérément différée jusqu’au premier trimestre 2024. »