Jerome Powell, Fed
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Lorsque les banques centrales sont les principaux acteurs du marché, avec des programmes de soutien et de rachat représentant des milliers de milliards de dollars, d’euros et de yens, que faut-il faire en tant qu’investisseur ? Eh bien, acheter ce qu’achètent (in)directement les banques centrales en tant que prêteurs en dernier ressort. Exemple.

En quelques semaines seulement, des foyers similaires ont éclaté au même moment presque partout dans le monde : un virus contagieux et mortel pour les groupes à risque, des marchés financiers confrontés à des investisseurs pris de panique et à des problèmes de liquidités, et des effets de débordement sur l’économie (mondiale) suite à un confinement qui aurait maintenant déjà pris les deux tiers de l’humanité en otage. 

En réponse à ce ‘perfect storm’, le gouvernement américain et la Réserve fédérale ont annoncé des mesures (de suivi) sans précédent : plus de 2000 milliards de dollars de soutien pour sauver l’économie d’un scénario dans lequel elle pourrait retomber dans un état de Dépression.

La Fed peut ainsi racheter pour 850 milliards de dollars de prêts aux entreprises, y compris une catégorie spécifique de junk bonds. En outre, 600 milliards de dollars sont disponibles pour les prêts aux petites et moyennes entreprises aux États-Unis, tandis que 500 milliards de dollars de prêts peuvent être accordés aux États, aux comtés et aux villes. 

Auparavant, il avait été décidé de réduire les taux d’intérêt à zéro pour cent et de fournir une aide d’urgence aux citoyens américains qui perdaient leur emploi suite à l’épidémie de coronavirus et au confinement. Ce dernier point n’est pas un luxe superflu : 17 millions d’Américains ont ainsi demandé des allocations de chômage depuis l’épidémie de coronavirus. Sur le marché, on chuchote qu’aux États-Unis, un plan de soutien aux grandes entreprises (cotées en bourse) sera également présenté dans les semaines à venir. 

Les junk bonds connaissent une hausse de cours

La semaine dernière, il est apparu clairement que la Réserve fédérale a maintenant franchi le Rubicon et rachète les obligations d’entreprises les plus spéculatives des États-Unis : les junk bonds, qui ont connu de ce fait la plus forte hausse de cours depuis 1998.

En conséquence de cette politique de rachat, approuvée par le Congrès au début du mois, la différence de rendement entre les junk bonds et les obligations d’État américaines à dix ans a chuté de 86 points de base pour atteindre 785 points, révèle l’indice Bloomberg Barclays US Corporate High Yield. 

La Réserve fédérale a annoncé qu’elle achèterait une quantité limitée de junk bonds dépréciés, ce qui a réduit dans ce segment du marché la tension résultant de la pandémie et du confinement qui a suivi dans de grandes parties des États-Unis. En conséquence, le rendement moyen de la dette des entreprises a baissé d’un point de pourcentage pour atteindre 8,48 %. Le 23 mars, lorsque les marchés boursiers américains ont atteint un creux intermédiaire, le spread était encore de 1100 points de base. 

Afin de maintenir le marché intact, la Fed a annoncé qu’elle étendait son programme de rachat aux titres de créance qui étaient encore investment grade le 22 mars, mais ont ensuite été déclassés au niveau BB. Au total, il s’agissait de 150 milliards de dollars en titres IG. L’une des entreprises concernées était le groupe automobile Ford, un ‘ange déchu’ dont les titres de créance peuvent être rachetés directement par la Fed.

Un total de 850 milliards de dollars est disponible pour ce programme de soutien. La plupart des rachats sont effectués par l’intermédiaire d’ETF. Pour cette politique de rachat, la Fed est conseillée par BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, auquel appartient notamment le fournisseur d’ETF iShares.

Cette politique n’est pas sans risque. Jerome Powell (photo), le président de la Fed, est qualifié de nouveau ‘junk bond king’ par ses détracteurs, tandis que la Fed se voit reprocher d’être ‘un virus du marché qui infecte tout’ et de n’être plus seulement le ‘prêteur en dernier recours’, mais d’être devenue le ‘prêteur de tous les recours’.

Cela pourrait saper la confiance à long terme dans la Fed (et son indépendance prévue par la loi). Le rachat de junk bonds, surtout, est particulièrement discutable, car les sociétés de capital-investissement sont très actives dans ce segment et les plus importantes d’entre elles gagnent des salaires annuels exorbitants, mais aussi parce qu’elles peuvent accorder des prêts aux comtés et aux villes – dans une année électorale, qui plus est. 

En outre, il faut noter qu’avec ses injections de liquidités, la Réserve fédérale gonfle le bilan de la banque dans des proportions sans précédent. Après les dernières interventions, celui-ci représente plus de 6000 milliards de dollars, soit une augmentation de 30 % en trois semaines seulement.

Amerikaanse creditmarkt: Fallen angels

Montagne de la dette mondiale

Afin de mettre ces développements en perspective, l’Institut de la finance internationale (IIF) a publié la semaine dernière le Global Debt Monitor. En 2019, la dette mondiale a augmenté de 10 000 milliards de dollars pour atteindre 255 000 milliards de dollars, soit pas moins de 322 % du PIB mondial – ce qui représente une augmentation de 40 % par rapport à 2008.

Cette dette astronomique est principalement imputable aux gouvernements. En 2007, ils représentaient encore une dette cumulée de 35 000 milliards de dollars. L’année dernière, celle-ci était passée à 70 000 milliards. En raison de l’épidémie de coronavirus et de la réponse fiscale formulée par les gouvernements, l’IIF s’attend à ce que le ratio d’endettement mondial augmente de façon dramatique en 2020 : ainsi, 2100 milliards de dollars de titres de créance ont été émis par les gouvernements rien qu’au mois de mars.

L’IIF estime que les gouvernements emprunteront deux fois plus cette année qu’en 2019. Si, dans le même temps, l’économie mondiale se contracte de 3 % en raison de la pandémie, la montagne de dettes passera de 322 % du PIB mondial en 2019 à 342 % cette année.

Les conséquences de l’accumulation des dettes publiques font aujourd’hui l’objet d’un débat animé entre les économistes.  Certains d’entre eux craignent que la politique monétaire de la Fed et de la BCE n’ait des conséquences néfastes majeures, à savoir une bulle d’actifs résultant de la baisse des taux d’intérêt d’une part, et des épargnants et des fonds de pension se retrouvant dans le besoin d’autre part.  Comme Lex Hoogduin, ancien directeur de la banque centrale néerlandaise, ils tablent sur une crise très importante dans laquelle, à un moment donné, les gouvernements ne respecteront plus leurs obligations en matière d’intérêts et de dette. 

D’autres, en revanche, estiment que le problème réside principalement dans une croissance trop faible ainsi que dans le fait que les gouvernements européens ne parviennent pas à stimuler l’économie. Selon eux, l’épargne est beaucoup trop importante et les investissements et la consommation insuffisants. Ils considèrent également la crise actuelle comme une incitation pour les gouvernements à abandonner les critères du pacte de stabilité européen (déficit budgétaire en dessous du seuil de 3 %) et à investir massivement dans la durabilisation de l’économie et la société, par exemple.

Cela n’enlève rien au fait que les politiques des banques centrales ont jusqu’à présent apporté un calme relatif sur les marchés financiers, mais que les deux autres crises actuelles ne sont en aucun cas résolues : la pandémie et les effets de débordement sur l’économie réelle.

Dans ce contexte, on peut se demander s’il est justifié que, dans leur enthousiasme pour les mesures de la Fed, les marchés aient fait monter le S&P de plus de 20 % depuis le creux intermédiaire du 23 mars.

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