Foto door Sumudu Mohottige via Unsplash
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L’investissement axé sur la valeur a connu des performances décevantes depuis les années 1990. L’indice MSCI World Value a réalisé un rendement annualisé de 8,5 % sur une période de 10 ans, contre 11,2 % pour l’indice MSCI World « classique ». Cela soulève des questions quant à la durabilité de cette stratégie d’investissement et à la pertinence des indices de valeur. Les investisseurs appellent à une nouvelle approche. 

Hendrik Leber, fondateur du gestionnaire d’actifs allemand Acatis Investment, critique l’approche classique de l’investissement axé sur la valeur et la manière dont les indices tels que le MSCI World Value sont construits. « La sélection basée sur le ratio cours/valeur comptable n’a pas de sens », déclare-t-il sans ambages. « Cela conduit inévitablement à de mauvais résultats. » 

Selon M. Leber, la valeur comptable ne donne qu’une image limitée de la valeur réelle d’une entreprise, en particulier dans des secteurs tels que la technologie et les soins de santé. « La valeur comptable n’est pertinente que pour les entreprises qui ne connaissent pas de croissance ou une croissance limitée, explique-t-il. Ce qui compte vraiment, c’est l’efficacité avec laquelle une entreprise utilise son capital. »

Pour le fonds phare de la firme allemande, M. Leber s’est donc éloigné en 2017 de l’approche classique adoptée notamment par Warren Buffett . « Le monde ne se résume pas aux chemins de fer et au ketchup », déclare M. Leber, qui estime que M. Buffett s’en est tenu trop longtemps à son approche classique. M. Leber s’intéresse désormais aux flux de trésorerie futurs plutôt qu’au bilan. 

« Une entreprise en croissance a besoin de capital, mais ce capital doit rapporter plus que le rendement actuel des capitaux propres », explique M. Leber. Pour les investisseurs, selon lui, tout est une question du rapport entre la capitalisation boursière et la valeur potentielle : « Si la valeur comptable et la valeur actualisée des bénéfices futurs dépassent la capitalisation boursière actuelle, vous avez une valeur réelle à saisir. »

Il illustre son propos par un exemple : « Une entreprise de transport doit doubler l’ensemble de sa flotte de camions pour doubler son chiffre d’affaires. Cela demande beaucoup de capital. Mais il suffit à Microsoft de servir 10 % de clients en plus pour réaliser 10 % de bénéfices en plus, alors que le coût supplémentaire pour y parvenir est pratiquement nul. »

« La méthode traditionnelle du cours rapporté à la valeur comptable n’est pas satisfaisante, notamment en raison de l’émergence de nouveaux modèles d’entreprise. »

 Luc Plouvier, spécialiste des actions à dividendes et axées sur la valeur chez Van Lanschot Kempen

Luc Plouvier, spécialiste des actions à dividendes et axées sur la valeur chez Van Lanschot Kempen, affirme également que la manière dont on reconnaît la valeur en tant qu’investisseur a changé. « La méthode traditionnelle du cours rapporté à la valeur comptable n’est pas satisfaisante, notamment en raison de l’émergence de nouveaux modèles d’entreprise. Nous préférons examiner la manière dont les entreprises utilisent leurs actifs, les flux de trésorerie qu’elles génèrent et les rendements qu’elles réalisent. »

M. Plouvier estime qu’il est important d’analyser le cycle économique, car les flux de trésorerie peuvent être temporairement sous pression. « Toutefois, dans l’industrie automobile, c’est structurellement le cas depuis longtemps », précise-t-il. « La génération de flux de trésorerie y est depuis longtemps faible par rapport à la quantité d’actifs qu’elle doit déployer à cet effet. Ces entreprises devraient en fait repenser l’allocation de leur capital. C’est pourquoi nous sommes sélectifs dans le choix des constructeurs automobiles dans lesquels nous investissons. » 

Il préfère opter pour des entreprises dotées d’avantages concurrentiels durables, qui obtiennent des rendements élevés sur leur capital année après année et peuvent le réinvestir de manière rentable. Cette approche ne conduit pas automatiquement à une préférence pour les entreprises de croissance. « Nous trouvons de la valeur dans divers secteurs : des secteurs traditionnels tels que les banques aux entreprises de croissance individuelles qui peuvent avoir un ratio cours/valeur comptable ou cours/bénéfice élevé, mais dont le potentiel de croissance est sous-évalué », explique M. Plouvier.

Nvidia dans le fonds valeur

Chez Acatis, la composition du fonds phare serait très différente sans le changement d’orientation stratégique opéré en 2017. Actuellement, les trois positions les plus importantes de l’Acatis Aktien Global Fund sont Nvidia, Palantir et Microsoft – des entreprises qui n’apparaissent pas facilement sur le radar des investisseurs traditionnels axés sur la valeur. Nvidia fait partie du portefeuille depuis 2016. « J’ai acheté les premières actions après avoir rencontré le CEO Jensen Huang en personne », explique M. Leber. « À l’époque, les investisseurs avaient du mal à saisir les implications de l’intelligence artificielle, mais nous en avons perçu le potentiel. » Depuis, l’action a connu une hausse fulgurante, et M. Leber a réduit sa position.

 « Dans les entreprises à forte croissance, vous constatez souvent que la rentabilité est initialement mise sous pression par les investissements dans la croissance. Une fois que le point de basculement est atteint, il est temps d’investir. »

Hendrik Leber, fondateur d’Acatis Investment

Il a ajouté Palantir une fois que cette société a commencé à être rentable. « Dans les entreprises à forte croissance, vous constatez souvent que la rentabilité est initialement mise sous pression par les investissements dans la croissance », selon M. Leber. « Cependant, une fois que le point de basculement est atteint, il est temps d’investir. » Microsoft fait également partie du portefeuille d’Acatis depuis des années. « Nous sommes entrés dans le capital en 2010, lorsque les actions étaient encore relativement bon marché. Sous la direction du nouveau CEO, l’entreprise a commencé à être axée davantage sur le client. Cela a été pour nous le signal que quelque chose de fondamental était en train de changer. »

Après les fortes hausses du cours des actions ces dernières années, les attentes en matière de rendement du fonds ont été revues à la baisse, admet M. Leber. « Nous visons un taux de rendement interne de 10 % par an, mais le rendement attendu est aujourd’hui plutôt de l’ordre de 6 à 8 %. »  

L’écart de valorisation offre des opportunités 

Ainsi, bien que les investisseurs interrogés remettent en question la « méthode classique », ils soulignent que l’investissement axé sur la valeur « se porte bien ». Selon Joris Franssen, responsable de l’équipe action de dividendes et de valeur chez Van Lanschot Kempen, ce n’est pas la première fois que l’investissement axé sur la valeur est écarté à tort. « C’est précisément lorsque ce sentiment prend le dessus que cette stratégie d’investissement devient intéressante », affirme-t-il. « En 2000, l’investissement axé sur la valeur a également été déclaré mort, mais au cours des années suivantes, il a produit d’excellents rendements. »

« L’investissement axé sur la valeur ne se résume pas à un multiple faible. Nous sommes tout à fait disposés à payer un multiple élevé pour une entreprise qui connaît une croissance rapide et dispose d’un avantage concurrentiel durable. »

 Joris Franssen, responsable de l’équipe action de dividendes et de valeur chez Van Lanschot Kempen

M. Franssen note que les actions de croissance sont actuellement valorisées à un niveau nettement plus élevé, alors que les actions de valeur sont à la traîne. « L’écart de valorisation entre les deux est aujourd’hui exceptionnellement important, ce qui crée des opportunités attrayantes pour les investisseurs axés sur la valeur. »

« L’investissement axé sur la valeur ne se résume pas à un multiple faible », souligne M. Franssen. « Nous sommes tout à fait disposés à payer un multiple élevé pour une entreprise qui connaît une croissance rapide et dispose d’un avantage concurrentiel durable. Il est important de conserver une marge de sécurité importante dans la valorisation, car il existe toujours une incertitude autour de nos hypothèses de calcul. »

Dans la stratégie Kempen Global Value, les secteurs de croissance typiques tels que la technologie et la santé ont une pondération limitée d’environ 6 % et 8 %, respectivement. Ces secteurs sont donc sous-pondérés par rapport à l’indice MSCI World Value.

« Comme nous l’avons dit, nous trouvons de la valeur sur l’ensemble du marché, mais nous constatons actuellement que le marché surévalue les entreprises dont on attend une croissance future forte. Il n’est donc pas surprenant que nous soyons actuellement sous-exposés à ces secteurs », conclut M. Plouvier.
 

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