Autrefois considérée comme la terre promise pour les investisseurs, la Chine subit de tels revers que les gestionnaires de portefeuilles institutionnels du monde entier se demandent de plus en plus si le pays est encore un marché investissable. La question de Taïwan, en particulier, plane comme une épée de Damoclès au-dessus des marchés.
Se demander si la Chine constitue encore un marché investissable est une question légitime, mais trop complexe pour qu’on puisse y répondre simplement par oui ou non. C’est ce qu’affirme Arthur Kroeber, fondateur de Gavekal Dragonomics, un cabinet indépendant de recherche spécialisée dans l’économie, la politique et les questions sociales en Chine, lors d’un entretien avec Investment Officer.
Une économie chinoise chancelante, des tensions géopolitiques persistantes et une réglementation imprévisible ont fait naître chez les investisseurs une certaine réticence à l’égard des actifs chinois.
Depuis le début de l’année, la Bourse de Shanghai a enregistré une baisse de plus de 2 %, alors que celle de Shenzhen a chuté de plus de 10 %. La Bourse de Hong Kong, où les investisseurs étrangers s’exposent généralement de manière indirecte à la Chine, a plongé de plus de 11 %.
Arthur Kroeber souligne que la croissance économique est entravée aussi bien par une faible reprise après l’assouplissement des restrictions liées à la pandémie que par des défis structurels résultant d’une stratégie économique historiquement trop axée sur l’immobilier, d’une dette locale élevée et d’entreprises d’État inefficaces.
« Le gouvernement chinois est actuellement plus préoccupé par le contrôle de la population que par la croissance économique. Ce virage est vraiment significatif », déclare Arthur Kroeber, qui vit et travaille à New York et Pékin depuis les années 90.
Taïwan
Cependant, le risque le plus prégnant est la position de Pékin sur la question de Taïwan, affirme Arthur Kroeber, ce qui a été confirmé par le président Xi Jinping lors du sommet international qui s’est tenu à San Francisco mercredi dernier.
Actifs gelés
Le spectre des « actifs gelés » en cas d’éventuel conflit entre la Chine et Taïwan est devenu un scénario réaliste depuis l’invasion russe en Ukraine, déclare Arthur Kroeber.
Si la Chine décide d’attaquer Taïwan, ce qui n’est pas du tout inconcevable pour lui, les investisseurs détenant des participations importantes « perdront une grande partie, voire la totalité de leur argent ». Il estime que investisseurs ne doivent pas se bercer d’illusions et croire que les liquidités resteront intactes en cas de tensions géopolitiques persistantes.
« Le rapatriement d’argent vers l’Europe ou l’Amérique ne serait alors pas une option réalisable, comme nous l’avons vu avec les actifs gelés en Russie », déclare Arthur Kroeber.
Capital-investissement
Les acteurs du capital-investissement ne sont pas davantage épargnés par l’incertitude. Selon Arthur Kroeber, le risque associé aux investissements à long terme dans des fonds de capital-investissement chinois est significatif. Il illustre son propos avec l’exemple de fonds de pension et fonds de dotation américains qui ont placé une part considérable de leurs portefeuilles dans des investissements privés en Chine. Dans quelle mesure les acteurs qui investissent l’argent de leurs clients en Chine pour dix ans peuvent-ils être sûrs que leurs actifs ne seront pas gelés en cas de guerre avec Taïwan ? En d’autres termes, il n’y a pas vraiment de certitude.
Malgré des rendements florissants au cours de la dernière décennie, les fonds de capital-investissement et de capital-risque axés sur la Chine ont affiché en 2022 un rendement annuel moyen de -5,6 %, précise le South China Morning Post, qui s’appuie sur les données du fournisseur de données Burgiss.
Ces rendements plus faibles ont entraîné d’importantes difficultés à lever des capitaux : selon les données du secteur, les gestionnaires de fonds mondiaux axés sur la Chine n’ont levé que 5,6 milliards de dollars en septembre dernier, soit une baisse de plus de 70 % par rapport à 2022.
Secteurs pharmaceutique et énergétique
Selon Arthur Kroeber, les investisseurs qui souhaitent malgré tout investir en Chine ont tout intérêt à se concentrer sur des secteurs moins sensibles aux tensions géopolitiques et aux caprices du gouvernement chinois, comme l’industrie pharmaceutique et l’énergie verte. « Dans ces secteurs, la Chine est l’acteur dominant dans toute la chaîne de production. »
« Investir dans la haute technologie reste également intéressant pour de nombreux investisseurs, car dans ce secteur, vous êtes relativement à l’abri des interventions du gouvernement chinois. Bien entendu, il existe toujours un risque de sanctions de la part des États-Unis. Tant que vous évitez les secteurs tels que les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle, vous êtes probablement en sécurité dans la haute technologie. En effet, il est facile pour le gouvernement américain de limiter les importations de puces et de produits liés à l’intelligence artificielle au nom de la sécurité nationale. »