Stefan Duchateau
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« Si la population comprenait comment fonctionnent le milieu bancaire et la politique monétaire, cela déclencherait immédiatement une révolution. »  Henry Ford avait proféré ces paroles en se référant à la situation prévalant avant et durant la Grande Dépression. Si cette critique était parfaitement justifiée à l’époque, elle l’est sans doute moins dans les circonstances actuelles. Et elle l’est d’autant moins au vu des efforts des autorités monétaires, qui ont lutté avec courage et persévérance contre les conséquences de la pandémie avec tous les moyens et instruments disponibles. 

Mais ce succès a un revers, qui était du reste prévisible. Les stimulants économiques à cette échelle, combinés à une création monétaire débridée, exercent immanquablement une pression haussière sur le niveau général des prix. Ce prix à payer est somme toute très relatif car la voie alternative, à savoir ne rien faire et abandonner tout le monde à son sort au déclenchement de la pandémie en février 2020, aurait provoqué une grave récession économique et une profonde crise bancaire, générant à leur tour des risques systémiques. Un fardeau insupportable qui aurait porté un coup fatal à l’économie mondiale, et cela d’autant plus que les blessures économiques de la crise de 2008 et 2011 (certainement en Europe) étaient encore loin d’être toutes cicatrisées.

Cette évolution défavorable de l’inflation est alimentée plus particulièrement à l’échelle mondiale par une flambée des prix de l’énergie et une pénurie temporaire (tantôt réelle, tantôt imaginaire) de biens intermédiaires dans le processus de production. Ce dernier aspect finira par disparaître à mesure que l’activité économique se normalisera. Mais nous n’en sommes pas encore là, même si certaines grandes entreprises indiquent déjà ne plus souffrir des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, qui avaient connu leur apogée lors du trimestre écoulé et ne causent plus de problème aujourd’hui.    

La pression haussière sur les prix se maintiendra cependant encore quelques années. En soi, ce n’est pas une catastrophe: un rythme (sensiblement) plus soutenu de hausses de prix au cours des cinq prochaines années compensera une période d’inflation relativement basse. D’ailleurs, vous rappelez-vous les tentatives désespérées de la BCE pour booster ces indicateurs d’inflation au cours des années précédant la crise sanitaire ? Dans une ultime tentative de pousser les prix à la hausse, la banque centrale avait même dû instaurer un taux directeur négatif. Une manœuvre politique inefficace, qui a malheureusement vu une grande partie de la poudre monétaire s’envoler dès 2015 et, en 2020, la BCE limiter ses outils monétaires à des achats massifs d’obligations d’État et d’entreprises et à la fourniture de liquidités à une échelle sans précédent. 

Notez que le taux interbancaire se situe à un niveau inférieur au taux de dépôt. En d’autres termes, cela signifie que les banques européennes sont pénalisées au taux de dépôt de la BCE (0,50 %) pour la détention de liquidités excédentaires. Or, curieusement, les grandes banques préfèrent bloquer leurs liquidités sur le marché interbancaire à un taux encore plus défavorable, ce qui peut donner à la banque centrale une image flatteuse de l’utilisation réelle des ressources financières mises à disposition.

Graphique 1: Évolution des taux directeurs de la BCE (taux de dépôt et taux de prise en pension) et du taux interbancaire (3 mois) dans la zone euro. 

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Il serait déjà facile de vous faire peur en pointant le bond spectaculaire des indicateurs de l’inflation aux États-Unis et dans la zone euro. En effet, il serait légitime de s’en inquiéter de prime abord. Mais la force de ce rebond s’explique d’une part par une contre-réaction naturelle à la chute des prix en 2020, un peu comme quand on tient une balle sous l’eau avant de la relâcher. 

Et d’autre part, par le dynamisme de l’économie, en particulier aux États-Unis. Un momentum si puissant que des hausses de prix étaient inévitables. Tant que cette inflation ne dérape pas davantage, la lecture actuelle des indicateurs n’est pas de nature à faire paniquer les marchés financiers. Si l’inflation reste relativement prévisible, les salaires s’y adapteront progressivement et les entreprises pourront ajuster en temps voulu leurs prix finaux. Cette évolution maîtrisée n’affecterait ni les habitudes de consommation ni les marges bénéficiaires.

Malheureusement, une remontée du niveau de l’inflation réduit aussi sa prévisibilité. Dès lors, une forte augmentation des prix prendrait les consommateurs de court : ils dépenseraient moins faute de voir leurs salaires s’adapter aussi rapidement, tandis que les entreprises ne pourraient pas adapter leurs marges, ce qui pèserait sur l’évolution de leurs bénéfices. Mais, pour l’heure, nous n’en sommes pas encore là. Le principal indicateur de la maîtrise ou non de la hausse des prix est l’évolution de la base salariale. Les salaires augmentent certes à un rythme soutenu (surtout dans le segment des emplois les mieux rémunérés), mais pas encore dans des proportions alarmantes. 

Reconnaissons tout de même que la réaction des banques centrales arrive bien tardivement. Dans la zone euro parce que l’on ne perçoit aucune possibilité de relever le taux directeur, ce qui entrave considérablement une politique anti-inflationniste, afin que la banque centrale américaine soit mieux armée dans sa lutte contre l’inflation. 

Aux États-Unis, le processus de tapering n’est cependant pas encore assez avancé pour permettre une hausse des taux d’intérêt officiels. Ce sera cependant le cas en mars 2022. Un premier relèvement de 25 points de base (ou d’emblée plus important ?) devrait intervenir à ce moment-là. La courbe des taux indique provisoirement que les relèvements suivants du taux directeur, chaque fois de 25 points de base, auraient lieu en juin, septembre et décembre 2022. 

Pour cette année, on compte donc en tout cas un relèvement de plus que le nombre prévu il y a encore deux semaines. La portée de ce changement, qui a fait les gros titres dans la presse, ne doit cependant pas être exagérée. Il y a un mois, on pronostiquait déjà un nouveau relèvement en février 2023. Alors, décembre ou février ? Une telle différence n’a pas grande signification et cela d’autant plus que le nombre de relèvements anticipés par la suite est très limité. Cependant, les gouverneurs de la banque américaine semblent avoir surenchéri ces derniers jours quant à l’agressivité avec laquelle ils veulent s’attaquer à l’inflation. Cela ne rend pas service aux marchés financiers. En effet, les prix de détail comme les prix de gros indiquent que l’inflation se stabilise (à un niveau très élevé). 

L’évolution de l’inflation moyenne attendue pour les 5 prochaines années diverge fortement de celle, effrayante, des prix de gros et de détail américains et européens, malgré la publication récente de chiffres CPI indiquant que les prix à la consommation aux États-Unis en décembre 2021 ont augmenté de pas moins de 7 % en rythme annuel, soit la plus forte hausse en 40 ans.

Graphique 2: Évolution des prix de détail et de l’inflation attendue (à 5 ans) aux États-Unis

 

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Si les marchés financiers anticipent un rythme plus soutenu de l’inflation, ils excluent tout dérapage supplémentaire et tablent même à terme sur sa réduction. 

Mais la frayeur est mauvaise conseillère et un investisseur nerveux perd facilement les pédales. On l’a encore observé la semaine dernière lorsque le rapport officiel de la Réserve fédérale a révélé que les membres du FOMC avaient débattu ouvertement d’une réduction du bilan de la banque centrale.

En termes profanes, cela signifie que la Fed ne va pas se limiter à réduire ses programmes de rachats d’obligations (le tapering) et à relever son taux directeur, mais aussi que la banque centrale américaine entend également ne pas réinvestir (ou pas entièrement) sur les marchés obligataires les obligations d’État et d’entreprises qu’elle détient actuellement dans son portefeuille une fois qu’elles seront arrivées à échéance. La contraction du total du bilan de la banque centrale a un impact beaucoup plus direct sur le refroidissement de l’économie que les relèvements (plutôt symboliques) des taux directeurs. 

Cette publication a provoqué un vent de panique et un plongeon de Nouvel An plutôt frisquet sur les bourses d’obligations et d’actions. Comme dans la zone euro, le taux obligataire américain à 10 ans a bondi d’un coup de pas moins de 0,4 %, avant de se stabiliser peu après à un niveau qui est toujours inférieur à celui observé avant la pandémie. 

Graphique 3: Taux des obligations d’État à 10 ans aux États-Unis et dans la zone euro 

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La hausse anticipée de 30 points de base des taux des obligations d’État à 10 ans aux États-Unis au cours des 12 prochains mois reste très modérée également, surtout comparée à l’inflation actuelle et au vu de la conjoncture économique dynamique outre-Atlantique. 

Les marchés d’actions ont été aux premières loges de la débandade. Et ce sont surtout les actions de croissance (vous le savez, notre preferred habitat…) qui ont mordu la poussière. D’une part, parce que le gros des revenus attendus de telles entreprises se situe plus loin dans le temps, ce qui les rend plus vulnérables aux hausses des taux d’intérêt à long terme. Toutefois, cet argument n’est valable qu’à court terme. Sur un horizon plus large, la composante croissance compensera l’impact négatif de la hausse des taux d’intérêt. 

Et d’autre part, parce qu’elles se prêtaient aux prises de bénéfices les plus juteuses après leur progression spectaculaire au cours des dernières années. Ces valeurs sont ainsi les premières candidates à la vente lorsque les investisseurs souhaitent réorienter leurs portefeuilles vers les actions industrielles traditionnelles. 

Une fois cette rotation opérée, la pression à la vente sur les actions de croissance (notamment dans les secteurs technologiques) diminuera dans une large mesure et l’on se rendra compte que la chute de leurs cours aura constitué à nouveau une opportunité d’achat. In a (few) year(s) from now, you wish you had started today… 

Mais, pour notre part, nous réservons également une place plus importante aux valeurs industrielles dans nos portefeuilles. Et cela, pas uniquement en raison de l’amélioration des indicateurs conjoncturels industriels. Nous estimons en effet que le secteur technologique est devenu plus cher de manière générale et nous nous focalisons donc désormais sur les sous-secteurs qui associent un potentiel de croissance à une valorisation modérée. 

Ce qui nous laisse toujours un grand choix. Il s’agit surtout de sortir sa loupe afin d’identifier le potentiel de croissance qui n’est pas encore totalement reflété dans la valorisation boursière de l’entreprise. Dans le secteur technologique, nous le trouvons actuellement plutôt dans les moyennes et petites capitalisations, principalement chez les fournisseurs des grands producteurs de semi-conducteurs. Dans le secteur financier, nous restons largement à l’écart des banques traditionnelles, malgré la flambée temporaire de leurs cours, à moins que l’essentiel des revenus ne soit lié à la gestion d’actifs et/ou au trading. Dans le domaine de la santé, il s’agit principalement du sous-segment des sociétés pharmaceutiques traditionnelles.

Notre allocation d’actifs conserve une surpondération limitée en actions, mais désormais plus diversifiées, principalement en titres américains, européens, japonais et indiens, avec une place croissante pour les valeurs industrielles. La composante technologique est davantage concentrée sur des applications spécifiques et des sous-segments. 

Et les obligations ? Comment les aborder dans un contexte de hausse des taux ?  Nous conservons une part de cash importante. Le volet obligataire est de plus en plus investi en obligations d’entreprises américaines et scandinaves ainsi qu’en obligations d’État chinoises et tchèques. Nous maintenons aussi nos positions en obligations d’État italiennes. 

Depuis le début de cette nouvelle année, la performance des bourses d’actions est légèrement négative aux États-Unis, mais positive en Europe. Cette année nouvelle marquera-t-elle le retour des valeurs européennes qui se sont fait damer le pion pendant de longues années par leurs concurrentes outre-Atlantique ? Peut-être bien compte tenu de la surreprésentation sur les marchés européens des valeurs industrielles et des banques qui ont repris du poil de la bête, ce qui s’est traduit récemment par une belle progression de leurs cours boursiers.

Le nouveau cru boursier se profile en tout cas comme une année turbulente au cours de laquelle nous serons confrontés à des hausses de taux d’intérêt (surtout à l’extrémité courte de la courbe des taux), à l’offensive finale du virus SRAS-CoV-2 (à travers l’un de ses nombreux variants), à d’effrayants indicateurs d’inflation et à l’attente angoissante de la publication des résultats trimestriels des entreprises.

Les bourses sauront-elles surmonter autant de problèmes en 2022 ? Pour y répondre, nous donnons à nouveau la parole à Henry Ford : « Aucun problème n’est insurmontable lorsqu’on sait le diviser en petits morceaux ».Traduction libre : Examiner la situation au jour le jour et y réagir de manière appropriée.  

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