Edin Mujagic
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En mars 2020, l’Italie est en grande difficulté. Les taux d’intérêt italiens à long terme augmentent rapidement et les spreads avec les autres pays de la zone euro se creusent.

Christine Lagarde, alors nouvellement élue présidente de la Banque centrale européenne (BCE), est interrogée à ce sujet lors d’une conférence de presse. « Notre travail n’est pas de réduire les spreads », a-t-elle alors dit. L’Italie est indignée, les taux d’intérêt dans le pays augmentent encore et les prix des actions baissent.

Fast forward jusqu’en 2025. L’Italie est aujourd’hui l’incarnation de la stabilité politique au sein de l’union monétaire. La France est à la dérive sur le plan politique et les problèmes économiques s’accumulent. Cela se reflète dans la hausse des taux d’intérêt à long terme. Et Mme Lagarde ? Elle dit suivre de près l’évolution de la situation. Un discours très différent de celui de l’époque où l’Italie était source d’inquiétudes. Mme Lagarde, signalons-le au passage, est née en France.

La BCE a récemment organisé une nouvelle réunion sur les taux d’intérêt et a maintenu ses taux inchangés. Les économistes de la Banque centrale européenne s’attendent à ce que l’inflation soit inférieure à 2 % dans les années à venir et à ce que la croissance économique soit légèrement supérieure à 1 %. On peut imaginer des scénarios pires, je dirais.

Non, le défi pour la BCE dans les années à venir viendra plus probablement d’ailleurs, à savoir de la France. Le gouvernement est à nouveau tombé et le pays peine à trouver une stabilité politique. Cette situation concernant le gouvernement se poursuivra en 2026, et elle sera aggravée par l’incertitude quant à l’identité du président français, à partir de 2027. Au printemps de cette année-là, les Français éliront le successeur d’Emmanuel Macron, qui ne sera pas candidat.

Cela signifie que très peu de mesures seront prises pour réduire l’énorme déficit budgétaire du pays (plus de 5 % du produit intérieur brut) et la dette nationale excessive qui ne cesse de croître. Ce n’est donc qu’une question de temps avant que la note de crédit de la France ne baisse encore, ce qui pourrait alimenter la récente hausse rapide des taux longs français.

Si une crise de la dette se profilait en France, la BCE ne se contenterait pas du rôle de spectateur passif. L’Hexagone est la deuxième économie de l’Union monétaire et une crise de la dette dans ce pays serait d’un ordre très différent de la crise de la dette grecque, à l’époque.

Il y a quelques années, la BCE a créé un outil spécial pour de telles circonstances, appelé l’instrument de protection de la transmission. L’établissement francfortois veut utiliser cette arme pour acheter des obligations d’État à grande échelle, afin de freiner les hausses de taux d’intérêt sur le marché des capitaux.

À cet égard, j’ai trouvé un blog récent sur le site de la BCE, dont la lecture est plutôt intéressante. L’article a été publié sous le titre Economic uncertainty weakens monetary policy transmission. La notion de transmission est en soi anodine, mais lorsque c’est la BCE qui l’évoque, c’est pour moi un signal d’alarme. Cette notion renvoie à l’instrument évoqué précédemment.

Dans l’article, les auteurs expliquent que les variations des taux d’intérêt rendent l’emprunt moins cher ou plus cher. Lorsque l’avenir est incertain, l’effet que la banque centrale souhaite obtenir lorsqu’elle abaisse les taux d’intérêt, par exemple, est moins important que dans des circonstances normales. Les ménages et les entreprises adoptent une position attentiste et l’incertitude les incite à renoncer à des taux d’intérêt plus bas pour emprunter, dépenser et investir. En bref, plus l’incertitude est grande, moins les outils de la BCE (et notamment les taux) sont efficaces.

En d’autres termes, pour obtenir le même effet, les banques centrales doivent agir plus fermement, en réduisant les taux d’intérêt plus qu’elles ne le feraient en temps normal. Avec de telles publications, la banque serait-elle en train de préparer les esprits aux mesures qui pourraient s’imposer à l’avenir, par exemple si la France se retrouvait effectivement dans une crise de la dette ? C’est bien possible.

Edin Mujagić  est économiste, gestionnaire du fonds d’investissement Hoofbosch et auteur du livre Keerpunt 1971. Il rédige des tribunes pour Investment Officer et contribue à l’ECB Watch, sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

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