
Pour les investisseurs institutionnels, prédire les rendements des actions est le Saint Graal du secteur financier. Les ratios d’évaluation traditionnels tels que le ratio cours/bénéfice (P/E) et le ratio cours/dividende (P/D) semblent utiles en théorie, mais leur pouvoir prédictif reste décevant en pratique.
Les trailing price ratios (calculés sur les 12 derniers mois), tels que les ratios P/E et P/D, sont utilisés depuis des décennies. Selon la théorie financière, ces ratios reflètent implicitement les rendements futurs, car les prix sont divisés par une mesure des flux de trésorerie.
En réalité, ces indicateurs sont souvent de mauvais prédicteurs des rendements futurs, en particulier en dehors de l’ensemble de données original dans lequel ils ont été analysés. Cela est dû à un problème fondamental : les trailing price ratios incluent non seulement les rendements attendus, mais aussi la croissance attendue des flux de trésorerie. Il en résulte un biais de variable omise qui mine le pouvoir prédictif de ces ratios.
Graphique 1 : croissance annuelle des dividendes, des bénéfices et volatilité des versements aux États-Unis.
Les professeurs assistants Sebastian Hillenbrand (Harvard) et Odhrain McCarthy (NYU Abu Dhabi) proposent une autre approche : l’échelonnement des prix des actions en fonction des flux de trésorerie attendus au lieu des flux de trésorerie historiques. En utilisant des modèles d’apprentissage automatique pour prédire les flux de trésorerie futurs, il est possible de construire un forward price ratio (prédictif) qui donne un meilleur indicateur des rendements attendus.
L’idée est simple : si nous pouvons prévoir correctement les flux de trésorerie, nous pouvons calculer un ratio de cours qui n’est pas affecté par la croissance attendue des flux de trésorerie. Il ne reste plus que la composante du rendement attendu, ce qui permet d’obtenir une mesure prédictive plus puissante.
Les preuves empiriques peuvent-elles changer la donne ?
Les auteurs ont testé leur méthodologie sur le S&P 500 et constaté que les forward price ratios ont un pouvoir explicatif hors échantillon de 11 % lorsqu’il s’agit de prédire les rendements à un an. Ce résultat est nettement supérieur à celui des ratios traditionnels, dont le pouvoir prédictif est souvent négatif ou marginalement positif. En d’autres termes : les forward price ratios constituent une base de décision d’investissement bien meilleure que leurs équivalents traditionnels.
Graphique 2 : les graphiques A et B montrent les rendements sur un an et sur deux ans en fonction du ratio cours/dividende.
L’un des principaux résultats de l’étude est que les forward price ratios à plus long terme – par exemple les prévisions à cinq ans – sont plus performants que les forward price ratios à plus court terme. Cela confirme la théorie selon laquelle les prévisions de flux de trésorerie à plus long terme sont mieux à même de filtrer les variations structurelles de la croissance des flux de trésorerie, réduisant ainsi davantage le biais de variable omise.
Pour les gestionnaires d’actifs et les investisseurs institutionnels, cette étude implique la nécessité de reconsidérer les mesures d’évaluation traditionnelles. L’utilisation de forward price ratios basés sur l’apprentissage automatique peut fournir une meilleure base pour l’allocation d’actifs et la gestion des risques.
Conclusion
L’étude de Hillenbrand et McCarthy propose un réexamen fondamental de la manière dont les investisseurs évaluent les actions. Au lieu de s’appuyer sur des mesures rétrospectives telles que les ratios P/E et P/D, leur recherche soutient que les ratios prédictifs constituent une méthode plus précise et plus fiable pour prédire les rendements futurs.
Pour les investisseurs institutionnels qui cherchent à améliorer la prise de décision stratégique et la gestion des risques, l’adoption des forward price ratios peut constituer une étape cruciale pour améliorer le rendement attendu du portefeuille. L’avenir de la valorisation des actions réside dans l’analyse prédictive et non rétrospective.
Gertjan Verdickt est professeur assistant de finance à l’université d’Auckland et chroniqueur pour Investment Officer.