Lorsqu’on suit un cursus en économie financière, on est immergé dans des concepts tels que « marchés efficients », « investisseurs rationnels » et « bulles ». Eugene Fama a reçu le prix Nobel d’économie en 2013 pour avoir su relier ces concepts. Selon lui, la Bourse est un marché efficient (c’est-à-dire que toutes les informations sont intégrées dans les prix), l’« investisseur moyen » est rationnel et les bulles n’existent pas. Mais est-ce vraiment le cas ?
Vous l’aurez sans doute déjà constaté : de plus en plus de signes pointent vers l’importance du comportement sur les marchés. Car les investisseurs ne sont pas toujours rationnels. Ils ont ainsi tendance à estimer que la douleur d’une perte de 1 % est plus importante que le plaisir d’un gain de 1 % (théorie des perspectives). De plus, ils ont tendance à privilégier les investissements qui attirent l’attention, dont les rendements s’écartent significativement de la moyenne (saillance). Ils peuvent également réagir de manière excessive ou insuffisante à certaines nouvelles (sous-réaction). Tous ces comportements rendent l’investissement actif particulièrement intéressant. En exploitant ces connaissances, vous pouvez tirer parti des inefficacités du marché.
Cependant, ce que ces exemples montrent, c’est que tout le monde part des mêmes informations. Bien que notre comportement puisse différer face à une perte (théorie des perspectives) ou dans la manière dont nous traitons certaines informations (saillance), chacun a accès aux mêmes informations de départ. Avec Robbe Van Tillo, je démontre que cette hypothèse peut avoir des conséquences majeures.
Nous nous penchons sur le selection neglect (négligence dans la sélection), un concept selon lequel une personne dispose d’un ensemble limité de données, mais pense qu’il s’agit de l’intégralité des informations disponibles. Dans un premier temps, nous avons interrogé 500 investisseurs américains. Ensuite, nous avons mené notre enquête auprès de 60 investisseurs professionnels du Benelux. Les résultats se sont révélés quasiment identiques.
Lors d’une expérience, les participants ont été confrontés à l’un des écrans suivants. Pour un actif donné, appelé Asset A, il y avait eu deux transactions au cours des 12 derniers mois. Dans la Condition 1, nous avions montré uniquement ces deux transactions. Dans la Condition 2, nous avions mis en évidence qu’il n’y avait eu que deux transactions, mais sans préciser combien d’autres n’avaient pas abouti. Dans la Condition 3, nous avions affiché le nombre de transactions infructueuses.
Cela reflète en réalité ce que l’on observe sur les marchés financiers. Lorsqu’une action n’est pas négociée pendant une journée, cela n’est jamais explicitement indiqué. Les seuls éléments visibles sont les cours auxquels elle a été échangée. En tant qu’investisseur, il faut faire preuve de davantage de réflexion pour comprendre qu’aucune transaction n’a eu lieu. C’est ce qu’on appelle le selection neglect : on agit comme si aucune information ne manquait.
L’étape suivante consistait à demander aux participants ce qu’ils anticipaient pour cet Asset A au cours des douze prochains mois. Que constatons-nous ?
⦁ Seuls les participants de la Condition 3 avaient anticipé un rendement futur significativement plus faible.
⦁ Les participants des Conditions 2 et 3 avaient anticipé un risque significativement plus élevé.
⦁ Seuls les participants de la Condition 3 s’étaient montrés moins confiants quant à leur choix.
⦁ Pourtant, tous se sentaient également bien informés.
En d’autres termes, cela démontre parfaitement pourquoi les bulles existent. Parce que les investisseurs ne traitent pas correctement l’information (Conditions 1 et 2), ils se montrent plus confiants que ceux qui parviennent à l’analyser correctement (Condition 3). Ils anticipent un rendement plus élevé et un risque plus faible, ce qui les incite davantage à acheter cet actif, faisant ainsi grimper son prix.
En somme, cela démontre que les marchés financiers sont loin d’être efficients, que les investisseurs peuvent adopter des comportements irrationnels, et que chercher à se documenter soigneusement est clairement une stratégie payante !
Gertjan Verdickt est professeur assistant de finance à la KU Leuven et chroniqueur pour Investment Officer.