Han de Jong
Han de Jong

Cela fait des années qu’on me demande régulièrement ce qui se passera lorsque les Chinois mettront sur le marché tous les emprunts d’État américains qui font partie de leurs réserves de change. La thèse sous-jacente est que la Chine pourrait ainsi asséner un véritable coup de massue aux États-Unis. La vente d’un grand nombre d’emprunts souverains entraînerait une hausse des taux d’intérêt américains à long terme qui pourrait perturber le marché obligataire et mettre le dollar sous pression. L’affaiblissement du dollar stimulerait alors l’inflation aux États-Unis.

Pendant des années, j’ai répondu que les Chinois ne feraient jamais cela, pour deux raisons majeures. La première est qu’ils se tireraient une balle dans le pied en mettant en œuvre une telle stratégie, car ils subiraient des pertes importantes sur ces titres du Trésor américain. La seconde raison est en fait une question : qu’est-ce que les Chinois achèteraient à la place ?

Admettons qu’ils vendent massivement leurs emprunts d’État américains… Que feront-ils ensuite du produit de la vente ? Même avec des pertes de change considérables, il leur restera un montant considérable à réinvestir. Quel marché est assez grand pour absorber de tels montants ? Et puis quelle devise choisir ? Les Chinois perturberont sans aucun doute davantage les marchés vers lesquels ils s’orienteront que le marché américain.

Mais peut-être que la question est tout de même d’actualité

Les relations entre la Chine et les États-Unis sont exécrables, du fait des interventions du président Donald Trump. Les Chinois pourraient dès lors être prêts à subir des pertes, s’ils peuvent réellement nuire aux Américains – sans même se préoccuper de la question de savoir comment l’argent pourrait être réinvesti. La question des ventes agressives de titres du Trésor américain par la Chine est donc peut-être malgré tout d’actualité.

Alors que l’annonce de droits de douane réciproques, début avril, menaçait de perturber le marché obligataire américain, des rumeurs de ventes massives d’emprunts américains par les Chinois ont circulé. La Chine dispose d’importantes réserves de change. Des excédents commerciaux soutenus et croissants ont permis au pays de constituer d’énormes réserves, en particulier depuis 2005. Lorsque la monnaie chinoise s’est trouvée sous pression en 2014, la banque centrale chinoise (PBoC) a soutenu le renminbi en achetant sa propre monnaie. Cela a temporairement réduit la taille des réserves de change, mais ces dernières augmentent à nouveau lentement depuis 2017.

On constate de prime abord que les Chinois ont bien réduit leurs avoirs en emprunts souverains américains depuis 2017. Ce processus est progressif : les rachats ne sont pas, ou partiellement seulement, réinvestis dans des titres publics américains. Actuellement, les avoirs chinois en titres du Trésor américain s’élèvent encore à plus de 700 milliards de dollars.

Réserves de change chinoises (en milliards d’USD)
 

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Réserves de change totales           dont titres du Trésor américain (axe de droite)

Source : Macrobond

Quels dommages les Chinois peuvent-ils infliger au marché financier américain avec ces 700 milliards de dollars ? Selon moi, rien de terrible, et certainement pas des dommages permanents. Si la PBoC vend à des moments propices, c’est-à-dire sur des « marchés peu actifs », elle peut sans aucun doute faire brièvement monter les taux d’intérêt à long terme. Je crois néanmoins que le volume quotidien des transactions sur ce marché est trop élevé pour qu’il y ait de gros dégâts à un peu plus long terme. 
Une autre raison porte à croire que l’impact sera limité. Je soupçonne les Chinois d’en être conscients et de ne rien tenter pour ce motif. Si la PBoC vendait massivement des emprunts d’État américains, entraînant une forte hausse des taux d’intérêt américains à long terme, la Réserve fédérale américaine ne resterait certainement pas les bras croisés.

Lorsque la pandémie a éclaté, générant un risque de perturbation du marché obligataire américain, la Fed a inondé le marché de liquidités. En deux mois, elle a acheté pour environ 900 milliards de dollars d’emprunts d’État. Les quatre mois suivants, 900 milliards de dollars de titres publics sont venus s’y ajouter. En 2022, lorsque ce phénomène a atteint son pinacle, les avoirs de la Fed en emprunts d’État dépassaient de plus de 3300 milliards de dollars leur niveau antérieur à la pandémie.
 

Détention d’emprunts d’État américains (milliards d’USD)
 

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Réserve fédérale      PBoC

Source : Macrobond

Autrement dit, la PBoC ne fait pas le poids face à la Fed. Les Chinois ont 700 milliards de dollars à vendre. La Fed a une capacité d’achat infinie. Elle a déjà démontré qu’elle n’hésiterait pas à délier les cordons de la bourse dans certaines circonstances. Le calcul est vite fait…

Ancien économiste en chef d’ABN Amro, Han de Jong publie une chronique hebdomadaire sur l’économie et les marchés pour Investment Officer. Vous trouverez davantage d’informations sur sa vision sur Crystal Clear Economics.

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