La BCE a inclus une mention des stablecoins dans son examen de la stabilité financière. On pourrait s’attendre à ce qu’un document contenant le terme « évaluation de la stabilité » se concentre principalement sur les risques, l’approche de la BCE reste néanmoins frappante. La volonté affichée de favoriser le secteur bancaire traditionnel est plus que révélatrice.
La publication Stablecoins on the rise: still small in the euro area, but spillover risks loom traite en premier lieu de la concentration manifeste du marché des stablecoins. Sur un marché estimé par les analystes à 280 milliards de dollars, deux « coins » font la pluie et le beau temps : le Tether (USDT) avec 184 milliards de dollars et l’USD Coin (USDC) avec 75 milliards de dollars. Ensemble, ils représentent 90 % du marché des stablecoins. À titre d’exemple, si USDT et USDC étaient des actions ordinaires cotées en Bourse – ce qu’elles ne sont évidemment pas –, elles se classeraient respectivement à la 89e et à la 285e place dans le palmarès des plus grandes entreprises, à l’aune de leur capitalisation boursière.
Cette forte concentration apparaît à plusieurs reprises comme un facteur de risque, ce qui est assez logique. Ce qui est frappant, cependant, c’est que le secteur financier est de toute façon extrêmement concentré. Cela facilite la tâche du superviseur, mais c’est entièrement au détriment des utilisateurs du système financier. Par exemple, le taux d’intérêt sur l’épargne s’élève à 1 %, alors que le taux d’intérêt du marché est au moins deux fois plus élevé. Et pour un intérêt hypothécaire, vous payez trois ou quatre fois plus. Quel fantastique modèle de revenus.
Aux Pays-Bas, trois grandes banques bien connues détiennent environ 75 % du marché, selon la méthode de calcul. En Espagne, les trois plus grandes banques se partagent 66 % du marché, en France un peu moins de 60 %, et en Suisse, après la disparition du Crédit suisse (car les banques traditionnelles font encore parfois faillite), UBS représente à elle seule plus de 50 % du gigantesque secteur bancaire suisse.
Je n’ai pas fait de recherches, mais il ne me semble pas exagéré de dire que les risques liés à ces institutions financières ne sont pas de l’ordre de quelques centaines de milliards, mais de centaines de milliers de milliards, voire plus.
Questions de confiance
Si le risque de concentration est un souci légitime, tant que l’on n’oublie pas que c’est exactement la même chose ailleurs, cela devient alors plus subjectif. Les analystes en concluent que les stablecoins sont garantis par des actifs indexés sur la monnaie fiduciaire. Il s’agit généralement d’obligations d’État (américaines). Si la confiance dans le stablecoin diminue soudainement, cela pourrait conduire à une vente massive de ces obligations fiduciaires, concluent les fonctionnaires de la BCE.
On ne peut pas vraiment contester cela, mais cela soulève pour moi la question du niveau de confiance dans ces actifs indexés sur la monnaie fiduciaire eux-mêmes. Pour rappel, qu’est-ce qui constitue leur couverture ? La confiance justement, et rien d’autre. Et comme nous l’avons remarqué au cours des dernières années, cette confiance est soumise à de fortes pressions. On ne peut pas continuer indéfiniment à imprimer de l’argent, à baisser les taux d’intérêt et à avoir une inflation beaucoup trop élevée pendant des années sans se poser de questions difficiles sur la confiance.
Ces stablecoins devraient plutôt renverser la question. Quels sont, pour nous, les risques liés à l’érosion de la confiance dans les actifs indexés sur la monnaie fiduciaire, et qu’est-ce que cela signifie pour la confiance dans notre stablecoin ? Cela vous paraît-il étrange ? L’USDT a déjà constitué une part importante de sa couverture avec de l’or.
Répression financière
Mais ce qui me frappe le plus, c’est la facilité avec laquelle la BCE admet que les banques ont besoin (encore plus) de protection. Les auteurs de l’étude estiment qu’il existe des risques particuliers si les ménages décident de détenir une partie de leurs avoirs bancaires, soit 600 milliards d’euros aux Pays-Bas, dans des stablecoins.
Ce n’est manifestement pas l’intention. Les analystes de la BCE soulignent aussi subtilement qu’en vertu de MiCAR, la législation européenne sur les cryptomonnaies et donc les stablecoins, les émetteurs de stablecoins ne sont pas autorisés à verser d’intérêts. Parce que cela renforcerait la sortie des dépôts bancaires et conduirait à une désintermédiation bancaire.
Il est littéralement écrit que les banques doivent être massivement protégées par des avantages concurrentiels afin de garantir que tous les actifs bancaires restent confinés dans un secteur où seuls quelques acteurs sont aux commandes. Pourquoi ? C’est simple : dans le système financier traditionnel, ce sont les banques qui doivent acheter toutes ces obligations (américaines).
Mais même l’argument éhonté selon lequel il faudrait favoriser les banques pour empêcher les ménages de faire ce qu’ils veulent de leur argent ne suffit pas. Les analystes de la BCE soulignent également que même si une partie de l’argent destiné aux stablecoins revient finalement aux banques sous la forme de dépôts en gros, cela entraîne une plus grande sensibilité aux chocs des structures de financement des banques.
La question fondamentale qui se pose dans cette chronique est bien sûr de savoir si le problème vient des stablecoins ou du secteur bancaire traditionnel fragile, qui repose sur une concurrence déloyale. Poser la question, c’est y répondre. Pourquoi les ménages ne sont-ils pas autorisés à transférer leurs dépôts bancaires pour percevoir davantage d’intérêts ? Avec des taux d’intérêt d’à peine 1 % et une inflation de 3 %, ce n’est rien d’autre qu’une réaction naturelle. La seule différence avec le passé, c’est que les banquiers centraux ne dissimulent plus ce mécanisme de répression financière. Il n’est donc pas surprenant que la confiance soit en net déclin.
Source : ecb.europa.eu
Jeroen Blokland analyse des graphiques actuels qui reflètent certains aspects frappants macro-économiques et des marchés financiers. Il gère également le fonds Blokland Smart Multi-Asset, qui investit en actions, or et bitcoin.