Jeroen Blokland
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Les économistes ont le don d’élever des hypothèses apparemment simples au rang de science. Pourtant, l’économie n’est pas du tout une science. Malgré tout, des volumes entiers sont rédigés sur un taux d’intérêt totalement abstrait.

L’inflation étant à nouveau inférieure à 2 %, il est pratiquement certain que la BCE va encore réduire ses taux d’intérêt. Selon les données du marché cette année, cela se fera encore au moins deux fois (2,2 au moment de la rédaction sur la base des swaps d’indices au jour le jour). Si les marchés se portent bien, les taux d’intérêt tomberont donc en dessous de 2 % avant la fin de l’année.

Les marchés estiment donc désormais que le taux de la BCE se situera à 1,75 % d’ici fin 2025. Ils tiennent en cela compte du fait que la guerre tarifaire générera au moins une certaine pression inflationniste et tablent sur un taux de croissance de 1,2 % dans la zone euro, ce qui est sans doute légèrement supérieur, à mon avis, à la croissance potentielle que la région peut générer en moyenne. Vu sous cet angle, un taux directeur de 2 %, voire inférieur, est tout simplement faible.

Inflation dans la zone euro

EU-Inflation - Blokland SMAF, Eurostat, ECB

R*

Ce niveau de taux d’intérêt est également inférieur au R* estimé, le niveau de taux d’intérêt de la banque centrale auquel une économie est en équilibre avec un taux de croissance égal à son potentiel et une inflation stable autour de l’objectif de la BCE.

Alors que la plupart des estimations du R* se basent sur un chiffre nominal, il est plus logique de prendre un point de départ réel. Étant donné que nous pouvons encore nous attendre à une légère croissance du PIB réel, le R* réel tend à se situer entre 0 % et 1 %, avec une tendance légèrement plus marquée vers ce dernier chiffre.

Ajoutez à cela l’objectif d’inflation de la BCE et vous arrivez, par commodité, à un R* de 2,5 %. Si, comme moi, vous comptez sur une inflation plus élevée, nécessaire pour que la France ne déclenche pas une crise du crédit dans la zone euro, comme en 2010-2012, vous passez alors à un R* d’environ 3 %, selon la logique des économistes.

De ce point de vue traditionnel, et en gardant à l’esprit l’erreur totale de calcul de la BCE en matière d’inflation, un taux d’intérêt de 1,75 % devrait soulever un certain nombre de questions. On peut aussi supposer que la BCE et les marchés tablent secrètement sur un taux de croissance encore plus faible que les 1 % que nous connaissons aujourd’hui. Compte tenu de la tendance démographique, une augmentation potentielle de la croissance du PIB ne serait pas hors de propos, mais vous n’entendrez aucun membre de la BCE ou économiste le dire. Pour moi, c’est une raison très claire pour laquelle le R* réel est même inférieur à zéro.

Casse-tête

Il s’agit donc d’un véritable casse-tête : avec une inflation d’environ 2 % et une croissance de 1 %, on peut déjà s’attendre à des taux d’intérêt inférieurs à 2 %. D’autre part, M. Powell, de l’autre côté de l’océan, a clairement indiqué que la Fed n’interviendrait plus jusqu’à ce que l’impact des droits de douane sur les importations soit plus clair. Désormais, les États-Unis devront faire face à une pression inflationniste accrue, si tant est que M. Trump parvienne à contourner ses propres juges. Là encore, l’inflation avoisine les 2 % et la croissance a été négative au premier trimestre. Cependant, cette dernière devrait fortement se redresser au cours de ce trimestre.

Néanmoins, l’écart entre la BCE et la Fed reste frappant – du moins, jusqu’à ce que vous ajoutiez cet autre objectif implicite des banques centrales. Nous y revoilà : la viabilité de la dette. L’Europe doit redoubler d’efforts pour remédier à des années de négligence en matière de dépenses de défense. Cela ne va faciliter la maîtrise des déficits budgétaires galopants. Au Royaume-Uni, le gouvernement veut augmenter les dépenses de défense à 3 % du PIB, sans savoir comment il financera cet effort.

Selon le principe « chaque geste compte », c’est une bonne chose que la BCE baisse déjà les taux d’intérêt. Il en va de même pour les risques d’inflation, qui doivent céder le pas à l’intérêt général. Tant que la BCE ne présente pas un scénario d’inflation extrêmement optimiste ou des perspectives résolument négatives pour l’économie de la zone euro, cette explication me semble de loin la plus plausible. Un élément que les économistes pourraient également inclure dans leur interminable discussion sur le R*.

Jeroen Blokland analyse des graphiques actuels qui reflètent certains aspects frappants macro-économiques et des marchés financiers. Il gère également le fonds Blokland Smart Multi-Asset, qui investit en actions, or et bitcoin.

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