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Daniel Kahneman et Amos Tversky (deux des psychologues les plus importants) ont apporté dans les années 70 d’importantes contributions à des théories économiques. Ils ont en effet montré que les individus (ou les investisseurs) manifestent face à une perte une réaction négative d’intensité plus forte que celle de la réaction positive provoquée par le gain correspondant. Autrement dit, ils n’accordent pas la même valeur à la perte de 50 euros qu’au bonheur d’en gagner 50.

La conséquence logique est que les investisseurs ne vont pas maximiser leur rendement attendu, mais minimiser leur perte attendue (risque). Kahneman poursuivait en montrant que le ‘regret’ est également important. Il a montré qu’il y a une différence lorsqu’on arrive ‘avec 30 minutes de retard à l’aéroport’ et que (1) votre avion a décollé à l’heure et (2) votre avion a décollé avec 25 minutes de retard ; les individus percevaient la deuxième situation comme bien pire.

Si l’on traduit cela en termes d’investissement, les investisseurs veulent non seulement ‘minimiser les pertes’, mais aussi optimiser leur ratio risque-rendement. Celui-ci est également appelé ratio de Sharpe. Il s’agit donc d’un repère important pour comparer les stratégies.

L’amour pour la crypto : plutôt un amour pour les scénarios alternatifs ?

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Figure 1 : Le profil risque-rendement du Bitcoin (bleu) et du S&P500 (orange) exprimé en dollars.  Plus cette valeur est élevée, plus on reçoit pour le risque pris.

Si l’on considère les cinq dernières années, il y a trois périodes durant lesquelles le bitcoin (et la crypto) affiche une valeur risque-rendement plus élevée par rapport aux actions (la ligne orange, qui représente le S&P500). Fin 2017, par exemple, ce chiffre était supérieur à 20, autrement dit ‘on recevait pour chaque unité de risque 20 fois plus de rendement avec le bitcoin qu’avec les actions’. À la mi-2021, pour un investissement dans le bitcoin, on recevait un rendement presque 5 fois plus élevé pour le risque pris que pour le marché actions large. Un très beau résultat qui ne peut être nié.

Ce qui est également vrai, c’est que si vous aviez investi dans le bitcoin en 2018, vous aviez perdu 60 % de votre argent (sur le papier) trois mois plus tard. Si vous aviez commencé à utiliser ‘l’espoir’ comme stratégie d’investissement et aviez gardé votre position, vous aviez perdu plus de 80 % de votre argent le 1er janvier. Si l’on en croit Tversky et Kahneman, qui affirment que nous accordons plus d’importance aux pertes qu’aux gains d’argent, le bitcoin ne semble pas être un investissement à conserver dans son portefeuille.

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Figure 2 : La perte depuis le cours le plus élevé du Bitcoin (bleu) et du S&P500 (orange) exprimée en dollars. Plus la valeur est faible, plus on perd de son argent.
 

Ce qui est également vrai, c’est qu’hormis quelques pics plus importants, le ratio de Sharpe du bitcoin est le plus souvent inférieur à celui du S&P500. Qui plus est, la corrélation entre les deux est élevée. Ce qui est également problématique, car lorsque la valeur de votre portefeuille d’actions baisse, vous voulez en effet que vos autres investissements restent au moins stables. Mais s’ils baissent également, vous n’avez pas de diversification et vous cumulez donc les risques. Ce n’est pas la stratégie à recommander à Monsieur Tout-le-monde sans connaissances financières. 

Enfin, il est également vrai qu’il existe une autre heuristique proposée par Kahneman et Tversky : la réflexion. Si quelqu’un gagne beaucoup d’argent en investissant dans X, vous êtes beaucoup plus vite jaloux car vous vous représentez mieux la réalité alternative (= vous investissant dans X). Cependant, il vous est difficile d’imaginer que vous ‘perdez beaucoup avec l’investissement X’. Cela dit, la réalité alternative et l’espoir sont de mauvais conseillers et constituent surtout une mauvaise stratégie d’investissement.

L’amour pour le bêta, ou plutôt l’amour pour la loterie ?

Une chose que nous lisons souvent dans les médias non spécialisés :

« Les actions défensives, comme les biens de consommation ou les supermarchés, ont un faible coefficient bêta (relation entre les fluctuations de la valeur d’un titre et les fluctuations du marché), compris entre 0 et 1. Ce sont … les actions pendant les périodes volatiles car elles conservent mieux leur valeur. Mais à plus long terme, elles augmentent aussi moins que le reste du marché. »

Il existe cependant de nombreuses preuves du fait que les actions à faible bêta performent beaucoup mieux que le marché général (surtout si l’on considère le ratio de Sharpe). Pourquoi ? Il y a trois raisons à cela : (1) la préférence pour les actions à haute volatilité, (2) les problèmes d’agence et (3) les contraintes de levier.

 

 

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Figure 3 : Le rendement dans l’année à venir (en plus du taux d’intérêt sans risque) pour un portefeuille constitué sur la base de bêtas historiques (ou fluctuations du marché, mesurées sur 36 mois).

1.    Les investisseurs ont une préférence pour les actions de loterie, les actions dont le prix est bas et dont le rendement potentiel est plus élevé (le terme technique est l’asymétrie de la distribution des rendements). Ces caractéristiques font que ces actions de loterie fluctuent souvent beaucoup et ont donc un bêta plus élevé. Ainsi, les actions à bêta élevé sont surévaluées ou les actions à bêta faible sont ignorées.

Ignorer ces actions à faible bêta garantit justement que le rendement attendu est plus élevé (en d’autres termes : les investisseurs veulent une prime pour détenir quelque chose dont personne d’autre ne veut ; ils veulent donc une compensation supplémentaire pour la détention d’actions à faible bêta, sous la forme d’un rendement attendu plus élevé). Les ratios de Sharpe sont donc plus élevés dans le futur pour les actions à faible bêta.

2.    Problèmes d’agence : l’argent afflue vers les fonds qui surperforment le marché et une manière de le faire est d’examiner les performances passées. Le bêta est un chiffre entièrement basé sur le passé : plus vous avez surperformé le marché, plus le bêta est élevé et plus l’argent afflue dans les fonds. Le problème est que les investisseurs plus récents veulent que le rendement attendu soit plus élevé. Et ce n’est pas le cas avec les actions/fonds à bêta plus élevé : le rendement futur est beaucoup plus faible (et le ratio de Sharpe est donc beaucoup plus faible, voir figure 3).

3.    Contraintes de levier : l’une des manières pour les investisseurs de gagner plus d’argent est d’utiliser beaucoup moins de leur propre capital. Si vous obtenez un rendement de 10 % sur un capital de 1000 euros, vous gagnez 100 euros. Si vous empruntez d’abord 1000 euros, vous gagnez 200 euros (ou 100 euros de plus). Ce processus est appelé ‘effet de levier’, un phénomène principalement connu dans le monde bancaire. Cependant, il y a des problèmes : (1) c’est énormément risqué (parce qu’en perdant moins de 100 %, vous perdez tout votre capital) et (2) le capital que vous pouvez emprunter est limité (personne ne va continuer à vous prêter de l’argent pour l’investir).

Une façon de créer un ‘effet de levier’ assez facilement consiste donc à investir dans des actions à bêta élevé. Pour une action dont le bêta est de 1,2, vous obtenez un rendement de 20 % supérieur à celui du marché. C’est pourquoi les investisseurs aiment rechercher des actions dont le bêta est supérieur à 1. La conséquence (comme mentionné précédemment) est que les actions dont le bêta est inférieur à 1 sont (en moyenne) ignorées, ce qui fait (comme le montre la figure) que ces actions ont un rendement attendu plus élevé.

Cette stratégie (que Robeco appelle l’investissement à faible volatilité) offre un ratio de Sharpe plus élevé et, surtout, donne un rendement indépendant du risque du marché, du risque sur les actions de valeur (‘value effect’), du risque sur les actions plus petites (‘size effect’), du risque sur l’effet de momentum et d’autres facteurs de risque plus importants. Ils réalisent ainsi de l›‘alpha’ ou un rendement ajusté au risque. L’amour pour le bêta repose donc davantage sur l’espoir que sur les faits.

Gertjan Verdickt est professeur en théorie d’investissement à la KU Leuven et écrit sur l’allocation d’actifs et les corrélations en tant qu’expert en connaissances pour Investment Officer.

 

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