Face à l’escalade des tensions géopolitiques et à l’augmentation des dépenses publiques pour défense, un nombre croissant d’investisseurs se tournent vers les fonds négociés en Bourse (ETF) axés sur la défense. Ces fonds offrent à la fois une protection contre l’incertitude et des opportunités de croissance.
« Nous constatons que les clients achètent l’ETF Nato pour se prémunir contre les risques géopolitiques », explique Tom Bailey, Head of Research chez HanETF, qui a lancé l’année dernière un ETF de défense identifié sous le ticker Nato, lors d’un entretien avec Investment Officer. « Alors que certains investisseurs privilégient l’or ou les obligations en tant que couverture contre ces risques, ce qu’on appelle la fuite vers la sécurité, nous observons chez les clients un intérêt pour l’ETF Nato, dans un but similaire. »
Le climat géopolitique actuel, marqué par des tensions croissantes à l’échelle mondiale, semble favoriser une exposition plus importante à la défense. En 2023, les dépenses mondiales en matière de défense ont augmenté de 9 % pour atteindre un montant record de 2200 milliards de dollars, une tendance qui se reflète dans l’évolution du marché des ETF.
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L’ETF Defence de VanEck a récemment franchi la barre du milliard de dollars d’actifs sous gestion, en partie du fait de l’augmentation des dépenses militaires à l’échelle mondiale. Lancé en 2023, le fonds avait atteint 100 millions de dollars d’encours seulement sept mois après son lancement, pour arriver à 500 millions en avril dernier.
Depuis le début de l’année, HanETF a enregistré quelque 379 millions de dollars de collecte sur l’ETF Nato, portant l’actif sous gestion à environ 467 millions de dollars.
Avec l’instabilité croissante sur la scène géopolitique et la hausse marquée des dépenses de défense dans les pays occidentaux, les ETF spécifiquement axés sur la défense sont bien positionnés pour capitaliser sur ces tendances. Les investisseurs identifient désormais des opportunités significatives dans les actions des entreprises actives dans le secteur de la sécurité et de la défense, un sentiment qui a entraîné une forte hausse du cours des actions de ces entreprises.
Nouvelle valeur refuge
L’intérêt grandissant pour les ETF de défense témoigne d’une évolution dans la vision des investisseurs en matière de gestion du risque. Traditionnellement, l’or et les obligations faisaient office de valeurs refuges en période d’incertitude. Cependant, avec la course à l’armement amorcée il y a peu, les ETF de défense sont perçus comme une nouvelle forme de protection.
Le Future of Defence ETF de HanETF et l’iShares Global Aerospace & Defence ETF, coté sous le ticker DFND – tous deux lancés peu après celui de VanEck – illustrent bien cette évolution. Martijn Rozemuller, CEO de VanEck Europe, souligne que dans le contexte de la guerre en Ukraine, de nombreux investisseurs identifient désormais des opportunités dans les actions d’entreprises du secteur de la défense et de la sécurité, ce qui contribue à la popularité croissante de ces fonds.
« Le plus grand conflit qu’ait connu l’Europe ces dernières décennies a été une véritable prise de conscience pour les politiciens et les citoyens d’Europe occidentale », déclare Martijn Rozemuller à Investment Officer. « Après avoir récolté pendant de nombreuses années les dividendes de la paix, les membres de l’OTAN s’engagent à nouveau à consacrer 2 % de leur PIB à la défense, et 23 des 32 États membres ont déjà atteint cet objectif. »
« Les capacités de défense semblent avoir été sous-estimées pendant un certain temps. La situation géopolitique actuelle met en évidence la nécessité d’innover et de moderniser le secteur de la défense. Il ne serait donc pas surprenant que cela devienne une tendance à long terme, dont les entreprises de défense pourraient tirer profit. »
Réévaluation
Bien que les arguments financiers en faveur des ETF de défense soient solides, les considérations éthiques demeurent un sujet sensible, en particulier dans le cadre des critères ESG. La guerre en Ukraine a conduit de nombreux investisseurs à revoir leur position à l’égard des actions de défense. Certaines institutions, qui excluaient auparavant ces investissements, reconsidèrent désormais leur position.
« La question éthique est toujours très personnelle », déclare Christophe Mellor, de l’équipe de gestion des produits ETF en actions chez Invesco. « Il semble que, pour certains investisseurs du moins, l’invasion de l’Ukraine ait entraîné une réévaluation de l’importance des investissements dans la défense ainsi que dans la protection de l’État de droit et de la liberté de démocratie. »
Afin de limiter les objections éthiques, HanETF applique désormais un « screening OTAN » pour son ETF, ce qui signifie que seules les entreprises des pays de l’OTAN+ sont incluses dans le fonds.
« Il semble que, du moins pour certains investisseurs, nous ayons assisté à une réévaluation de l’importance des investissements dans la défense. »
« Lorsqu’il s’agit de défense, les filtres ESG traditionnels échouent à intégrer les principaux indicateurs non financiers que sont l’exposition et le risque géopolitiques », explique Tom Bailey. « Le principal risque est d’être exposé à des entreprises qui produisent des armes pour des pays rivaux potentiels, susceptibles de déclencher un jour des hostilités ou d’adopter une posture géopolitique agressive. C’est pourquoi, au lieu d’opter pour un filtre ESG traditionnel, nous avons utilisé un filtre géopolitique – le filtre OTAN. »
Martijn Rozemuller ne considère pas la défense comme étant nécessairement en contradiction avec les principes ESG. « L’industrie de la défense est indispensable pour la sécurité nationale et la protection des valeurs démocratiques », explique-t-il. VanEck exclut ainsi les entreprises impliquées dans des activités ou la production d’armes controversées, cherchant ainsi à concilier investissement éthique et nécessité de la défense nationale, précise-t-il.
Risques
Bien que l’intérêt pour les ETF de défense aille croissant, il n’est pas exempt de risques. Les investissements théoriques de ce type nécessitent une évaluation rigoureuse des avantages et des risques potentiels. Comme le souligne Christophe Mellor, les investisseurs doivent bien réfléchir à l’impact à long terme de ces investissements.
« Un investisseur dans un fonds thématique doit être conscient du fait qu’un tel investissement peut entraîner un biais sectoriel très marqué », déclare Christophe Mellor. « Il existe plusieurs manières d’atténuer ce risque, notamment en investissant dans un portefeuille d’investissements thématiques offrant différents rendements potentiels à long terme, ou en détenant une position de base dans des actions diversifiées, tout en y associant un investissement satellite thématique dans un ETF. »
« La question est de savoir si vous pouvez obtenir une exposition pertinente au thème. Dans le cas de la défense, cela paraît relativement simple, car il existe un large éventail d’entreprises pure play, mais l’investisseur peut également choisir de se concentrer sur les domaines ou sous-thèmes spécifiques pour lesquels il anticipe la plus forte croissance », ajoute Christophe Mellor.