L’écart de performance entre les Bourses américaines et européennes a rarement été aussi marqué qu’actuellement, et l’escalade du conflit ukrainien, cette semaine, a encore accru les divergences. Ironiquement, un secteur résiste bien : la défense. Ce dernier a encore beaucoup à offrir, malgré le dilemme éthique qu’il suscite.
Laurent Denize, directeur de la société de fonds Oddo BHF, est l’un des seuls gestionnaires, parmi tous ceux qu’a contactés Investment Officer, qui ose affirmer ses convictions vis-à-vis d’un secteur aussi controversé.
Pour lui, « depuis les élections américaines, il est clair que l’Europe doit augmenter son budget défense », ajoutant voir dans le secteur un potentiel haussier, sans toutefois nommer d’acteur en particulier. D’autres sociétés de fonds préfèrent ne pas s’exprimer sur ce secteur « sensible ». Plusieurs évoquent des « objections éthiques ».
Pendant ce temps, la pression monte aux États-Unis. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait fortement critiqué les pays membres de l’OTAN pour avoir diminué le budget consacré à la défense, répétant à l’envi que les États-Unis ne supporteraient plus une part disproportionnée des dépenses de l’Alliance.
Les partenaires de l’OTAN se voient donc désormais contraints de consacrer 2 % de leur PIB à la défense, comme ils s’y étaient engagés. Cette situation pourrait donner un coup de pouce au secteur européen de la défense, l’un des seuls à briller sur les places boursières européennes, alors que ces dernières restent largement dans l’ombre de leurs homologues américaines.
Le S&P 500 Total Return a gagné plus de 30 % en euros au début de l’année, tandis que l’Euro Stoxx 600 doit se contenter d’une avancée inférieure à 5 %.
Et l’écart entre les deux indices s’est encore creusé la semaine dernière, lorsque les États-Unis ont donné à l’Ukraine le feu vert pour utiliser les missiles longue portée sur des cibles russes. En réaction, Vladimir Poutine a revu à la baisse le seuil d’utilisation de l’arme nucléaire.
L’indice STOXX Europe Total Market Aerospace & Defense a gagné 4 % ce mois-ci, tandis que l’indice global des actions cédait quelque 1 %. L’indice européen des valeurs de défense a signé une croissance impressionnante depuis le début de l’année, s’adjugeant plus de 30 %, une hausse qui reflète l’augmentation des budgets de défense européens.
Financement européen
Mi-novembre, l’Union européenne avait validé une enveloppe de 300 millions d’euros pour financer des capacités de défense communes. Les projets, qui associent une vingtaine d’États membres, constituent une étape importante pour renforcer l’intégration de l’industrie européenne de la défense. Ils ont trouvé un écho au niveau des valorisations boursières.
Rheinmetall a ainsi vu son cours augmenter de plus de 90 % cette année. Le conglomérat allemand actif dans l’armement, a directement enregistré une hausse sensible de la demande. Son CEO, Armin Papperger, estime que la division défense devrait au minimum doubler d’ici trois ans.
Elle apporte déjà la plus importante contribution au chiffre d’affaires du groupe, qui devrait atteindre, selon la direction, 20 milliards d’euros d’ici 2027 contre plus de 7 milliards d’euros l’an dernier, pour une marge opérationnelle de près de 13 %. L’entreprise, dont le carnet de commandes vaut plus de 39 milliards d’euros et qui sert en premier lieu l’État allemand, se positionne comme un acteur clé de la modernisation des forces armées.
D’autres acteurs importants tels que Safran (+30 % en 2024) et Leonardo (+59 % depuis début janvier) ont également renforcé leur positionnement. Safran a indiqué que la demande de systèmes de défense aériens et de solutions de cybersécurité n’avait jamais été aussi élevée, tandis que Leonardo profite des collaborations mises en place, à l’image de la nouvelle joint-venture avec Rheinmetall.
Valorisations
Bien que supérieures à leur moyenne historique, les valorisations des entreprises européennes de défense affichent encore une décote par rapport à celles des homologues américaines. Pourtant, certains investisseurs estiment que la plupart des actions tiennent déjà compte des commandes considérables attendues dans le cadre de la mise à niveau des armées de l’OTAN, et semblent un peu onéreuses.
« Un accord, quel qu’il soit, entre la Russie et l’Ukraine pourrait faire souffler des vents contraires à court terme. Nous craignons toutefois que les budgets défense ne feront qu’augmenter, au gré de toutes les escarmouches géopolitiques et les hostilités ouvertes qui ponctuent notre planète, surtout au Moyen-Orient et entre les États-Unis et la Chine », affirme Jan David Meyer, gestionnaire de portefeuille senior chez Taunus Trust AG.
« Et pourtant, nous n’allons pas investir et conseillons aux investisseurs d’attendre les revers pour se positionner, au lieu d’acheter à des multiples élevés », déclare-t-il. D’un point de vue global, les valorisations des acteurs de la défense sont actuellement plus élevées que la moyenne, avec un rapport cours/bénéfice de 19 et un rapport valeur de l’actif économique (EV)/ Ebitda de 11, soit quelque 30 % de plus que la moyenne à long terme depuis 1986. Les entreprises européennes du secteur de la défense affichent en moyenne un rapport cours/bénéfice avoisinant 17 et un ratio EV/Ebitda de 10 environ.