Pour Hans Bruyninckx, directeur de l’Agence européenne pour l’environnement, le secteur financier collabore bien à la transition vers une économie verte. « La balle est désormais dans le camp des acteurs locaux. »
La Commission européenne estime que le secteur financier doit contribuer à la réalisation des objectifs climatiques définis dans l’accord de Paris. Quelle est aujourd’hui l’implication de ce dernier ?
« Alors que les investisseurs privés s’apprêtent à injecter des sommes considérables dans la transition durable, l’Europe a formulé différents objectifs qui requerront chacun de grands investissements et se tourne vers le secteur financier qui, de par sa taille, est à même de donner une réelle impulsion. Au vu des grands défis qui attendent notre société, c’est la seule manière de procéder. Une chose est claire : notre mode de vie est encore loin d’être durable.
La transition vers une économie sobre en carbone est la pierre angulaire de l’Union de l’énergie, l’une des dix priorités de Jean-Claude Juncker pour sa présidence. En outre, des investissements majeurs sont nécessaires pour l’électrification de la mobilité. La politique agricole et alimentaire européenne doit aussi s’inscrire en ligne avec les objectifs de Paris. L’Europe étant un continent très urbanisé, le renouvellement durable des infrastructures de nos villes est aussi à l’ordre du jour.
Mais il faut dépasser les seules considérations climatiques. Pour que l’économie sobre en carbone soit une réalité en 2050, comme le prévoit l’accord de Paris, l’économie circulaire doit aussi être ancrée dans les objectifs climatiques. Sans ce lien, cet objectif ne pourra pas être atteint, puisque les matériaux que nous utilisons contiennent beaucoup de CO2. En outre, la mise en place de solutions « ancrées dans la nature » est essentielle pour le maintien de notre écosystème : c’est notamment le cas de la qualité du sol et de la gestion des forêts, qui ont une grande influence sur le climat. L’association de tous ces éléments ne se fera pas seule, et l’obtention d’un financement idoine joue un rôle crucial.»
Avec son plan d’action pour la finance durable, Bruxelles met en place un cadre pour l’écologisation du secteur. Une telle initiative était-elle nécessaire pour faire bouger le secteur financier ?
« Jusqu’à présent, aucun objectif spécifique n’avait été formulé pour le secteur, et la durabilité restait cantonnée à la marge de la sphère financière. Conséquence : nous assistons à une croissance sauvage des qualifications durables sur le marché, sans système uniforme. Au vu de la gravité du problème, un cadre directif clair s’imposait donc. Nous savons désormais que les objectifs seront irréalisables sans investissements privés.
Depuis plusieurs années, nous mesurons les émissions de plusieurs industries, mais pas du secteur financier. Tous les secteurs doivent prendre leurs responsabilités. Il serait étrange que nous échappions à toute surveillance, alors que notre secteur joue un rôle essentiel dans notre économie de marché.
Si l’on veut modifier fondamentalement l’orientation du système capitaliste (et c’est l’objectif que s’est fixé la transition durable), il serait étrange de ne pas inclure dans les discussions le cœur de ce système, soit le capital. La régulation est nécessaire pour rendre le marché plus transparent, et parce qu’elle permet aux autorités de suivre les progrès. L’UE a défini un cadre dans lequel le secteur doit agir directement. »
Donc c’est maintenant au secteur de proposer un plan crédible ?
« Les parties prenantes commencent de plus en plus à réaliser l’ampleur des défis et les conséquences désastreuses qui s’ensuivront si nous ne prenons pas nos responsabilités sociales. L’Europe n’a pas l’intention de surréglementer – du moins, si le secteur parvient à associer correctement les investissements aux besoins sur le terrain. Le secteur financier européen doit maintenant saisir sa chance et devenir chef de file mondial de l’économie verte. La mise en place d’un groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable représente un pas important dans la bonne direction.
Plusieurs grands acteurs sectoriels sont en bonne voie. La Banque européenne d’investissement, les banques centrales française et néerlandaise et certains grands fonds de pension donnent le ton.
C’est maintenant aux acteurs financiers locaux de convaincre le consommateur de produits financiers d’opter pour des solutions durables. Ils doivent pour cela se positionner clairement contre les investissements non durables – or, ils le font rarement et délèguent encore trop souvent la responsabilité à leur client. Si les établissements financiers prennent leur rôle au sérieux, ils doivent accepter que cela ait des conséquences en termes de gestion d’entreprise et de rapport avec les clients. La définition d’un profil durable du client ne doit pas être perçue comme une obligation inacceptable. La transition durable relève d’une responsabilité collective. »
Les acteurs sectoriels en sont-ils suffisamment conscients ?
« Les États membres devront bientôt présenter leur plan énergétique et climatique jusqu’à 2030. À tous les niveaux, l’on élabore des stratégies pour parvenir à une économie sobre en carbone à l’horizon 2050. La question de l’économie circulaire est plus complexe, mais là aussi, les investissements publics sont souvent évoqués. Le secteur financier était jusqu’ici le grand absent des débats.
Or, le Forum économique mondial de Davos a explicitement mentionné le climat, l’eau et la biodiversité au rang des dix plus grands risques pesant sur les entreprises. Les acteurs financiers adoptaient jusqu’ici une attitude plutôt passive, mais saisissent de plus en plus la gravité de la situation.
L’initiative européenne sur la finance durable donne une orientation claire et permet un débat public sur ce que nous pouvons qualifier d’investissements durables. Est-ce suffisant ? Non. Nous commençons tout juste à gratter la surface. »
« Cet article sera également publié dans le magazine sur le développement durable d’Investment Officer, dont la parution est prévue fin octobre. »