Joachim Klement
Joachim Klement

Les années 2020 semblent bien parties pour devenir la « décennie géo-économique », écrit Joachim Klement, directeur général de la banque d’investissement Panmure Liberum. Le commerce mondial, la défense et les alliances politiques sont en pleine restructuration. Investment Officer a parlé au stratège allemand des implications pour les marchés financiers.

Dans The Geoeconomic Decade, une publication de la CFA Institute Research Foundation, M. Klement analyse l’impact des turbulences géopolitiques quasi permanentes sur les marchés financiers. Deux questions s’imposent : quelle est l’ampleur de cet impact et comment maintenir les rendements en période de crises géopolitiques ?

« Pas de panique »

« Neuf événements géopolitiques sur dix ont un impact très limité sur les marchés financiers », rassure-t-il. Son message est un appel au calme. « Au lieu de paniquer à chaque conflit, identifiez plutôt l’événement qui aura un impact fondamental. »

« Les guerres, par exemple, sont généralement assimilées par les marchés financiers au bout de trois semaines. À moins d’avoir investi directement dans l’un des pays concernés, vos rendements reviennent aux niveaux d’avant le conflit », affirme M. Klement.

« La guerre en Ukraine aurait suivi le même schéma jusqu’à ce que des sanctions mutuelles entre l’Europe et la Russie soient mises en place, entraînant l’inflation et finalement la récession dans des pays comme l’Allemagne. Dès que des mesures sont prises, l’impact est significatif. »

Couverture en temps de crise

« Pendant les crises géopolitiques, la couverture est essentielle pour maintenir vos rendements, souligne M. Klement. Chaque événement géopolitique a ses gagnants. Par exemple, pendant la guerre en Ukraine, le cours des actions des compagnies gazières et pétrolières a explosé. » Historiquement, le pétrole a constitué une valeur refuge fiable, notamment lors des conflits au Moyen-Orient. 

L’or, en revanche, prévient M. Klement, est une couverture peu fiable. « Le métal précieux était temporairement très attractif. Il brille maintenant un peu trop, et son prix élevé le rend excessivement spéculatif. »

Qu’en est-il du dollar ? « Depuis l’ère Donald Trump, le dollar a perdu son statut de valeur refuge, explique le stratège, indiquant qu’il ne faut toutefois pas exagérer non plus. « Certains éléments montrent que les investisseurs internationaux diversifient de plus en plus leurs positions en obligations d’État et en devises, mais rien n’indique que les investisseurs se détournent largement des bons du Trésor ou du dollar », écrit-il.­

« Pendant les crises géopolitiques, la couverture
est essentielle pour maintenir vos rendements. »
 

Les investisseurs internationaux d’Asie et d’Amérique du Nord s’intéressent de plus en plus à l’Europe. « Le franc suisse, en particulier, est une couverture intéressante, car la Suisse est un pays exceptionnellement bien gouverné. D’autres pays européens gagnent également en attractivité, en raison de la relative stabilité du continent européen. »

« Un bon timing pour l’achat et la vente de couvertures et une gestion stricte des risques sont essentiels », souligne le stratège des marchés boursiers. « En effet, dès qu’un conflit prend fin, les couvertures perdent très rapidement de leur valeur.» En ce qui concerne l’or, il indique qu’il est préférable de fixer un stop. Si l’or passe en dessous de ce seuil, un ordre de vente est automatiquement déclenché.

Incertitude politique

Les risques géopolitiques ont augmenté en fréquence et en gravité ces dernières années, comme en témoignent clairement deux indicateurs fréquemment utilisés : le Geopolitical Risk Index (GPR) et le Economic Policy Uncertainty Index (EPU), qui mesure l’imprévisibilité de la politique économique américaine.

Le GPR est resté relativement stable au cours des deux dernières décennies, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. L’indice a atteint un nouveau sommet en 2024, lorsque les tensions se sont intensifiées à Gaza et entre Israël et l’Iran.

La première présidence de Donald Trump a marqué le début d’une plus grande incertitude politique. L’EPU a ensuite atteint un nouveau sommet pendant la période très incertaine de la crise du Covid-19, suivie des chocs d’approvisionnement causés par la guerre en Ukraine.

« L’EPU représente un danger bien plus grand pour les marchés financiers que le GPR, estime M. Klement. En effet, l’incertitude sur le plan de la politique économique crée beaucoup plus d’incertitude économique, ce qui pousse les entreprises à retarder leurs investissements et les consommateurs à réduire leur consommation. Contrairement à l’impact à court terme du GPR, les marchés financiers peuvent mettre jusqu’à 12 mois pour assimiler un pic d’EPU. »

Geopolitical Risk Index (GRI) & US Economic Policy Index (EPU)
GRI EPU

Un monde multipolaire

« Les chocs géopolitiques découlent d’un changement fondamental dans les relations de pouvoir au niveau mondial, explique M. Klement. Nous passons d’un monde unipolaire, avec les États-Unis comme seule superpuissance, à un monde multipolaire avec quatre ou cinq superpuissances ». Les nouveaux acteurs sont, selon lui, la Chine, la Russie – dans son contexte régional –, l’Europe et l’Inde, encore imprévisible.

« L’UE, avec ses 450 millions d’habitants, est la seule entité économique capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine », souligne-t-il, affirmant que l’UE continuera à se développer pour devenir une superpuissance économique au cours des cinq prochaines années. « L’UE se développe principalement en situation de crise. Les États membres se bloquent souvent les uns les autres en temps normal, mais en temps de crise, ils trouvent l’unité nécessaire pour être solidaires. »

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