
Amundi, le plus grand gestionnaire d’actifs d’Europe, appelle les investisseurs à revoir leur allocation mondiale. Face à l’évolution des rapports de force géopolitiques et économiques, les Français estiment qu’un moment stratégique se profile pour l’Europe. La région offre non seulement de la stabilité dans un monde troublé, mais aussi des opportunités d’investissement concrètes, ont déclaré les dirigeants de la société lors du Forum mondial de l’investissement d’Amundi, qui se tient chaque année à Paris.
Devant un millier d’investisseurs institutionnels d’Europe et d’Asie, Vincent Mortier, directeur des investissements, a plaidé jeudi en faveur d’une remise en question de la surpondération traditionnelle des actions américaines. « De plus en plus d’investisseurs commencent à reconnaître que leur allocation aux actifs américains est peut-être devenue trop importante », a-t-il déclaré. Les États-Unis représentent environ deux tiers des indices boursiers mondiaux, mais seulement 26 % du PIB mondial, et seulement 15 % en parité de pouvoir d’achat.
Renaissance européenne
Avec Philippe d’Orgeval, CIO, et Monica Defend, de l’Amundi Investment Institute, M. Mortier a dressé le tableau d’une Europe en plein redéploiement. La dynamique des réformes, une politique monétaire claire et un réalignement des chaînes d’approvisionnement mondiales en faveur de la production régionale contribuent à ce retour de la confiance en ses capacités.
Les actions européennes surpassent leurs homologues américaines de 15 % depuis le début de l’année (en euros). Cette tendance pourrait se poursuivre, estime Amundi. « L’Europe prend de plus en plus les choses en main, a déclaré M. d’Orgeval. Cela renforce la confiance des investisseurs. » Le niveau élevé de l’épargne privée, le faible endettement des entreprises et la stabilisation de la périphérie de l’UEM rendent la région attrayante, dans un environnement d’investissement volatil.
Amundi voit également des opportunités dans les petites et moyennes capitalisations, dont les cours sont historiquement bas par rapport aux grandes capitalisations. Les obligations européennes, dont les rendements atteignent leur plus haut niveau depuis dix ans, reviennent dans le viseur des investisseurs à revenu fixe. L’inflation se dirige vers les 2 % et la BCE semble maintenant la maîtriser.
Investir dans un monde en redémarrage
Monica Defend a affirmé que l’économie mondiale n’est pas seulement en train de ralentir, mais qu’elle est en passe de redémarrer. Elle a invité les investisseurs à intégrer dans leurs stratégies les changements géopolitiques, la démographie et les tendances en matière d’espérance de vie. « Nous vieillissons, mais nous voulons aussi vivre plus longtemps », a déclaré Mme Defend. Cela a un impact sur la consommation, le marché du travail et les régimes de retraite.
M. Mortier a conclu en formulant quatre recommandations à l’intention des investisseurs :
1. Voir au-delà des indices traditionnels et des tendances à la mode, comme la défense ;
2. Gérer activement le risque de change et anticiper la faiblesse du dollar ;
3. Privilégier les obligations à échéance moyenne ;
4. Se diversifier vers des actifs réels tels que l’énergie, l’or et la dette privée.
Une date limite pour l’UEI
L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta a appelé les dirigeants européens à accélérer la création d’une Union européenne de l’épargne et de l’investissement (UEI). Il suggère de fixer le 1er juillet 2027 comme date butoir.
Selon M. Letta, les projets d’intégration précédents, tels que le marché unique (1992) et l’euro, n’ont réussi que grâce à des calendriers contraignants. « Notre génération a grandi avec des échéances claires, a-t-il affirmé. Si nous renouons avec cette méthode, les marchés croiront en l’Europe. »
L’initiative de l’UEI devrait faciliter les flux de capitaux au sein de l’UE, mobiliser l’épargne et accélérer les investissements dans les infrastructures, la défense et l’innovation. Selon M. Letta, seul un calendrier concret peut permettre de surmonter la fragmentation au sein de l’UE et de réaliser le plein potentiel du marché européen des capitaux.
Son message était clair : l’autonomie stratégique ne se résume pas à des mots. Elle nécessite des accords contraignants. La confiance des investisseurs suivra naturellement.
Mettre l’accent sur la coopération
L’ancien secrétaire d’État américain Antony Blinken a qualifié la situation géopolitique actuelle de « changement extraordinaire, comme il s’en produit un tous les 70 à 100 ans ». M. Blinken a souligné l’importance de l’engagement des États-Unis : « Le monde ne s’organise pas de lui-même. Si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera, et probablement pas dans le sens de nos valeurs et de nos intérêts. »
L’ancien secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, a évoqué la nécessité de renforcer l’industrie européenne de la défense et la coopération avec les pays d’Asie. Il a proposé une coopération de défense « D7 » entre l’UE, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud, une sorte de réponse géopolitique et économique à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Les entreprises européennes de défense doivent devenir plus compétitives et les fusions transfrontalières ne doivent pas être un tabou dans ce processus.
Les deux intervenants ont souligné que la coopération internationale était essentielle. Antony Blinken prône un « intérêt propre éclairé » : « Les succès des autres sont en fin de compte aussi les nôtres. L’investissement dans les partenariats s’est révélé payant à maintes reprises, avec à la clé de nouveaux marchés, de nouveaux alliés et une sécurité accrue. »
Amundi cible la dynamique européenne
Amundi s’est autoproclamée « seul gestionnaire d’actifs mondial d’Europe » lors de la conférence au Louvre. C’est effectivement le seul gestionnaire d’actifs européen à figurer dans le top 10 mondial. Le groupe français gère aujourd’hui quelque 2000 milliards d’euros d’actifs, dont environ 450 milliards proviennent d’Asie. Avec l’arrivée d’investisseurs de Corée du Sud, de Chine et du Japon, entre autres, Amundi espérait non seulement mettre en évidence le potentiel européen, mais aussi embrasser les changements de stratégie géopolitique vers l’Asie.