Les marchés financiers semblent hausser les épaules face à l’escalade militaire au Moyen-Orient. Mais cela n’élimine pas les risques de turbulences boursières, met en garde Nannette Hechler-Fayd’herbe, Chief Investment Officer EMEA de la banque privée suisse Lombard Odier, dans une interview accordée à Investment Officer.
Que ce soit le conflit entre la Russie et l’Ukraine ou l’escalade récente entre l’Iran et Israël, il semble que les marchés soient insensibles aux chocs géopolitiques.
Nanette Hechler-Fayd’herbe : « Les marchés boursiers ont en effet bien performé cette année. Mais avec le conflit au Moyen-Orient, il y a néanmoins des raisons d’être particulièrement vigilants. Les chocs géopolitiques ne sont pas linéaires. Une fois qu’ils se déclenchent, l’ambiance sur les marchés peut changer soudainement, entraînant des réactions fortes et des fluctuations de cours. »
« Un canal de transmission important est le prix du pétrole. C’est pourquoi le conflit au Moyen-Orient doit être surveillé de plus près que la guerre en Ukraine, qui reste pour l’instant un conflit régional. »
La récente attaque à la roquette de l’Iran contre Israël n’a apparemment pas fait office de déclencheur, puisque les grands indices boursiers ont à peine réagi.
« Parce que cette attaque n’a pas d’impact sur la production ou l’approvisionnement en pétrole. Si l’infrastructure énergétique devait être endommagée, alors l’impact sur les cours boursiers devrait être plus important. De même, si une superpuissance, par exemple les États-Unis, était directement impliquée dans le conflit, les chocs sur les marchés seraient plus importants. »
« Outre le prix du pétrole, un deuxième canal de transmission est le sentiment, d’un point de vue large, international. Si le monde entier a l’impression que l’on entre dans une crise, la consommation des ménages diminuera, ce qui aura un impact négatif sur les marchés. La guerre en Ukraine, aussi grave soit-elle, n’a en réalité pas eu d’impact sur le sentiment, ni sur le prix du pétrole. »
Une grande partie du négoce boursier se déroule de manière automatisée, via des ordinateurs. Cela pourrait-il expliquer cette indifférence ?
« Nous n’avons pas encore vu de déclencheur, donc nous n’avons aucune visibilité sur ce phénomène. Mais on pourrait s’attendre à ce que le trading automatisé, avec des ordres de vente automatiques lorsque les cours descendent en dessous de certains seuils, renforce la réaction et ait donc un effet accélérateur. »
Comment les investisseurs doivent-ils se couvrir contre des chocs boursiers non linéaires ?
« Par une bonne diversification, en ne se concentrant pas uniquement sur les actions. Les obligations offrent aussi des rendements attrayants, notamment au niveau des obligations d’entreprise et du haut rendement. »
« Les valeurs refuges (le franc suisse et le yen sont particulièrement en verve) offrent un deuxième niveau de couverture contre les turbulences. Ces devises profitent du contexte actuel : en cas de troubles, leur valeur ne fera qu’augmenter. »
« Enfin, l’or est aussi une bonne source de diversification, compte tenu de sa faible corrélation avec d’autres classes d’actifs. Le cycle actuel, avec un dollar plus ou moins stable et des taux en baisse, est plutôt favorable à l’appréciation de l’or. De plus, de nombreuses banques centrales accumulent de l’or, ce qui soutient la demande. Le métal jaune est donc une option à privilégier si l’indice VIX, qui reflète la nervosité des places boursières, devait s’affoler. »
Trump ou Harris ?
L’Amérique va élire un nouveau président. Vous disiez précédemment que sur le plan géopolitique, un nouveau mandat pour Donald Trump serait moins déstabilisant que beaucoup ne le pensent, car en tant qu’ex-homme d’affaires, ce dernier est un véritable négociateur.
« Je suis toujours de cet avis, même si cela peut paraître contre-intuitif. De son précédent mandat, nous nous souvenons de sa tentative d’impressionner la Corée du Nord et de sa rhétorique de confrontation. Mais au final, il n’a pas entamé de nouvelle guerre. Dans le cadre de la campagne actuelle, il prône une résolution rapide de tous les conflits. »
« Ce qui me frappe également, c’est que son adversaire Kamala Harris s’éloigne des principes de l’actuel président, Joe Biden. Elle ne suit pas tout à fait sa ligne et semble plus disposée à des compromis sur la scène internationale. »
De nombreux stratèges affirment que le verdict des urnes ne fera pas une grande différence pour les marchés.
« C’est à la fois vrai et faux. L’histoire nous apprend que la première année après une élection présidentielle est propice aux actions, que le vainqueur soit républicain ou démocrate. Cela s’explique par le fait que le nouvel élu voudra tenir ses promesses. Ce n’est qu’à partir des midterms, les élections parlementaires de mi-mandat, que la situation devient plus floue. De ce point de vue, donc, l’on peut dire que la couleur politique du vainqueur n’a pas beaucoup d’importance. »
« Cette fois-ci, toutefois, le verdict des urnes pourrait bien avoir un impact à court terme. Les plans de Donald Trump sont clairement plus inflationnistes. Son protectionnisme, qui s’accompagnera de droits d’importation élevés, pourrait faire grimper l’inflation américaine. Il en ira de même si Donald Trump barre l’accès au marché du travail à de nombreux migrants illégaux, sans les remplacer par des migrants légaux. Cette conjoncture pourrait entraîner un resserrement du marché du travail, et donc une hausse des salaires. »
« Or, une révision à la hausse des prévisions d’inflation changerait bien sûr la donne, tant pour les cours des valeurs technologiques que pour le prix des obligations. Par ailleurs, la Fed pourrait aussi réduire le rythme de ses abaissements de taux. »