Après une période de turbulences sur les marchés japonais, marquée par une chute brutale du Nikkei et une hausse significative du yen, la Banque du Japon (BOJ) se trouve à un moment critique. Tandis que les investisseurs et les décideurs politiques du monde entier scrutent attentivement les prochaines décisions de la BOJ, Louis-Vincent Gave, fondateur de Gavekal Research à Hong Kong, propose une analyse lucide : « À ce stade, toute intervention saperait ses propres effets. »
L’observation de Louis-Vincent Gave reflète un sentiment largement partagé parmi les investisseurs et les analystes, en particulier après les récentes mesures de la BOJ en matière de politique monétaire. Le 31 juillet, la banque centrale a relevé son taux directeur à 0,25 %, un niveau inédit depuis 15 ans, ce qui a déclenché une onde de choc sur les marchés mondiaux. Les signaux contradictoires envoyés par les responsables de la BOJ, dont le gouverneur Kazuo Ueda et le vice-gouverneur Shinichi Uchida, ont ajouté à l’incertitude, mais Shinichi Uchida a précisé depuis lors que les investisseurs ne devaient pas s’attendre à de nouvelles hausses de taux pour le yen cette année.
Louis-Vincent Gave estime que la BOJ se trouve désormais dans une position précaire, où toute intervention supplémentaire pourrait exacerber la volatilité qu’elle tente de maîtriser. Selon lui, la meilleure option pour la banque centrale japonaise consiste maintenant à laisser la dynamique du marché suivre son cours.
« Ils doivent simplement attendre que les marchés se stabilisent », a déclaré Louis-Vincent Gave à Investment Officer. Bien que cette attitude attentiste comporte des risques, elle reconnaît le danger qu’un rôle plus actif de la BOJ entraîne une perturbation supplémentaire des marchés.
Les déclarations de Shinichi Uchida après l’effondrement du marché la semaine dernière confirment cette position prudente. Il a souligné que la BOJ ne relèverait pas les taux d’intérêt tant que les marchés financiers resteraient instables, ce qui indique que la stabilité du marché est clairement prioritaire par rapport à un resserrement monétaire agressif.
Boucle de rétroaction entre le yen et les actions américaines
L’un des aspects les plus préoccupants de la situation actuelle du marché est la boucle de rétroaction auto-entretenue entre la hausse du yen et la vente d’actions américaines. Selon un rapport de Louis-Vincent Gavekal, cette dynamique est alimentée par la liquidation des carry trades sur le yen, qui avaient auparavant stimulé les investissements dans les actions technologiques américaines et d’autres actifs à risque.
« Le système présentait deux anomalies majeures : le yen était beaucoup trop bon marché et les valorisations de tout ce qui touche à l’intelligence artificielle et à la technologie étaient excessivement élevées », a expliqué Louis-Vincent Gave. « Cela a créé des équilibres très instables, et la liquidation des carry trades sur le yen entraîne maintenant l’effondrement de nombreuses autres classes d’actifs. »
Selon Louis-Vincent Gave, la fin du carry trade sur le yen marque la perte de la dernière source de capital gratuit pour le monde. « Depuis 2008, les investisseurs évoluaient dans un monde où il était toujours possible de trouver des capitaux à un coût presque nul. Désormais, l’idée qu’il suffit d’emprunter des yens pour acheter n’importe quel actif et gagner de l’argent a soudain volé en éclats. »
La liquidation de ces carry trades accentue la pression à la baisse sur les marchés mondiaux, aggravant ainsi le ralentissement économique aux États-Unis. Cette situation entraîne à son tour une appréciation du yen, alors que les investisseurs recherchent des valeurs refuge, créant ainsi un cercle vicieux difficile à briser.
Gavekal Research envisage quatre scénarios possibles pour briser cette boucle de rétroaction : la liquidation complète des carry trades sur le yen, l’intervention des autorités japonaises pour freiner la hausse du yen, une série de baisses des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine, ou l’entrée en récession des États-Unis.
Le scénario qui se dessine actuellement sur le marché est celui d’une intervention verbale des autorités japonaises. Avec le message clair de la BOJ indiquant qu’aucune nouvelle hausse des taux n’est prévue à court terme, ces déclarations des responsables de la BOJ apparaissent désormais comme une étape cruciale pour stopper temporairement la hausse du yen et offrir aux marchés la pause nécessaire à leur stabilisation.
Louis-Vincent Gave a fondé la société de conseil Gavekal Research conseil en 1998 avec son père et Anatole Kaletsky, en se concentrant sur l’influence croissante de l’Asie sur les marchés mondiaux. Il est l’auteur de sept ouvrages, dont ‘Avoiding the Punch’, qui aborde la question des investissements en période de tensions géopolitiques et d’incertitude économique.