Longeval
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Chaque mois, Investment Officer sonde Jan Longeval, expert en investissement, sur sa vision de l’actualité économique et financière. Pendant les mois d’été, il se penche sur l’aspect « géo » dans le terme géopolitique. Dans cette première partie, nous restons en Europe et sa grande plaine. Le mois prochain, nous nous tournerons vers l’Est. « Il faut toujours garder à l’esprit les terribles souffrances des Russes pendant la Seconde Guerre mondiale. »

« Aujourd’hui, lorsqu’on estime parler de géopolitique, il s’agit surtout de politique », considère Jan Longeval. « On perd en effet souvent de vue ce que signifie « géo », la géographie. Pourtant, celle-ci est déterminante dans la politique internationale. Je souhaite clarifier ce lien, en commençant par l’Europe. »

Jan Longeval émet d’abord une mise en garde. « Il s’agit d’un sujet sensible. Mon intention n’est ni de susciter de la sympathie pour un camp ou l’autre, ni de porter un jugement. Je m’intéresse à la géopolitique en tant qu’investisseur, économiste et stratège. Pour évaluer les risques géopolitiques, il ne faut pas se limiter à son propre narratif, mais également se plonger dans celui de l’autre partie. Expliquer n’est pas justifier. »

Des Pyrénées à l’Oural

Jan Longeval approfondit les motivations de la Russie pour son invasion de l’Ukraine, qu’il estime avoir des racines séculaires. « Les raisons de cette action sont en partie géographiques. Une grande partie de la Russie se trouve sur ce qu’on appelle la grande plaine européenne. Celle-ci commence, d’ouest en est, au pied des Pyrénées françaises, traverse les Pays-Bas, l’Allemagne de l’Ouest et la Pologne, puis s’étend notamment à travers la Finlande, les États baltes et l’Ukraine, avant de se prolonger en Russie jusqu’à l’Oural. Avec un peu d’imagination, on peut y voir la forme d’une nasse, dont la large ouverture se trouve en Russie. Du côté pyrénéen, cette plaine ne fait que quelques centaines de kilomètres de large. »

EuropaEurope

« La géographie et la géopolitique consistent essentiellement à réfléchir aux vulnérabilités et aux opportunités politiques. D’un point de vue militaire, les armées peuvent se déplacer relativement facilement à travers une plaine. Tous les pays situés sur l’axe de la grande plaine européenne sont donc soucieux de se protéger contre les invasions. La France, par exemple, a déjà connu trois invasions par cette plaine : en 1870-1871, avec l’invasion prussienne et la chute de Paris, puis lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. »

Napoléon

« La Russie a elle aussi été envahie de cette manière à plusieurs reprises, poursuit Jan Longeval. Pensez à l’invasion de Napoléon en 1812 et, bien sûr, à la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les Allemands ont commis des atrocités terribles. La Russie a été le pays le plus durement touché en termes de pertes humaines, avec une estimation de 27 millions de victimes, voire bien plus selon certains historiens. »

« Cette guerre a donc constitué un traumatisme terrible pour le peuple russe. Il faut toujours garder cela à l’esprit lorsqu’on réfléchit à la Russie. La population est relativement peu nombreuse dans un pays immense, qui a toujours connu deux priorités. La première : maintenir l’unité du pays, ce qui explique leur régime autocratique. La seconde : tenir l’ennemi à l’écart de ses propres frontières. La Biélorussie, les pays baltes, la Finlande et l’Ukraine ont servi de zones tampons entre deux superpuissances nucléaires : l’Occident, c’est-à-dire l’Amérique et ses alliés, et la Russie. »

« L’Ukraine en particulier jouait un rôle crucial en empêchant ces deux puissances de se rapprocher physiquement. Les problèmes ont commencé après la chute du mur de Berlin en 1990. Lors des négociations sur l’intégration de l’Allemagne de l’Est à l’OTAN suite à sa réunification avec l’Allemagne de l’Ouest, le camp occidental avait promis que l’OTAN « ne s’étendrait pas d’un pouce vers l’Est ». Par la suite, l’Occident a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un engagement juridiquement contraignant, mais les Russes ne l’avaient pas compris ainsi. Pour eux, il s’agissait d’une promesse que l’Occident aurait dû tenir. »

Un pas de trop

Après l’éclatement de l’Union soviétique, la Russie a sombré dans le chaos. À ce moment-là, l’OTAN a commencé à s’étendre par vagues successives jusqu’aux frontières nationales de la Russie, mais cette dernière était trop affaiblie pour s’y opposer. Lorsque Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, les Russes ont clairement fait savoir que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou le déploiement de structures militaires de l’OTAN en Ukraine serait un pas de trop. L’intention ukrainienne d’adhérer à l’OTAN a néanmoins été exprimée, sous la pression des États-Unis. Encore une fois, je ne porte pas de jugement sur ce point. Je parle uniquement du point de vue de la Russie, qui y voit une énième trahison de l’Occident. Dans le narratif occidental, la logique de Poutine est perçue comme un prétexte. »

« Cela a donc été, du moins en partie, ce qui a déclenché l’occupation de la Crimée et l’invasion de l’est de l’Ukraine par la Russie. La Russie a argumenté : « cela suffit, vous vous rapprochez trop ». En Occident, cette action de la Russie est principalement perçue comme une tentative de restaurer l’ancienne Union soviétique, ce qui est sans doute en partie vrai également. »

Pour Jan Longeval, la clé de la fin du conflit est donc claire. « Vladimir Poutine indique qu’il est prêt à conclure la paix, sous certaines conditions : conserver la Crimée, conserver les régions de l’est et des garanties fermes que l’Ukraine ne rejoindra jamais l’OTAN. »

Comme c’est souvent le cas dans une négociation, il y a lors d’une première proposition une certaine marge de manœuvre pour faire des concessions. Et peut-être que la concession que Vladimir Poutine sera prêt à faire sera de renoncer à sa revendication territoriale sur l’est de l’Ukraine, moyennant des garanties d’une certaine autonomie régionale. Je pense que c’est là que réside la véritable solution à ce conflit. Une négociation obligerait également Vladimir Poutine à se dévoiler. Si la garantie de l’OTAN était donnée et que le chef d’État russe ne reculait pas, son narratif s’effondrerait. »

Finlande

« Le même problème se pose aujourd’hui avec l’adhésion de la Finlande , poursuit Jan Longeval. Mais je pense que la Russie tolérera cette adhésion, tant que l’Occident n’y installera pas un grand arsenal militaire. Si cela devait se produire, il est probable que Vladimir Poutine entrerait en confrontation avec l’OTAN. »

Pour inverser la perspective : comment pensez-vous que les États-Unis réagiraient si la Chine formait une alliance militaire avec le Canada et le Mexique et installait des armes nucléaires près de la frontière américaine ? Cette vulnérabilité géographique est donc extrêmement sensible pour les Russes, qui n’ont pas non plus oublié les souffrances massives du peuple russe pendant la Seconde Guerre mondiale. »

« L’idée que Vladimir Poutine serait prêt à envahir l’Europe ne s’inscrit donc pas dans la logique que je viens d’exposer. Sauf si, bien sûr, on commençait à rassembler des armes lourdes dans les autres nouveaux États membres de l’OTAN, près de la frontière russe. En supposant que cela ne se produise pas, la Russie se concentrera à nouveau principalement sur la consolidation de ses zones tampons avec l’Occident. Il est probable qu’elle finisse par absorber formellement la Biélorussie. Et si la Géorgie devait adopter une politique trop pro-européenne et trop pro-OTAN, la Russie y interviendrait encore plus qu’aujourd’hui. »

Jan Longeval estime qu’il est possible de protéger les portefeuilles contre ces risques géopolitiques. Avant d’expliquer cela en détail, il se penchera d’abord sur la situation géographique à l’Est, au début du mois d’août.

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